L'ex-président centrafricain François Bozizé a été exclu de la course à la présidentielle du 27 décembre. Revenant sur le coup d'Etat qui lui a fait perdre le pouvoir, il dénonce à demi-mot son ex-homologue Idriss Déby.
En Centrafrique, 30 candidats postulent à la présidentielle de dimanche, censée tourner la page d'une violente et profonde crise qui a déchiré le pays ces trois dernières années. La candidature de François Bozizé, en exil depuis son renversement en 2013 par la rébellion Séléka, a été rejetée par la Cour constitutionnelle notamment en raison de sanctions internationales contre lui car il est accusé d'avoir soutenu les violences criminelles des milices anti-balaka contre les civils musulmans.
L'ex-président centrafricain se livre rarement dans les médias. Mais il a accordé une interview à la Deutsche Welle. Ecoutez François Bozizé au micro de Eric Topona en cliquant sur l'image et retrouvez la transcription de cet entretien ci-dessous.
Eric Topona : François Bozizé, bonjour.
François Bozizé : Bonjour.
Votre candidature à la présidentielle du 27 décembre prochain a été invalidée. Est-ce que vous étiez déçu ?
F.B. : Déçu, plus ou moins. C’est méchant envers une autorité de mon rang, qui a exercé des fonctions de Président de la République pendant dix ans dans le pays, et aujourd’hui, on ne me reconnaît plus. Et je suis jeté…
Pourtant, vous et votre tombeur, Michel Djotodia, êtes sous le coup de sanctions de l’ONU. Est-ce que l’invalidation de votre candidature n’était pas prévisible ?
F.B. : Oui, mais quelles sanctions, venant d’où ?
De l’ONU, notamment.
F.B. : Non, à l’ONU, il y a deux points : blocage de mon salaire et ensuite ne pas voyager. C’est tout.
Selon François Bozizé, "les accords de Libreville (de l'été 2014) sont caducs".
Et donc vous avez le droit, selon vous, de participer à cette présidentielle ?
F.B. : Normalement. On évoque la décision des accords de Libreville. Les accords de Libreville sont caducs. Les accords de Libreville reconnaissaient que je devais terminer mon mandat. Il me restait trois ans. Puis j’ai été suspendu par ce complot qui m’a obligé à quitter le pays. Et maintenant, je suis candidat comme tout citoyen centrafricain, et je ne vois pas pourquoi on m’a empêché d’être candidat. Ils ont peur tout simplement de ma popularité, et puis c’est tout. C’est connu : il y a eu des sondages où je devais passer au premier tour, tout simplement.
Monsieur Bozizé, pourquoi votre parti n’a pas désigné un autre candidat à votre place ?
F.B. : Pourquoi ? Ce n’est pas une obligation. Le parti choisit toujours une personne. Cependant il y a un candidat indépendant de mon parti qui joue son jeu. Il est libre de le faire, c’est la démocratie.
Et vous soutenez personnellement quel candidat, parmi les 30 en lice ?
F.B. : Jusque là, c’est le bureau politique qui va décider, comme ils ont décidé en ce qui me concerne. C’est au bureau politique de pouvoir se prononcer dans ce cas.
J’espère qu’ils vont se prononcer avant la présidentielle, parce que le 27 c’est bientôt.
F.B. : On verra bien. (NDLR: le Kwa na Kwa (KNK) a décidé mardi de soutenir Anicet Georges Dologuelé)
Monsieur Bozizé, les premiers résultats du référendum constitutionnel sont en train de tomber. Et le « oui » l’aurait remporté avec près de 90% des voix, même si le taux de participation n’a atteint que 30%. Est-ce que vous êtes satisfait ?
F.B. : Je n’ai pas été associé à l’élaboration de cette Constitution. Je suis absent du pays depuis bientôt trois ans. Qu’est-ce que vous voulez que j’aie à dire là-dessus ? C’est quelque chose monté de toute pièce pour satisfaire certains intérêts. On verra ce que ça va donner, l’avenir nous apportera plus de précisions sur la situation du pays.
