Mon pronostic que je vous ai fait partager dans un de mes articles en 2015, se révèle comme une prédiction tarpéienne. Quel qu’il soit, le futur président sera mal élu. J’indiquais que le candidat qui arriverait en tête du premier tour ne franchirait pas la barre des 25 % des suffrages exprimés. Les votes des Centrafricains le confirment. Anicet-Georges Dologuélé ne fait que 23,8 % des voix, et son challenger, Faustin-Archange Touadéra, ne franchit pas les 20 %, exactement 19, 4 %.
Dès lors, quelle que soit la mécanique des reports des voix au second tour, le président à venir sera mal élu. Il lui faudra en effet récolter tous les suffrages des 28 recalés du premier tour, à taux de participation égal, pour espérer obtenir une sorte de majorité consensuelle. A cette condition, ce ne sera plus un rassemblement mais la Tour de Babel.
Déjà, les maîtres à penser se mobilisent ; le président élu devra composer avec son concurrent malheureux pour constituer un gouvernement d’union nationale. Ainsi, les mêmes qui critiquent les Africains pour leur propension au régime des « partis uniques », sont les premiers à en suggérer l’adoption une fois les élections passées, au mépris de toutes les règles démocratiques. Ils oublient, ou feignent d’oublier lorsqu’il s’agit de protéger leurs intérêts, que la démocratie élective, c’est un gouvernement responsable face à une opposition forte.
1 – Le premier tour consacre la défaite de l’Alliance démocratique pour la transition (AFDT).
L’alliance démocratique pour la transition, héritière du FARE (Front pour l’annulation et la reprise des élections de 2010), qui constituait l’opposition démocratique au président déchu François Bozizé, est la grande perdante de ces élections présidentielles en RCA.
Regroupant une plateforme de cinq partis politiques, dont les deux principaux et les plus importants, le MLPC (Mouvement de Libération du peuple centrafricain) et le RDC (Rassemblement Démocratique Centrafricain), l’AFDT n’a pas été capable ou n’a pas voulu présenter un seul candidat d’union au premier tour. La dispersion des votes, résultat d’une pléthore de candidatures, a favorisé l’émergence de deux outsiders, Anicet-Georges Dologuélé et Faustin-Archange Touadéra.
2 – Le pouvoir de nuisance de François Bozizé demeure intact.
Le premier tour des élections présidentielles permet de mesurer le pouvoir de nuisance du Kwa na Kwa et de son président, le général François Bozizé actuellement en exil en Ouganda.
N’oubliez pas que ce parti de bric et de broc s’est illustré en 2010 en imposant la famille du président à l’assemblée nationale. Un quart des députés était constitué par les seuls membres de la famille du président, à l’issue d’une élection législative où les fraudes massives étaient manifestes et scandaleuses, pour tous les observateurs.
En appelant ses militants à voter en faveur de l’ancien premier ministre Dologuélé, le bureau politique du KNK a divisé ses supporteurs. La jeunesse du mouvement, passant outre les consignes nationales, s’est mobilisée autour de la candidature de Faustin-Archange Touadéra, le dernier premier-ministre de François Bozizé. Ce partage des voix entre les deux candidats potentiels du second tour est un vote ethnique porteur de lourds nuages pour l’avenir. En effet, il faudra savoir qui, des milices anti-Balaka ou des militaires déserteurs des forces armées centrafricaines demeurées fidèles à Bozizé, se sont prononcés en faveur de l’un ou de l’autre. En l’état, le futur gagnant de la présidentielle sera l’otage du président déchu, en particulier pour ce qui concerne Anicet-Georges Dologuélé qui a déjà fait vœu d’allégeance.
Seul le soutien unanime et indéfectible de l’ensemble des recalés du premier tour à un seul candidat pourra contrebalancer le pouvoir nocif du KNK, en permettant au gagnant d’apparaître comme le candidat du rassemblement de la majorité des Centrafricains. Encore faudra t-il que ce report massif se fasse au profit du candidat le mieux disposé au rassemblement. Voilà L’État des lieux.
3 – Les vertus usurpées de Monsieur Propre.
Bien mis de sa personne et tiré à quatre épingles comme tout banquier qui se respecte, Anicet-Georges Dologuélé (AGD) promène une timidité qui dissimule mal l’arrogance des parvenus et la suffisance des premiers de la classe.
