Monsieur le directeur de publication,
Dans l’expédition du 31 octobre 2014 vous publiez un « droit de réponse » de Mr Gaston Mandata N’guerekata par la plume de Sandrine Mandane, sa collaboratrice à un billet rédigé par mes soins le 27 octobre et intitulé :
«DIEU N’EST PAS CENTRAFRICAIN
De l’échec de Boganda à la Transition »
dans lequel j’ai abordé et identifié les deux principales causes des déboires des centrafricains.
Vous avez eu l’amabilité de publier une partie de ma production. Cet effort d’objectivité est louable mais insuffisant. Afin de permettre à vos lecteurs de se faire une opinion juste, je vous saurai gré de publier l’article en entier, mon propos étant d’autre envergure que ce que semble prétendre l’intervention de Gaston Mandata N’guerekata.
Par ailleurs, il me serait agréable de voir écrire mon patronyme exact : De Boutet-M’bamba et non Mboute-Mbamba ce que ne saurait prétendre ignorer mon « contradicteur » du moment et partant, son plumitif circonstanciel.
Ceci précisé, je voudrais faire le point sur quelques données de l’Histoire.
Gaston Mandata N’guerekata écrit ceci :
[…] « Non, Boganda (dont vous dites par ailleurs qu’il était dévoré par l’ambition personnelle, un comble pour qui le connaissait !) n’était pas panafricain, ne vous en déplaise. Il était fédéraliste, sur la base de ce qu’il qualifiait les Etats d’Afrique latine. ».
A propos du grief d’ambition personnelle, en nul endroit je n’ai fait ce grief à Boganda puisqu’aussi bien j’ai écrit : « il était soupçonné d’agir par ambition personnelle ». « Il » ce n’est pas moi. Je ne fais que rapporter des faits historiques. Reportons nous aux classiques.
« […] les adversaires de Boganda déclenchaient dans la presse de Brazzaville une vive campagne de dénigrement du président du Grand Conseil. Boganda se défendait de toute ambition personnelle ». p175 Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Élu de Dieu et des Centrafricains »Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552
Ce à quoi, selon la même source, Boganda répondait :
« Nous avons à bâtir pour la postérité, pour des siècles, pour l’histoire. Les problèmes de personnes ne durent qu’un temps et nous estimons qu’une personne est tellement limitée dans l’espace et dans le temps que nous nous dévaloriserons en faisant du problème africain une querelle d’hommes. Ce serait rendre notre Afrique aussi précaire que l’homme lui-même. Nous avons posé un problème qui dépasse l’AEF. Ceux qui cherchent à ramener un problème à leur taille à eux en détournant notre projet, et ramènent le problème à l’échelle d’un homme et non à celle d’un peuple moderne, sont ceux, précisément, qui ont intérêt à voir l’Afrique divisée. Les Africains ne veulent plus être divisés en comprimés faciles à avaler »pp 175-176. Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains »Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552
Ailleurs, on lit également :
« Boganda lui-même est soupçonné d’agir par ambition personnelle »
http://dictionnaire.sensagent.com/Barth%C3%A9lemy%20Boganda/fr-fr/#
Sur les objectifs politiques de Boganda, à en croire Gaston Mandata N’guerekata, celui-ci ne serait pas panafricaniste mais « fédéraliste, sur la base de ce qu’il qualifiait les Etats d’Afrique latine ».
Il est regrettable qu’il n’ait pas défini ces notions.
Panaméricanisme, pangermanisme, panthéisme, panthéon on sait ce que signifie la racine grecque pân : «TOUT» exclusif de partie ou fraction.
N’a-t-il pas proclamé tout haut que :
« la terre oubanguienne sera le bastion de l’Unité africaine » ? p181. Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains » Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552
A l’issue du référendum du 28 septembre 1958 « Il se lançait dans une violente attaque contre ceux qui « avaient dit « oui » à la France et à la Communauté proposée par elle et ‘non’ à l’unité africaine ». Il les qualifiait de « traîtres à la famille africaine » p 180 Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains » Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552
A la séance de l’Assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari le 1er décembre 1958, « Boganda rappelait qu’« en répondant « oui » au référendum, le peuple oubanguien avait dit « oui » à la Communauté préconisée par le République Française, mais aussi « oui » à l’Europe chrétienne, « oui » à la démocratie ». « Mais avant tout, ajoutait-il, le peuple oubanguien a répondu « oui » à l’unité africaine, « oui » à l’indépendance de l’Afrique noire française étroitement unie et indéfectiblement associée à la France et à l’Occident » p 180 Pierre KALCK, Barthélemy Boganda, « Elu de Dieu et des Centrafricains » Editions Sépia, mars 1995 n° d’imp. : 552
Faut-il rappeler qu’En exergue de « Enfin on décolonise », il a, pour ainsi dire gravé dans le marbre son leitmotiv : « Libérer l’Afrique et les Africains de la servitude et de la misère, telle est ma raison d’être et le sens de mon existence ».
