C’est avec consternation que j’apprends par Jeune Afrique et RFI que des compatriotes candidats aux élections présidentielles centrafricaines se sont réunis le dimanche à l’hôtel Ledger pour dénoncer le processus électoral en cours et réclamer viva voce l’arrêt pure et simple du processus. Selon eux, des insuffisances d’organisations, des multiples irrégularités et des intimidations qui auraient entachées l’organisation du scrutin sont de nature `à compromettre la véracité du verdict des urnes, et partant, à entrainer un nouvel embrasement du pays.
Nous comprenons que les compatriotes candidats à ces élections soient frustrés par les manquements qui ont accompagné le processus électoral ; surtout si cela aboutit à leur écartement ipso facto d’une possible participation au deuxième tour. Mais de-là à ouvrir la porte à une crise politique de trop qui pourrait compromettre la bonne marche du pays vers son relèvement de la pire des crises politiques et militaires de son histoire qui l’a frappé ces dernières années, il faut réfléchir par deux fois.
Les conditions dans lesquelles ces élections ont été organisées sont à ne point en douter loin d’être les meilleures. L’on ne peut pas nier qu’il y ait eu des irrégularités et des insuffisances dans l’organisation. La situation, dès le départ, était telle que ces élections ne pouvaient être organisées que dans des conditions a minima. Les fraudes en faveur des uns ou des autres étaient inévitables. Tous étaient conscients de cela. Tous avaient choisi d’aller malgré tout aux élections parce qu’il faut que le pays sorte assez rapidement de ce bourbier dans lequel il traine depuis trois ans au moins, forçant nos peuples à ployer sous le poids du fardeau de cette trop longue crise.
Je lance donc un appel vibrant et pressant à tous les candidats à surseoir à leurs intérêts politiques personnels et à accorder la préséance aux intérêts de la République de Boganda qui doit se relever sans plus tarder et dans la concorde. Je vous invite de tout cœur à un sursaut patriotique en évitant à la Centrafrique une crise politique inutile et de trop. L’heure est à la reconstruction nationale. Sans vouloir souscrire à une quelconque manipulation que ce soit, je me dois de reconnaitre que les deux candidats en tête ne sont pas des moindres, mais comme bon nombre d’entre vous, sont des fils du pays avec des capacités et des profils valables et intéressants pour l’accomplissement de la lourde tâche de la reconstruction nationale. Et il faudra pour cela un seul des candidats pour être le prochain Président centrafricain.
Il faut épargner à tout prix à la Centrafrique une autre crise politique post-électorale. Il faut arrêter d’enfreindre à la dignité centrafricaine en étalant un spectacle désolant et inutile aux yeux du monde ; le monde qui nous regarde avec espoir de nous voir prendre enfin notre destin en main avec patriotisme et un sens de responsabilité. Le peuple a donné le ton et l’exemple en sortant massivement voter, même dans des conditions sécuritaires des plus déplorables. Comme prétendant au fauteuil présidentiel, vous devez être à la hauteur du défi sous peine de se disqualifier à jamais devant le peuple. Ce peuple qui, en dépit de la paupérisation économique et anthropologique quand lui a imposé au fil des années pour mieux le manipuler, sait tout, voit tout et qui continue de faire preuve de résilience et de clairvoyance.
Je crois savoir qu’un des problèmes majeurs, c’est la discordance entre le numéro des candidats sur le bulletin de vote et sur les procès-verbaux. La question que l’on peut se poser dans ce cas de figure, c’est celle de savoir si : primo, est-ce que cette confusion a contribué de toute évidence à améliorer le score de ceux qui sont en tête de course, notamment des deux premiers ? Secundo, est-ce que cette confusion a contribué à réduire drastiquement le score d’un candidat qui aurait pu être parmi les deux premiers ou même gagner les élections au premier tour ?
Tels sont les seuls deux scenarii qui peuvent compromettre sérieusement la véracité du verdict des urnes. Il appartient à chacun des candidats de faire son examen et de voir s’il entre dans l’un ou l’autre de ce cas de figure. Et s’il est avéré qu’un candidat aurait pu gagner mais que ses voix ont été attribuées à un autre candidat, il se doit de documenter les faits et faire suivre ses plaintes par la voie légale. Agissant ainsi, il préservera la paix et la cohésion sociales dont nous avons cruellement à cette étape de notre histoire. Il fera preuve de maturité politique.
En humble compatriote, soucieux du relèvement centrafricain, déterminé à voir le peuple centrafricain être rétabli assez rapidement dans ses droits à la paix, à la sécurité, à l’éducation, à la santé et au développement de sa nation,
Au nom de Barthelemy Boganda qui a donné sa vie pour le bien de son peuple,
Au nom des nombreux martyrs de nos intérêts politiques égoïstes et des crises politiques sans fin qui en sont découlées,
Au nom du peuple centrafricain qui a longtemps souffert de nos mauvaises gouvernances, nos manipulations politico-politiciennes et nos mépris de la loi fondamentale sensée régir notre vie comme nation,
Au nom du bien commun et de l’intérêt suprême de la nation centrafricaine,
J’invite chacun des candidats aux élections présidentielles de notre pays et signataires du fameux document de Ledger:
A faire preuve de fidélité au code de bonne conduite qu’ils ont signé et aux dispositions légales du code électoral ;
A privilégier les moyens pacifiques et légaux mis en place pour gérer les litiges électoraux ;
A apporter leur soutien à l’amélioration du processus électoral malgré ses limites et défaillances ;
A envoyer vos représentants surveiller le dépouillement dans le centre de traitement de l’ANE, comme cela est requis ;
A ne pas mobiliser leurs sympathisants dans la rue, mais à les encourager à la patience, au fairplay et au patriotisme ;
A consentir à des sacrifices et compromis, sans compromission, pour donner à la Centrafrique et au peuple centrafricain une chance de renouer avec un futur serein et stable.
La Centrafrique a trop souffert des crises politiques ou militaires qui n’ont fait qu’accroitre la souffrance du peuple centrafricain. Il faut à tout prix lui éviter une crise post-électorale en suivant strictement la voie légale.
Je vous remercie de votre patriotisme et de votre bonne foi.
Vive la République Centrafricaine et que Dieu nous bénisse.
Nairobi, le 5 Janvier 2016
Paterne A. MOMBE, SJ