De son passage à la Primature sous le président Ange-Félix Patassé, on retiendra surtout la dénomination de son gouvernement, intitulé « Gouvernement d’action et de combat pour la promotion de la culture démocratique ». Il était auparavant le ministre du budget dans le précédent gouvernement dirigé par le premier-ministre Marcel Gbézéra-Bria.
Dès sa nomination comme premier-ministre le 3 janvier 1999, le nouvel impétrant cumule sa fonction de chef du gouvernement avec celles de ministre de l’économie, des finances, du plan et de la coopération internationale !
Comme je l’ai écrit par ailleurs, « l’intéressé phagocyte tout l’espace économique et financier du pays et, surtout, tous les circuits par lesquels transite l’essentiel des flux financiers intérieurs et extérieurs de L’État centrafricain. »
Anicet-Georges Dologuélé s’auto-proclame Monsieur Propre, et se fixe comme objectif de « nettoyer les écuries d’Augias », tel Hercule fils de Zeus.
En première instance, il découvre le gouffre béant du budget de L’État. Il en prend prétexte pour se séparer des directeurs respectifs des services collecteurs et gestionnaires des finances publiques : les Douanes, le Trésor public et les Impôts.
En second lieu, au lieu de redresser l’économie et d’apurer les contentieux liés aux arriérés de salaires et traitements de la fonction publique, le nouveau gouvernement se lance au contraire dans une politique de dérégulation qui va appauvrir L’État, mais enrichir un homme et sa famille, le président centrafricain Ange-Félix Patassé.
Le gouvernement va mener une politique de privatisation conduisant à la cession à vil prix de la société Pétroca, spécialisée dans la distribution de produits pétroliers, aux sociétés françaises Elf et Total.
Pétroca n’est pas la seule société privatisée. Il en ira de même de la société de fourniture d’électricité, ENERCA., ainsi que de la société URBA (uranium de Bakouma). Le gouvernement procède de la même manière pour le secteur du diamant : les sociétés d’exploitation et de commercialisation de ces gemmes se verront toutes retirer leur agrément, à l’exception de la société La Colombe du président Patassé, dont le conseil d’administration est confié à son fils, Patrick.
Plus d’une vingtaine de grandes entreprises relevant de cinq secteurs prioritaires de l’économie furent touchées par la politique de dérégulation, c’est-à-dire d’ultra libéralisation de l’économie. Le désengagement de L’État touche également le secteur bancaire, qui est totalement privatisé.
Au lieu donc de lutter efficacement contre la corruption, le jeune premier-ministre d’Ange-Félix Patassé se fit très vite happé par la « machine à piller ». De déductions fiscales et douanières en rétro-commissions, il gagna un surnom, « Monsieur 10 % ». La rumeur lui prête en effet la manie d’exiger un tel pourcentage sur toutes les transactions financières avec L’État. Il devint très vite le point d’entrée des hommes d’affaires de la place et des affairistes de tout poil.
Une affaire de trafic de produits pétroliers, le dossier Zongo Oil le perdit. Zongo Oil est une société de droit privé lors de sa constitution. A l’origine, la société a été imaginée pour fournir du carburant aux troupes du rebelle congolais Laurent Désiré Kabila, en République démocratique du Congo, en lutte contre le gouvernement légal du Maréchal Mobutu Sésé Séko. Zongo Oil va être rachetée par la famille Patassé. La société, dont le PDG n’est autre que le président Ange-Félix Patassé, bénéficie d’un tarif préférentiel de fournitures de carburants hors taxes auprès de Pétroca qu’elle payait comptant, carburant que Zongo Oil devait revendre de l’autre côté du fleuve Oubangui, à Zongo, sous-préfecture congolaise située en face de Bangui, la capitale centrafricaine.
En réalité, au lieu d’exporter ce pétrole au Congo, Zongo Oil revendait une partie de sa cargaison sur la place de Bangui, concurrençant de la sorte son propre fournisseur, Pétroca.
Ce stratagème n’échappa pas au législateur, ce qui provoquera une crise politique qui emportera le GAC (gouvernement d’action et de combat pour la promotion de la culture démocratique). En effet, transformée en société Trans Oil, Zongo Oil (ZO) continuera son commerce avec le même PDG, Ange-Félix Patassé, et un nouveau directeur général, Patrick Patassé !