Selon nos informations, dans votre fief de Bossangoa, le taux d’abstention était assez élevé. Est-ce que vous avez tacitement appelé vos électeurs de Bossangoa à ne pas aller voter le jour du référendum ?
F.B. : Oh non, je n’ai rien fait. Chaque citoyen a le devoir de prendre la décision qui lui convient dans ce genre de situation. Je ne m’en mêle pas.
Comment expliquez-vous ce fort taux d’abstention dans les régions considérées comme votre bastion, votre fief ?
F.B. : Je n’ai pas de commentaire à faire là-dessus, c’est vous qui me l’apprenez. Je laisse le soin à la population de se prononcer, ce n’est pas à moi de me prononcer à leur place.
Lors du référendum, il y a eu beaucoup de violences, à Bangui et dans certaines provinces. Est-ce que vous croyez que le 27 (décembre), l’élection aura lieu sans anicroche ?
F.B. : Vous savez, tous les ingrédients de la contestation sont là. A la commission électorale, les responsables ont démissionné de toute part. Malgré cela, on continue. Moi j’avais souhaité que ce soit après un dialogue inclusif, mais malheureusement, ils en ont décidé autrement. Nous verrons ce que l’avenir va donner. C’est une affaire de la population, maintenant, ce n’est plus l’affaire de Bozizé en tant qu’individu.
Est-ce que vous envisagez de rentrer à Bangui, après l’installation du nouveau Président qui sera élu ?
F.B. : Posez la question à Madame la Présidente de transition et le nouveau Président élu de mon pays…
Mais est-ce que vous y pensez ?
F.B. : C’est mon pays. Je dois m’y rendre et voilà qu’on m’empêche de rentrer chez moi. Pourquoi ?
Que répondez-vous à ceux qui pensent que de votre exil, vous tirez les ficelles ?
F.B. : Oh, ils sont dépassés tout simplement. Il faut bien qu’ils trouvent quelqu’un à rendre responsable de la situation. Moi je suis à plus de 4000 km du pays, et ils veulent tout mettre sur mon dos. Ceux qui ont créé le tort, ce n’est pas moi. Moi, j’ai dirigé le pays normalement, toutes les institutions du pays fonctionnaient normalement, toutes les institutions démocratiques du pays fonctionnaient normalement. J’ai été agressé, et j’ai choisi de ne pas faire couler le sang. Et après moi, c’est le désastre, et voilà que je me retrouve à l’étranger. "C’est Bozizé, c’est Bozizé"… Qu’est-ce que vous voulez ? Ce sont eux qui ont le micro, et ils peuvent parler. La population sait exactement ce qui se passe, je n’ai pas de commentaire particulier à faire là-dessus. Ma conscience est tranquille.
Vos détracteurs pensent que vous seriez derrière les anti-Balaka…
F.B. : Mais je le répète toujours : les anti-Balaka sont l’émanation des exactions de la Séléka.
Quelle est votre réaction suite à l’auto-proclamation faite cette semaine par Noureddine Adam ? Il a déclaré la création d’un nouvel Etat dans le Nord de la Centrafrique.
F.B. : Il ne peut pas se permettre cette fantaisie. Non, la République centrafricaine est une et indivisible. Ils doivent se le mettre dans la tête. Je ne suis pas d’accord avec eux là-dessus : ils le font sur quelle base ? Rien du tout.
Noureddine Adam pense que les ressortissants du Nord du pays subiraient des frustrations, d’où l’auto-proclamation.
F.B. : Je ne suis pas au pouvoir, posez la question à ceux qui sont au pouvoir. C’est à eux de résoudre ce problème. Mais pour moi, la République centrafricaine est une et indivisible. Lorsque j’étais au pouvoir, il n’y avait pas tous ces problèmes. Les problèmes sont le produit de tout ce qui s’est déroulé après moi. Pourquoi ? Les dirigeants du pays sont là, posez-leur la question.