Africaniste, Boganda l’était assurément. Mais pas seulement africaniste, mieux qu’africaniste. En effet : « Les premiers statuts du MESAN prévoyaient son implantation dans le monde noir tout entier » Pierre KALCK, Histoire Centrafricaine, Des origines à 1966, L’Harmattan, 1992 ; ISBN : 2-7384-1556-3.
Pétition de principe ? Foi en l’Afrique et aux Africains , aux Noirs ? Voici ce qu’il écrivait à Abel Goumba alors en formation à Dakar : « Nous n’avons absolument rien à envier à la France d’aujourd’hui. La civilisation repartira d’Afrique qui est appelé à devenir le centre du monde futur, à la condition que ses fils veillent jalousement pour lui conserver sa physionomie propre.
Il existe donc une véritable politique africaine. Il s’agit de la découvrir. Mais il n’est pas dit que celui qui l’aura découverte soit accepté de tout le monde. Ce sera unprécurseur. Or, depuis que le monde existe, les précurseurs ont toujours été victimes de leur témérité. A part quelques exceptions qui ont compris les besoins de leur pays, la majorité des hommes politiques tombent dans l’ornière d’un vieux parlementarisme, véreux, caduc, sans action positive et en pleine décadence : il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en apercevoir. […] » pp 585-586. Professeur Abel GOUMBA, Les mémoires & les Réflexions politiques du Résistant anti-colonial, démocrate et militant Panafricaniste, Abel GOUMBA – De la succession du Président B. Boganda au procès de la honte du militant Abel Goumba- Vol 2 Ccnia communication, mars 2009, ISBN 2-915568-16-2 ISNN : 1776-453X
Il était conscient des difficultés car, dans la même lettre il écrit : « Je ne comprends peut-être pas la politique de la même façon que les africains occidentaux ; mais je crois avoir trouvé la politique qui convient à mon peuple. »
Ce qu’il disait, il le pensait, ce qu’il pensait, il le pratiquait. Ainsi : « Depuis plus de dix ans, il est resté à l’écart des parlementaires africains auxquels il reproche leur inféodation à des partis politiques métropolitains » http://dictionnaire.sensagent.com/Barth%C3%A9lemy%20Boganda/fr-fr/#
Il a approuvé et soutenu la formation du Parti de Regroupement Africain (PRA) à Paris (15 au 17 février 1958)
Le M.E.S.A.N a pris activement part au premier congrès de cette formation à Cotonou (Dahomey) les 25,26 et 27 juillet 1958. La délégation était composée de Abel Goumba, Albert Fayama et David Dacko.
Sur ces points, je prie les lecteurs de se reporter aux nombreux livres d’histoire, ma source principale étant les écrits de Abel Goumba, témoin et acteur desdits événements et ceux de Pierre Kalck, ami personnel de Boganda.
Boganda n’a pas été insensible au sort de l’Afrique anglophone. A preuve ce témoignage relatif au Séminaire Ibadan mars 1959 sur le thème : «Gouvernement représentatif et progrès national »
« Les organisateurs m’avaient soumis en effet les noms de Lisette et Gilbert Pongault. J’y ajoutai Boganda et Lumumba […] Boganda dut se consacrer à ses obligations électorales […] » p31, Luis Lopez Alvarez, Lumumba ou l’Afrique frustrée, Ed. Cujas, Paris, 4ème trimestre 1965
Dans un autre chapitre, Gaston Mandata N’guerekata écrit ceci : « Vous parlez d’un état « dépotoire » – jolie manière de qualifier la RCA – pauvre absolument, et sans aucune valeur ni ressource. C’est mal connaître les potentiels et les richesses de la nation centrafricaine, c’est ignorer la géologie et le cours des matières premières ! Or, diamant, colbalt, bois précieux… pétrole ! La RCA est un pays extrêmement riche, mais faible parce qu’il est seul, et pauvre parce qu’il est faible. Isolé, la RCA est faible. »
J’ai écrit : « Des quatre territoires de l’AEF, l’Oubangui-Chari était en 1958 celui qui n’avait aucune importance économique ». Que le lecteur porte son attention sur la conjugaison. « …l’Oubangui-Chari était en 1958 »
Gaston Mandata N’guerekata écrit : « La RCA est un pays extrêmement riche… ». Sommes-nous dans la même période historique ? Qui plus est : pétrole en 1958 en Oubangui-Chari ? Bozizé, soi-même, n’aurait pas osé telle ineptie ! Ni Djotodia.