A cette politique de dérégulation dont les conséquences sont désastreuses sur le plan économique et social, s’ajoute une autre crise, militaire celle-là, lors que le 23 janvier 2000 au soir, une centaine de jeunes miliciens pro gouvernementaux de la base « Karako » du MLPC, le parti présidentiel, exigent d’être intégrés d’office dans l’armée régulière, sans passer les tests de sélection proposés par le gouvernement, préalable à leur incorporation. Ils tentent de se rendre à la résidence du président Patassé et se heurtent aux éléments des FORSDIR (Forces de Sécurité et de Défense des Institutions Républicaines), la nouvelle appellation de la Garde présidentielle.
La crise militaire se double d’une crise politique lorsque les députés du MLPC présentent une motion de censure contre le gouvernement Dologuélé.
Pour juguler la crise, ce dernier s’acquitte dans l’urgence de 4 mois d’arriérés d’indemnités parlementaires, remanie son gouvernement en écartant les représentants de la société civile pour faire place à des nouveaux ministres estampillés MLPC. Mais ce retournement n’entame pas la grogne : Anicet-Georges Dologuélé est demi de ses fonctions le 1er avril 2001 par le président Patassé.
Il perdra la primature mais gagnera le poste de directeur général de la banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), poste statutairement réservé de droit au représentant de la RCA, à l’époque. Les difficultés de la BDEAC liées à des placements douteux et une gestion cavalière l’emportèrent. Dans la foulée, les règles de désignation du président de l’instance bancaire de la sous-région furent modifiées.
Tel Sisyphe renaissant de ses cendres, la présidentielle centrafricaine en cours lui permettra sans doute de rebondir.
Mais en affirmant très tôt que le président déchu François Bozizé et le président démissionnaire Michel Djotodia, ainsi que le Chef de l’Etat de transition, Catherine Samba-Panza, avaient une place à tenir s’il était élu, l’impétrant s’est attiré les faveurs du bureau politique du Kwa na Kwa, mais brouille son image. Il reconnaît implicitement que l’impunité sera son principe de justice. Dans une République centrafricaine meurtrie par tant de crimes et d’exactions non réprimées, cette profession de foi surprend.
On le perçoit distinctement, la réputation d’AGD paraît écornée, et sa liberté d’action amoindrie par son allégeance aux anciens présidents du pays encore en vie. Trop de politiques tue La politique.
4 – Faustin-Archange Touadéra, une équation à trois inconnues.
Titulaire d’un doctorat en mathématiques, Faustin-Archjange Touadéra a d’abord été le recteur de l’université de Bangui, université dont le principal amphithéâtre est baptisé du nom du président déchu François Bozizé. C’est l’un des paradoxes de la RCA. Un haut de lieu de l’intelligence porte le nom d’un homme qui dédaigne la méritocratie et se plaît à dire à qui veut l’entendre : « Mon fils n’est pas allé à l’université, cela ne l’empêche pas d’être ministre » ! Plus cynique tu meurs.
Faustin-Archange Touadéra deviendra premier-ministre de François Bozizé en 2008 et le demeurera cinq années durant, sans discontinuer, jusqu’aux accords de Libreville du 11 janvier 2013.
Un quinquennat, c’est long. Quelles sont les actions conduites pendant cette longue période pour moderniser la RCA et améliorer le sort des populations centrafricaines ?
En tant que premier-ministre, Faustin-Archange Touadéra est donc l’ordonnateur des élections présidentielles et législatives d’avril 2010, qui firent tant de dégâts à la démocratie, comme nous le rappelions plus haut. Ces scrutins furent, de l’avis général, gangrenés par des fraudes massives. Elles permirent au Kwa na Kwa, le parti présidentiel, de constituer une assemblée nationale monocolore où dominait la famille de François Bozizé : épouse, concubines et chérubins.
C’est sous sa primature que disparaitra, dans des circonstances non élucidées à ce jour, l’ancien ministre d’État Charles Massi, dont la dépouille reste introuvable. Le jugement de non-lieu prescrit par le parquet de Bangui est un déni de justice. En la circonstance, on ne peut invoquer l’indépendance de la magistrature pour dédouaner le pouvoir politique.
En effet, c’est également sous la primature de Faustin-Archange Touadéra que l’épouse d’un avocat, et le clerc de ce dernier, seront incarcérés comme monnaie d’échange suite à la fuite dudit conseil, suspecté dans l’incendie d’un magasin appartenant à un commerçant libanais proche du clan présidentiel.
C’est au cours de cette même primature que le corps enseignant de l’ Université de Bangui observera ses grèves les plus longues et les plus dures, réclamant le paiement d’arriérés d’indemnités de vacation et exigeant la titularisation des vacataires contractuelles.