Pourtant, Monsieur le Président, vous avez été renversé par la Séléka, une coalition à dominante musulmane, en 2013.
F.B. : Oui, mais ils ont été tout simplement instrumentalisés. La preuve, c’est qu’ils sont maintenant contraints d’occuper un territoire et de créer un Etat. Je n’avais pas de problème avec un seul musulman, qu’il s’agisse de musulmans mauritaniens, sénégalais, nigérians, nigériens, tchadiens, camerounais, libanais. On n’avait aucun problème dans mon temps. Tout cela, c’est après moi. Comment dirigent-ils le pays ? On avait dit que Bozizé était un dictateur, mais voilà qu’après moi, le sang coule : près de 5000 morts ! Je crois bien que la vérité est là, et c’est ça qui fait ma popularité. Et ils ont peur que je rentre au pays à cause de cela.
Vous parliez tout à l’heure d’instrumentalisation de certains leaders de la rébellion du Nord du pays. Vous faites allusion à quel pays, ou à qui principalement ?
F.B. : Ils ont été soutenus, on les a salués avec les mains couvertes de sang…
Soutenus par qui ?
F.B. : … et maintenant, on les accuse de terreur.
Soutenus par qui ?
F.B. : Je vous laisse le soin de deviner.
Le Tchad par exemple ?
F.B. : Je ne peux pas prononcer le nom de qui que ce soit.
Quelles sont vos relations avec le Président (tachdien Idriss) Déby ?
F.B. : Vous savez, avec le Président Déby, c’était un confident. Je peux le dire clairement. Mais vous savez que la politique a plusieurs chemins. Nous avons connu ce que nous avons connu. Mais qu’est-ce qu’il a fait de son propre gré, ce qu’il a subi comme pressions, c’est là le point d’interrogation. Je le considère comme un ami et un confident.
Vous pensez que c’est lui qui a été l’auteur de votre chute ?
F.B. : Non, je ne peux pas… Je dis bien : est-ce qu’il n’a pas subi des pressions, quelque chose de ce genre ? C’est ce que je dis. Mais le passé, c’est le passé. Ce n’est pas la peine de revenir là-dessus. Nous avions des bonnes relations, des relations exceptionnelles entre le Tchad et la République centrafricaine de mon temps. C’est connu du monde entier.
Vous ne lui en voulez pas, au Président Déby ?
F.B. : J’aimerais quand même le rencontrer pour en discuter, puisqu’habituellement, on se parle sans ambages.
La dernière fois que vous lui avez parlé, c’était quand ?
F.B. : Un peu avant que je ne quitte Bangui.
Donc depuis lors, le contact a été rompu ?
F.B. : J’ai cherché à prendre contact avec lui depuis, mais ce n’est pas facile. Est-ce que les commissionnaires ont rempli leur mission dans de bonnes conditions, je me pose bien la question.
En cette veille d’élection présidentielle, quel message avez-vous à lancer à vos compatriotes ?
F.B. : C’est terrible de me demander cela, dans la mesure où on m’empêche de me prononcer sur le problème de mon pays. On m’empêche d’être candidat. On m’empêche de rentrer au pays. Que voulez-vous que je puisse dire ? Moi je suis peiné de ne pas pouvoir me prononcer là-dessus. Je souhaite bonne chance à mon pays. Je suis un homme de paix, je suis un citoyen très attaché à la démocratie, à la liberté. Mais hélas, est-ce la liberté, la démocratie, qui se déroule actuellement après moi, avec des containers de morts par-ci par-là ? Dieu est Dieu de Justice, il rendra sa justice un de ces quatre matins. C’est tout ce que j’ai à dire. Je leur souhaite bonne chance.
Merci beaucoup, Monsieur le Président.
F.B. : Merci.