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Martin Ziguele: « il n’y aura pas de réconciliation sans justice. »
Publié le jeudi 6 novembre 2014  |  Autre presse
Crise
© AFP par SIA KAMBOU
Crise en Centrafrique
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Il est le Président de l’un des plus grands partis politique de la République Centrafricaine et reste très actif dans la vie politique du pays, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il a le langage franc et s’ouvre facilement aux médias lorsque son avis est demandé sur l’actualité. Ainsi, Mr Martin Ziguélé a bien voulu répondre à nos questions sans langue de bois.

Bonjour, quelle est votre analyse de la Transition qui piétine toujours ?

MZ : Je vous remercie de m’avoir donné la parole. S’il y’a une transition politique aujourd’hui, c’est justement parce que notre pays a connu pendant de longues années de graves dysfonctionnements qui ont abouti à la guerre civile. Dès lors, toute période de transition étant une période d’exception, elle ne pouvait que se dérouler dans la difficulté, et le « piétinement », comme vous dites, de la Transition actuelle peut globalement s’expliquer par le niveau de l’effondrement de l’Etat et des valeurs républicaines, suite à des décennies de mauvaise gouvernance de notre pays.

Ce serait une grave erreur d’analyse de penser que la complexité de notre situation est née « ex-nihilo » : elle est bien l’aboutissement d’un processus de désagrégation de l’Etat que nous avions vu venir et que nous avons vainement dénoncé dans le passé, comme Moïse dans le désert.

Pour en revenir concrètement à la situation actuelle, la population centrafricaine est unanime à admettre que le pays ne sort pas de l’imbroglio sécuritaire et n’avance pas non plus sur le chantier du retour à une vie constitutionnelle normale, tandis que le pays est de fait divisé en deux, sinon en trois parties : l’Ouest est contrôlé par les Anti-Balakas, l’Est par les Ex-sélékas dont certains réclament ouvertement la partition du pays et enfin Bangui dont certaines parties de la ville sont sous l’emprise des Anti-Balakas et des groupes d’auto-défense musulmans.

L’Etat est virtuel et à genoux et ni l’Armée, ni la Gendarmerie, ni la Police, ni l’Administration territoriale, ni la Justice ne sont réellement opérationnelles. Cette situation est un véritable désastre pour les droits humains, à cause de leurs massives violations, obligeant les populations à devenir des déplacés internes et aussi à s’exiler dans les pays voisins. Naturellement, l’effondrement de notre économie qui était déjà en difficultés, est sans précédent : les chiffres les plus optimistes parlent d’un recul d’au moins un tiers, sinon de la moitié, de notre PIB, c’est-à-dire de la richesse nationale. L’informellisation de l’économie est galopante, et les recettes de l’Etat sont en chute libre.

Je pense que cette situation est due aux facteurs suivants, relevant aussi bien de la responsabilité de la communauté internationale que de celle du gouvernement centrafricain:

Sur le terrain, il a été observé jusqu’à très récemment que les forces internationales n’appliquaient pas de manière systématique leur mandat d’imposition de la paix par la force et de désarmement forcé des groupes rebelles. Les dispositions de la Résolution 2149 du Conseil de sécurité placent pourtant ces forces sous chapitre 7. Si les groupes rebelles ne sont pas désarmés, comment peut-on arriver à la paix ?

En même temps que les forces internationales ne procédaient pas au désarmement systématique des groupes rebelles, le fâcheux incident de l’ENAM avait conduit la communauté internationale à s’opposer à une reprise totale d’activités des FACA. Malgré cela, le premier point de la feuille de route du gouvernement de transition avalisée par la communauté internationale est la restauration de la sécurité : comment cela est-il possible ?

Du côté du gouvernement centrafricain, beaucoup de temps a été inutilement perdu depuis la démission de Michel Djotodjia, puis l’élection de Madame Catherine Samba-Panza, dans des expérimentations institutionnelles hasardeuses, alors qu’il existe une Charte Constitutionnelle de Transition. La conséquence du non-respect de la légalité s’est entre autres manifestée par la nomination de Premiers Ministres et la formation de gouvernements dans une ambiance de querelle permanente qui a fragilisé l’Exécutif, ainsi que par la marginalisation subséquente des forces politiques véritablement républicaines , qui a favorisé un appel d’air objectif en faveur de groupes armés qui ont fini par prendre en otage et l’Etat et le régime.

Par ailleurs, alors bien même qu’il ne lui est pas permis d’avoir de vraies forces armées, et devant le fait que les forces internationales ont leur propre compréhension de leur mandat d’imposition de la paix et de désarmement, le gouvernement centrafricain a accepté sans sourciller de garder comme priorité de sa feuille de route l’instauration de la sécurité, ce qu’il ne pourra pas objectivement réussir dans les conditions actuelles. On ne peut pas s’engager à un objectif qu’on ne peut tenir.