L’Oubangui-Chari était un pays essentiellement agricole. En ce domaine, hors le café, le Tchad produisait plus que nous s’agissant du coton et de bien d’autres produits. Le Tchad a continué à nous fournir en oignons alors que la guerre y battait son plein !
Ne parlons pas de l’élevage bovin !
Voici ce qu’écrivait Madame Marie-Jeanne Caron, celle à qui nous devons à Bangui, la dénomination imprescriptible de Bangui-La- Coquette.
Dans un de ces poèmes intitulé LA RONDE DES BEAUX METIERS, après avoir décrit les potier, vannier, charpentier, forgeron, et charbonnier, quand elle en vient à l’élevage bovin, c’est pour évoquer le « pasteur venu du Tchad ». Lisons-la :
[…]
Puis, le « bororo » (1) musulman
Qui marche à travers l’Afrique
Derrière ses bœufs étiques
Et vend la viande à ta maman.
[…]
(1)- Bororo ou baoro = pasteur qui conduit les troupeaux de bœufs du Tchad en Oubangui
Marie-Jeanne CARON
Chante Afrique Chante
Ed. Fernand Nathan
Imprimerie Bussière à Saint-Amand (Cher) France – 5.1963
Dépôt légal : 4ème trimestre 1959. N° d’éd. : E 7486-II (M2) N° d’impr. ; 751 Imprimé en France.
pp 53-54.
Que vaut une économie uniquement agricole par rapport à celle (s) en capacité d’industrialisation ?
Un bref coup d’œil du côté du Congo fait apparaître ceci :
« Le Congo est l’une des colonies françaises ayant le plus profité, économiquement, de la colonisation : entre 1946 et 1959 , un certain nombre de travaux d’infrastructures sont réalisés tandis que quelques industries légères prennent pied. Ainsi, à l’aube de l’indépendance, l’Abbé hérite d’une structure économique relativement équilibrée avec 37,4 % du PIB réalisé dans le secteur primaire , 20,9 % dans l’industrie et 41,7 % dans le tertiaire. Par ailleurs, le Congo compte en 1958, 30 000 cadres de qualification variable et plus de 80 000 élèves. Cette politique éducative forte est poursuivie par Youlou qui, en 1960, consacre 40 % des dépenses budgétaires à l’enseignement56.
Entre 1960 et 1963, le Congo enregistre 38 milliards de francs CFA d’investissements bruts sur son territoire, pour un PIB estimé en 1961 à 30 milliards de francs CFA. Les richesses minières attirent à elles seules, 21 milliards de francs CFA avec l’exploitation du manganèse par la Compagnie minière de l’Ogooué (COMILOG) et de la potasse par la Compagnie des potasses du Congo (CPC). Les 17 milliards de francs CFA restant sont, quant à eux, investis pour 3 milliards (18 %) dans le secteur primaire, 2,7 milliards (15 %) dans l’industrie, 6,3 milliards (37 %) dans le tertiaire, et 5 milliards (30 %) dans des programmes non économiques tels que l’éducation, la santé, l’urbanisme ou le logement. Malgré une politique libérale, ces 17 milliards ne proviennent qu’à hauteur de 5,5 milliards (32 %) de capitaux privés ; l’aide internationale (notamment la France) en fournit 7 milliards (41 %) et le gouvernement congolais 4,5 milliards (27 %).
