Près de trois ans après la chute de François Bozizé, et au terme d’une longue transition dirigée par Catherine Samba-Panza, les Centrafricains vont se rendre aux urnes demain afin d’élire leurs parlementaires et un nouveau président. Déliquescence de l’État, effondrement de la croissance, violences inter-religieuses… Il est temps de tourner la page.
Cette fois-ci, c’est la bonne. Maintes fois reporté, le premier tour de l’élection présidentielle en Centrafrique aura bien lieu mercredi 30 décembre. Pendant plus de deux semaines, les 30 candidats officiels auront fait campagne intensément. Décryptage des forces en présences et des enjeux du scrutin. Avec une carte qui permet de mieux comprendre à quoi le pays est confronté.
Les candidats favoris
Selon certains observateurs, Martin Ziguélé semble partir avec une longueur d’avance. À 58 ans, l’ancien Premier ministre est l’un des candidats les plus expérimentés, doté d’un programme sérieux et technique. Son parti, le MLPC (créé en 1979 par l’ancien président Ange-Félix Patassé), est sans doute l’un des mieux structurés du pays. Mais Ziguélé pourrait être victime des étiquettes qui lui collent à la peau. Celle d’avoir soutenu le coup d’État de la Séléka en mars 2013, notamment. Celle aussi d’être le candidat de la France. Dans l’imaginaire de certains Centrafricains, il reste par ailleurs associé aux terribles répressions qui ont eu lieu à Bangui après le coup d’État raté contre le président Patassé, en 2001. Événements pendant lesquels il était Premier ministre et pour lesquels il a par la suite été blanchi par la justice.
Autre favori du scrutin, Anicet-Georges Dologuélé a frappé fort en signant un accord politique avec le KNK de François Bozizé. Car même s’il est très divisé, l’électorat gbaya – l’ethnie de l’ancien président centrafricain – n’est pas négligeable : en 2011, Bozizé s’était imposé au premier tour avec 64,34 % des voix. Le soutien du KNK sera-t-il suffisant ? Candidat depuis juillet 2015, Dologuélé, prédécesseur de Ziguélé au poste de Premier ministre de 1999 à 2001, a profité des reports du scrutin pour déployer son jeune parti, l’Union pour le renouveau centrafricain (Urca, créée en octobre 2013), sur l’ensemble du territoire. Mais l’ancien Premier ministre est resté jusque très récemment moins visible que son principal adversaire, Ziguélé.
Karim Meckassoua s’est lui aussi érigé en favori grâce à une campagne intense et efficace. Ancien ministre de François Bozizé pendant six ans (et à cinq portefeuilles différents) après avoir dirigé le cabinet de Jean-Paul Ngoupandé, éphémère chef du gouvernement d’Ange-Félix Patassé, Meckassoua, 60 ans, dispose de ressources financières importantes et du soutien du président congolais, Denis Sassou Nguesso. Mais, cet ingénieur de formation, docteur en ergonomie, bénéficie-t-il d’un ancrage local assez important pour jouer les premiers rôles ? Et, surtout, ce musulman domicilié dans l’emblématique quartier du PK5, à Bangui, parviendra-t-il à convaincre les électeurs qu’il peut être le candidat de tous les Centrafricains ?
Les outsiders
Selon la majorité des observateurs, ceux-là ont peu de chances d’être élus mais ils pourraient faire basculer le rapport de force. Tous deux sont fils d’anciens présidents, il s’agit de Sylvain Patassé et de Désiré Kolingba. À 46 ans, le premier est un novice en politique à qui le costume de président a longtemps semblé trop grand. Expert évaluateur en diamant de profession (il a notamment travaillé pour le bureau d’achats Badica, aujourd’hui sous sanction de l’ONU pour avoir « fourni un appui financier à l’ex-Séléka et aux forces anti-balaka »), il a créé son parti, Centrafrique nouvel élan, en 2014.
Le fils d’Ange-Félix Patassé veut capitaliser sur l’héritage politique de son père, au pouvoir de 1993 à 2003. « N’oublions pas qu’en 2011, juste après son retour d’exil, Patassé père a fait 21 % presque sans faire campagne », rappelait récemment un ancien ministre de Bozizé, qui notait que Patassé est très présent depuis plus d’un an. Son poids politique a même été jugé assez important pour qu’Anicet-Georges Dologuélé entame avec lui des discussions dès le mois de septembre.
Il y a un mois, Désiré Kolingba faisait encore figure d’épouvantail du scrutin capable de jouer les trouble-fête. Mais, faute de moyens financiers suffisants, Kolingba est resté très discret pendant une bonne partie de la campagne. Bénéficiant de ses entrées au Tchad (Idriss Déby Itno avait fait de lui son premier choix à la succession de Michel Djotodia à la tête de la transition centrafricaine), celui qui fut ministre de François Bozizé entre 2004 et 2011 peut pourtant s’appuyer sur le maillage du parti créé par son père, André, le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), présent en Centrafrique depuis 1987. Le profil de ce musulman converti depuis les années 1980 après son première mariage (une malaisienne) doté d’une solide expérience politique est toujours l’objet de fortes convoitises, notamment du MLPC de Martin Ziguélé.
Les enjeux du scrutin
Cette élection, qui doit permettre de tourner la page d’une crise débutée en mars 2013 quand la coalition rebelle Séléka a renversé François Bozizé, se tiendra alors que l’État ne contrôle par l’intégralité du territoire centrafricain : à l’Ouest, les anti-balaka perturbent quotidiennement la vie des populations ; au Sud-Est, la LRA de Joseph Kony menace toujours ; enfin au Nord et au Nord-Est, les groupes issus de l’ex-Séléka ont mis en place une organisation parallèle qui leur permet de générer d’importants profits.
Si ces groupes armés ne devraient pas autant perturber le vote que lors du référendum constitutionnel, les élections présidentielle et législatives risquent fort de ne pas remplir les standards démocratique tant leur organisation a été difficile. Présidents de bureaux et des assesseurs mal formés, bulletins de vote et cartes d’électeurs pas totalement acheminés… La liste des problèmes logistiques auxquelles les autorités de transition ont fait face est longue et a nécessité un léger report de trois jours. Mais elles restent d’actualité et risquent d’entacher la crédibilité du scrutin. Plusieurs candidats se sont d’ailleurs inquiétés de l’existence d’un trafic de fausses cartes d’électeurs.