Haletant, le maillot rouge trempé de sueur, il s'arrête pour reprendre son souffle. Ngassima, 18 ans, a pris des coups aujourd'hui sur le ring, il a même perdu son combat, mais ça en valait la peine, "un combat pour la paix" à Bangui.
Organiser un tournoi de boxe, même amateur, au PK-5, le quartier musulman de la capitale centrafricaine asphyxié depuis des mois par les milices -chrétiennes et animistes- anti-balaka et les violences intercommunautaires: l'idée pouvait paraître un peu étrange.
"Pas du tout, la boxe est symbole de paix! Quand deux boxeurs combattent, ils s'embrassent après quel que soit le vainqueur, c'est le message qu'on veut faire passer", rétorque Roger Junior Loutomo, le président de la Fédération centrafricaine de boxe à l'origine de cette soirée un peu spéciale et qui arbitre lui-même les combats.
Encouragements, rires, applaudissements: une ambiance peu habituelle règne autour du ring, où des centaines de garçons et de jeunes hommes, debout pendant des heures, sont venus soutenir leurs champions malgré un soleil écrasant, jusqu'en fin de journée jeudi. A quelques mètres de la poussière rouge soulevée par l'attroupement, les Casques bleus de la Minusca passent au ralenti dans leurs blindés, vigilants mais l'air un brin amusé.
Martial Ngoko, alias "Mohammed Ali", est un des favoris du jour: comme son idole, il ne "perd jamais de match", dit-il, vainqueur par K.O. dès le 2e round.
"Je rêve de boxer comme lui, et même je boxe comme lui", assure Martial qui n'a pas peur de se comparer à Mohammed Ali. De culture catholique, le jeune homme dit s'être "islamisé" il y a cinq ans, lors d'un voyage au Pakistan pour un tournoi de boxe, toujours en hommage à son défunt mentor.
- 'Occuper nos jeunes' -
Sur la vingtaine de sportifs amateurs en compétition, seuls deux musulmans originaires du PK-5 ont pu participer, l'insécurité ayant empêché bon nombre de continuer à s'entraîner. Depuis le début de la crise actuelle, fin décembre 2013 avec des massacres intercommunautaires, les tournois continuent uniquement dans les quartiers chrétiens de la ville.
Le PK-5, qui s'étend sur quelques km2 à peine, compte pourtant quatre clubs de boxe, une discipline très populaire chez les jeunes, avec le foot et le judo.
Mais, après les commerces, après les mosquées, eux aussi ont baissé le rideau durant des mois, comme si toute vie avait cessé dans ce qui était autrefois le poumon économique de la capitale, avec ses étals colorés remplis de marchandises et ses bars animés. Les habitants ont pris l'habitude de vivre retranchés chez eux, le silence s'est installé, la peur aussi.
Jusqu'à récemment, des affrontements opposaient régulièrement de jeunes musulmans des "groupes d'auto-défense" à des miliciens anti-balaka dans le no man's land entourant le PK-5. "Nous vivons un répit depuis que le pape François est venu (fin novembre), nous devons consolider son message" de réconciliation, insiste le président de la Fédération.
Ngassima, chrétien, n'avait "pas remis les pieds ici depuis deux ans", et vient de retrouver dans la foule un ami d'enfance musulman, Fadoul. "C'est une très belle journée", dit l'adolescent les yeux brillants, après l'avoir serré dans ses bras.
Juste derrière les boxeurs qui s'affrontent, un panneau publicitaire qui n'a rien à voir avec l'évènement affiche une immense carte de la Centrafrique parsemée de bonhommes armés, et barrée du mot "Paix". Tout un symbole.
Gaspard Kopkapka, membre du jury, est un vétéran de la boxe centrafricaine - qui compte quelques centaines de licenciés tout au plus - et a même participé aux championnats du monde amateurs en 1979 à Belgrade.
"On n'entend parler que de guerre, on en a marre", assure avec un large sourire le vieil homme: "il faut occuper nos jeunes, le sport est le meilleur moyen de s'en sortir".
Célia LEBUR