Les différents arrêts de travail cumulés dans l’enseignement feront connaître à la RCA deux années blanches, sans scolarité !
Premier-ministre placide et taiseux, Faustin-Archange Touadéra ne se fera point remarquer, n’intervenant aucunement dans les grandes orientations politiques du pays. Lisse, trop lisse sans doute.
Il passe cependant aux yeux des Centrafricains pour un bon gestionnaire de la chose publique, garantissant le paiement pour une fois bancarisé, tous les deux mois, des traitements et soldes de la fonction publique. Cela suffit-il pour en faire une icône politique ?
Trois inconnues demeurent :
La première inconnue porte sur les rapports de FA. Touadéra avec son ancien mentor François Bozizé. C’est ainsi qu’il ne s’est jamais prononcé sur le sort de ce dernier. On ne l’a d’ailleurs pas entendu récuser les actions meurtrières des milices anti-Balaka, comme il ne s’est jamais manifesté pour condamner les dérives dictatoriales des rebelles de l’ex-Séléka à leur apogée.
La seconde inconnue concerne les propositions du candidat Touadéra pour rétablir la sécurité en Centrafrique. En déclarant ouvrir des séminaires pour convaincre les militaires à la réforme du secteur de la défense et de la sécurité, le futur président tergiverse. Des séminaires ? Il yen a eu ; les conclusions des États généraux de la défense nationale ainsi que les recommandations du Forum inter-centrafricain de Bangui sont là pour en témoigner. Elles sont explicites, il suffit de les mettre en œuvre. Dans la même veine, en affirmant interdire aux hommes politiques de s’immiscer dans le domaine militaire, Faustin-Archange Touadéra se trompe. il convient au contraire d’affirmer un principe républicain clair : le militaire doit se soumettre au politique , et non l’inverse. C’est la règle dans toute démocratie républicaine.
La troisième inconnue s’attache à la politique économique préconisée par le candidat. En mettant l’accent sur la modernisation des infrastructures – terrestres, aériennes, numériques et technologiques – l’ancien premier-ministre prêche le vrai. Cependant, en faisant appel à la procédure du partenariat public-privé (PPP), il fait fausse route. Eu égard à l’étroitesse de la capacité industrielle du pays, le PPP se traduira pour notre pays par des dépenses exorbitantes en faveur de « la machine à piller », les multinationales internationales, particulièrement françaises. Seule une stratégie économique fondée sur nos ressources propres paraît seule porteuse d’avenir.
Sur ces trois inconnues, le docteur Touadéra, qui n’est ni le professeur Tournesol ni le professeur Nimbus, devra apporter des réponses précises. Son cartésianisme ne devra pas l’empêcher d’ajouter à ses explications le supplément d’âme d’un Blaise Pascal, s’il veut convaincre.
5 – Sortez les brigands !
Le premier tour de ces élections présidentielles aura également mis en exergue la nocivité toxique des autorités de la transition. Elles n’auront même pas fait un effort pour sauver les apparences, se comportant en véritables brigands.
Pour l’anecdote, on apprend en effet qu’en plus de soutenir politiquement et financièrement l’un des candidats indépendants, ces autorités, en la personne de la directrice des Douanes, se seraient permises de réquisitionner un aéronef de la compagnie Minair, appartenant à la société Badica, préalablement loué par un autre candidat, pour le mettre à la disposition de leur protégé. Malgré ce déluge de soutien, ce dernier n’obtiendra qu’un dérisoire 0,50 % des suffrages exprimés. Ce chiffre mesure, si besoin est, l’immense discrédit du gouvernement de transition auprès des Centrafricains.
Madame Ngakola n’en est pas à son premier forfait. Sous cadre des finances, bombardée à la direction des Douanes Centrafricaines du fait de sa proximité avec le Chef de l’Etat de transition et son premier-ministre, sans que le Contrôle général de l’Etat n’y trouve rien à redire. Et pour cause !
Quant à la société Badica (Bureau d’achat des diamants en Centrafrique), rappelons qu’elle s’était elle-même illustrée par le passé en finançant les rebelles de l’ex-Séléka lors de leur marche pour prendre le pouvoir à Bangui.
Le moment est venu de faire rendre gorge à tous ces corrompus. Sortez les brigands ! Oserions-nous écrire.
Paris, le 12 janvier 2016
Prosper INDO
Président du CNR