Ce sont toutes ces raisons et ces manquements qui ont fragilisé la transition alors que l’élan pris en janvier 2014 avait suscité de réels espoirs. Cela confirme si besoin en était qu’il ne faut jamais s’écarter des textes fondamentaux de gouvernance d’un pays, au risque de se retrouver sans cap et dans une guéguerre de personnes.

Que pensez-vous de l’affaire du « don angolais » ?

Feu Sa Majesté le Roi Hassan II du Maroc- Paix à son âme- avait coutume de dire que pour gérer un pays, tout pouvoir exécutif doit pouvoir disposer de la carotte et du bâton, et que ce que la main droite du Chef fait, sa main gauche ne doit pas le savoir.

Sur le premier point, notre Exécutif qui ne dispose pas encore du bâton nécessaire pour imposer la paix ni imposer un quelconque agenda aux groupes rebelles, a voulu utiliser les carottes pour acheter la paix auprès des groupes rebelles et de leurs chefs. N’ayant pas non plus de carottes à disposition, il a dû utiliser ce qui lui tombe sous les mains y compris le don angolais qui a défrayé la chronique ces jours-ci.

Sur le second point, il n’y a plus aucun secret d’Etat chez nous ni de discrétion dans la gestion de certains dossiers sensibles. Tout se répand en rumeurs qui d’ailleurs se vérifient très souvent, ce qui signifie que les rumeurs prennent leurs sources dans les milieux du pouvoir. Comme la Radio-Centrafrique, la radio nationale, n’émet que sur Bangui depuis des lustres et que presque personne ne se préoccupe de cette situation, la rumeur a ainsi remplacé l’information, à la grande joie des personnes et des forces négatives qui manipulent à leur guise l’opinion.

Comment entrevoyez-vous le futur dialogue politique inclusif ?

Dans une république démocratique, le dialogue est permanent au niveau de l’Assemblée Nationale et du Sénat s’il y’en a un. Dans une situation de crise comme la nôtre, le dialogue est une nécessité, car dans tous les cas, il vaut mieux dialoguer que de s’affronter.

Dans notre cas, je pense que ce dialogue doit être « scientifiquement » préparé, c’est-à-dire qu’il faut bien le préparer sur le plan méthodologique , et ensuite produire des documents préparatoires de travail par rapport aux différents thématiques et objectifs attendus. Ces documents de travail seront discutés et enrichis par les parties prenantes, y compris les communautés à la base-parce qu’elles sont aujourd’hui divisées et se haïssent alors qu’elles doivent accepter de revivre ensemble- avant de réunir un dialogue final à Bangui.
Ce dialogue politique ne doit pas faire le lit de l’impunité car je ne le répèterai jamais assez, il n’y aura pas de réconciliation sans justice.

Que pensez-vous de cette nouvelle Brigade d’Intervention Rapide ?

Cette décision traduit certainement la volonté de l’exécutif de transition d’avancer sur le chantier de la réhabilitation des Forces Armées Centrafricaines. Cependant je pense qu’il faut privilégier une démarche globale et méthodique, de concert avec la communauté internationale, pour éviter que cette initiative louable dans ses intentions ne conduise à une plus grande fragilisation de l’institution militaire et de la situation.

Pouvez-vous nous situer sur cet embargo qui frappe les Forces Armées Centrafricaines ? Quels textes ?

Lisez la résolution 2149 des Nations unies, elle ne préconise nulle part un embargo sur les armes contre les Forces Armées Centrafricaines mais plutôt contre les groupes rebelles. La preuve est qu’en mars dernier, les FACA avaient été invités à un grand rapport à l’ENAM pour leur réengagement, en présence de la Présidente de Transition, des représentants de la communauté internationale et des medias nationaux et internationaux présents à Bangui. C’est le drame qui s’est produit là-bas à la fin de cette cérémonie, qui a motivé le coup d’arrêt de la reprise des FACA.

C’est donc à tort que nous entendons beaucoup de personnes- et même des médias- affirmer que c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui a demandé de désarmer les FACA. Il suffit de se donner la peine de lire l’ensemble des résolutions pour savoir que cela est faux.

A quand la restructuration des FACA ? Faille-t-il attendre la venue du futur locataire du Palais de la Renaissance ?

La restructuration des FACA fait effectivement partie du projet global de Réforme du Secteur de la Sécurité, avec son corollaire le programme DDR. C’est un chantier fondamental qui s’étendra naturellement au-delà de la transition mais qu’il urge de commencer sans attendre, compte tenu de la situation sécuritaire du pays, et du poids financier que représente la prise en charge actuellement par l’Etat des FACA, sans contrepartie réelle parce que fondamentalement le statu quo demeure.

Là aussi, il faut agir avec méthode et bien expliquer sa démarche : il faut discuter sereinement avec tous nos partenaires pour refonder une armée républicaine, professionnelle et véritablement nationale. Je pense à la création sur la base des effectifs actuellement recensés et mobilisés, de nouvelles unités englobant l’ensemble des personnels militaires. Par exemple, comme du temps de Jean-Bedel Bokassa, des missions de sécurisation statique, de génie et même de reconstruction peuvent déjà leur être confiées, et parallèlement pourra s’organiser, de manière encadrée et balisée, leur montée en puissance progressive.