Au niveau de la balance commerciale, la situation semble s’améliorer durant la présidence de Youlou. Alors qu’en 1960, le déficit commercial est de 5,7 milliards de francs CFA, en 1963 il n’est plus que de 4,1 milliards. Chaque année, les exportations congolaises (diamants exclus) augmentent, passant entre 1960 et 1963 de 6,1 à 7,9 milliards de francs CFA62. Elles se composent pour moitié de leur valeur de bois62. Les produits de l’industrie légère, tel que le sucre, en représentent quant à eux plus du quart62. Par ailleurs, le déficit commercial est fortement atténué par les recettes du transit. Le Congo tire en effet de forts revenus de ses infrastructures ferroviaires et portuaires qui permettent de desservir les pays frontaliers. En 1963, ce transit rapporte 2,3 milliards de francs CFA au Congo. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Fulbert_Youlou
Quant au Gabon, on ne peut plus être clair que Léon Mba, vice-président du gouvernement dans sa déclaration du 16 juillet 1958 : « Nous ne trahissons pas nos voisins africains, mais nous en avons assez de travailler pour les autres. Nous n’acceptons pas de voir Brazzaville devenir une ville champignon avec notre argent, alors que nous n’avons pas de routes ni d’infrastructures. De même, nous n’acceptons pas non plus de voir certains organismes administratifs « fédéraux » entraver notre développement économique, alors que leur rôle devrait être de le favoriser »
Plus loin il ajoute :
« On veut nous voler Mékambo ». Il s’agit d’un gisement de fer alors que le manganèse est exploité à Mouanda. »
Pour finir, il passe aux menaces :
« Si ces manœuvres continuent, le Gabon ripostera, […] il dénoncera son appartenance à l’A.E.F et demandera immédiatement à se lier à la métropole, car nous aimons la Métropole »
Ndombet, Wison-André, La transmission de l’état colonial au Gabon (1946-1966) ; institutions, élites et crises, Edition Karthala, 2009 ISBN 10 : 2811102922 / 2-8111-0292-2
ISBN 13 : 9782811102920.
Que l’Oubangui-Chari n’avait pas de projet pour lui-même me semble une évidence. Les symboles retenus étaient pensés pour les quatre territoires. Le drapeau « quatre bandes horizontales […] présentait une combinaison de couleurs […] qui apparaissaient dans les emblèmes de maints états africains. […] et même un blason avec plusieurs symboles ».
Faut-il rappeler que ce territoire, devenu colonie n’était qu’un point de passage entre le Congo et Djibouti que l’incident de Fachoda transforma en colonie ? Il n’y a pas de honte à le dire que, « Cendrillon de l’Empire » il demeura comme telle le temps des colonies comme l’établit Jean-Joël BREGEON, Un rêve d’Afrique, Administrateurs en Oubangui-Chari, la Cendrillon de l’Empire. Ed. Denoël, 1998, ISBN 2.207.24724.4
Je fais l’économie des propos outranciers que Gaston Mandata N’guerekata tient à mon endroit. Cela loin de le grandir, comme il serait tenté de le croire, donne la dimension réelle du personnage: une »équationnite » avortée.
Mais rien d’étonnant de la part d’un homme qui se prétend politique et qui en public affiche le plus grand des mépris à ses compatriotes et potentiels électeurs mais porteurs d’une opinion différente que la sienne : «Il est Assistant de Recherche, [le bas de l'echelle], charge de nettoyer les pipettes et les fesses des gorilles importes du Zaire pour le besoin des recherches de ses patrons. » et pour avoir collaboré avec lui entre novembre 2010 et juillet 2012 dans le cadre d’un projet politique en rapport avec le Rassemblement Démocratique Centrafricain, je sais de quoi je parle.
Pour certains, en RCA, il est légitime de s’interroger si Jésus est vraiment le fils de Dieu et s’il est réellement ressuscité. Si Mahomet est bien un prophète. Si Karnou a bien existé etc…Mais on n’a pas le droit de porter un regard différent que ce qui est communément admis sur Boganda et son projet politique. Je me suis affranchi de cette religion selon l’histoire et la réalité depuis une éternité. Si cela constitue pour certains une infraction, je suis au regret de leur annoncer mon impuissance face à leur intolérance et ignorance. Si, affirmer une opinion différente est une occasion pour les apôtres de la pensée unique d’insulter, d’intimider, de construire des amalgames et de faire la démonstration de leur suffisance, je suis au regret de leur dire qu’ils vont devoir faire avec moi.
En conclusion, pour le lecteur, c’est en donnant une dynamique endogène à notre pays que nous sortirons du marasme qui fait notre quotidien. Nous n’avons pas pouvoir pour modifier la géographie, nous ne pouvons pas obliger les autres à partager nos faiblesses, nos misères. Nous ne pouvons que faire avec ce qui est. Comptabilisons nos forces, dépassons nos faiblesses pour devenir forts. C’est à ce prix là que nous serons attractifs pour les autres et…le bien-être sera au rendez-vous tout comme …l’unité sera à notre portée ! Pour cela, commençons par faire autrement ce que nous avons toujours fait à commencer par la …politique.
C’est le sens de mon propos, dommage pour les « messies » centrafricains qui ne l’ont pas compris mais qui ont permis au peuple de mesurer leur ignorance malgré le confort d’un nom de plume.
Clément De Boutet-M’bamba