La présence des forces internationales sur notre sol est une opportunité unique pour permettre à nos Forces de Défense et de Sécurité de se professionnaliser. Avec la réintroduction des pratiques professionnelles aujourd’hui disparues dans nos Forces, comme la signature par tout soldat du contrat d’engagement triennal et la notation individuelle, bref avec le retour de la discipline dans les armées et sa dépolitisation, je suis convaincu que la séparation du bon grain et de l’ivraie se fera alors d’elle même.

La Transition s’achèvera au 15 février 2015. Au 16 février la RCA sera régi par quel texte et gouvernée de quelle manière ?

L’article 102 de la Charte Constitutionnelle de la Transition dispose ce qui suit « La durée de la transition est de dix-huit (18) mois, portée à vingt-quatre (24) mois sur avis conforme du Médiateur. En cas de nécessité, la durée de la transition peut être examinée par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC sur proposition conjointe et motivée du Chef de l’Etat de la Transition, du Premier Ministre et du Président du Conseil National de Transition. La période de transition débute par une cérémonie officielle après l’entrée en vigueur de la présente Charte Constitutionnelle de Transition. Les Juges Constitutionnels ensuite le Chef de l’Etat de transition prêtent serment à l’occasion de cette cérémonie. »
L’entrée en vigueur de la Charte datant du 18 aout 2013, la fin de la transition est fixée au 18 février 2015, mais comme le dit la loi cette durée peut être portée à vingt-quatre mois, c’est-à-dire au 18 août 2015. Voilà ce que dit la loi.
Pensez-vous que les élections peuvent toujours avoir lieu au premier trimestre 2015 ?
L’Autorité Nationale des Elections, qui est seule compétente en la matière, a déjà dit par la voix de son Président que les élections ne pourront pas avoir lieu avant octobre 2015, pour des raisons principalement financières et sécuritaires. Nous en avons pris acte et demandons que le processus électoral fasse l’objet de plus d’attention de tous, pour permettre à notre pays de sortir de cette zone de turbulences.

Serez-vous candidat ?

Le MLPC en décidera lors de son prochain congrès extraordinaire convoqué pour le 22 novembre 2014 à Bangui. Au MLPC, on ne s’autoproclame pas candidat car dans notre Parti il existe deux principes fondamentaux en la matière : le Président du Parti n’est pas automatiquement son candidat aux élections présidentielles et tout militant peut être candidat. C’est d’ailleurs sur la base de ce principe que j’ai été candidat du Parti en 2005, sans être à l’époque Président du parti.

Est-ce que le MLPC ne risque pas d’être fragilisé avec 3 candidats issus de ce parti mais qui le seront pour d’autres entités pour les deux autres (Vous, Mr Sylvain Patassé et Mr Anicet Dologuélé) ?

Je vous répète qu’au MLPC nous ne nous autoproclamons pas candidat, donc votre assertion n’est pas vérifiée à ce jour quand vous me citez parmi les candidats. En plus il faut bien vérifier vos informations relatives à l’appartenance de telle ou telle autre personne au MLPC, qui se matérialise toujours par la détention d’une carte de militant. Dans tous les cas, l’élection présidentielle est une rencontre entre un homme - ou une femme- et le peuple, et c’est le peuple qui décide.

Quel est votre message aux Autorités de la Transition et au peuple Centrafricain ?

Mon message est que la persistance de la crise sécuritaire, politique et humanitaire de la RCA requiert de notre part beaucoup d’abnégation et de lucidité. Nous devons continuer à dialoguer avec la communauté internationale pour arriver à une application sans réserve des résolutions pertinentes des Nations Unies en vue d’imposer la paix et de désarmer les groupes rebelles. Cela induit la reprise forcée des mains des groupes rebelles des zones d’exploitation illicite des diamants et de l’or, qui servent à leur financement et à leur résilience. Nous devons tous œuvrer à la reconstitution des fonctions régaliennes de l’Etat, y compris les Forces de défense et de sécurité, de la chaîne pénale et à l’organisation rapide des élections.

Nous devrons aussi œuvrer sans relâche à la restauration de l’administration civile, policière et militaire à l’intérieur du pays, ce qui favorisera le retour des déplacés et des réfugiés dans leurs foyers, avant et après un dialogue bien préparé.
Le chantier est vaste et délicat, mais pas impossible puisque nous ne sommes pas seuls aujourd’hui. Pour la première fois de notre histoire la communauté internationale est à notre chevet de façon compréhensive comme l’atteste l’étendue du mandat conféré par la résolution 2149 à la MINUSCA.

Je conclus en citant notre Père Fondateur Barthélémy Boganda qui aimait répéter cet adage : « lorsque vous montrez une étoile à un demeuré, au lieu de voir l’étoile, il regarde votre doigt».

Malgré les indicibles souffrances qui nous brouillent la vue et l’esprit, ne voyons pas le doigt qui nous montre l’étoile, mais voyons l’étoile.
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