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La Centrafrique a-t-elle un avenir ?
Publié le mercredi 20 janvier 2016  |  Médiapart
Dépouillement
© AFP par ISSOUF SANOGO
Dépouillement des votes après clôture du scrutin lors de l`élection présidentielle et législative
Mercredi 30 Décembre 2015.
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En dépit des fraudes et des manipulations, les élections générales ont eu lieu en Centrafrique. Deux candidats émergent pour le second tour de la présidentielle, dont l'un est un "challenger surprise". Qui l’eût cru ? À l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, et malgré des irrégularités dans le comptage des voix qui ont failli faire invalider une partie des scrutins, ce sont bien deux anciens Premiers ministres qui se sont retrouvés face à face, mais pas ceux que l’on croyait.

En effet, il y a eu d’une part, Anicet-Georges Dologuélé, ancien Premier ministre de feu le président Ange-Félix Patassé, arrivé en tête avec 23,78 % des voix. Il avait passé un accord politique avec Kwa Na Kwa, parti de l’homme qui a renversé Patassé en 2003, l’ancien président François Bozizé. De l’autre côté, son challenger sorti des urnes à la surprise générale : Faustin-Archange Touadéra, 19,42 %. Lui était le dernier Premier ministre de François Bozizé, avant le coup d’État du 24 mars 2013 qui a renversé ce dernier.

Autant dire que les deux hommes devaient leur succès à celui-là même dont la candidature avait été rejetée début décembre 2015 par le Conseil constitutionnel au motif que l’ancien homme fort de Centrafrique se trouve désormais sous le coup de sanctions internationales. En effet, au même titre que deux chefs de guerre parmi les plus féroces, Nourredine Adam et Lévy Yakété, François Bozizé est frappé d’interdiction de voyager et de gel des avoirs par le Conseil de sécurité des Nations unies depuis le 28 janvier 2014. Cet homme dont plus personne ne voulait en 2013, qui était accusé de corruption, de népotisme, voire même d’incompétence demeure, on le constate, une fine lame politique, ce que démontre son subtil jeu d’alliances et de soutiens. À l’issue du premier tour, une chose était claire : quel que soit le nom du prochain président de la république, celui-ci lui devait en partie sa victoire. Or toute dette se doit d’être payée…

Cet entrelacement témoigne bien de la complexité de la situation politique centrafricaine. Et les résultats des autres candidats le confirment, à commencer par la « relégation » de Martin Ziguélé, autre Premier ministre d’Ange-Félix Patassé, en quatrième position. Il avait succédé à ce poste à Anicet-Georges Dologuélé, lequel lui avait laissé, entre autres « patates chaudes », les trente mois d’arriérés de salaires dus aux fonctionnaires centrafricains, dont la colère menaçait d’embraser tout le pays. Il était parvenu à gérer au mieux cette situation et en avait tiré une certaine notoriété politique. Ziguélé, président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), parti membre observateur de l’Internationale socialiste, créé en 1979 par Patassé, partait donc grand favori de l’élection présidentielle. En novembre 2015, il sortait un livre programmatique intitulé Des crises à l’espérance : ma vision pour la Centrafrique. Hélas, il avait derrière lui quelques « casseroles », notamment le fait qu’il ait bien trop faiblement condamné le coup d’État perpétré par la Séléka, alliance de rebelles à François Bozizé, et les crimes qui ont suivi. Qualifié de 19,82 % des voix, il arrive derrière un autre challenger, Désiré Kolingba, fils de l’ancien président André Kolingba, auquel il avait aussi eu à faire en 2001 lorsque celui-ci avait tenté de renverser Patassé par un coup d’État. Comme Karim Meckassoua (septième, avec 3,21 % des voix), il était également réputé « candidat de la France » du fait de son lobbying intense auprès de l’ancien colonisateur.

Or la France est aussi peu dans le cœur des Centrafricains qu’elle ne semble elle-même préoccupée par le sort du fleuron de son ancien pré carré en Afrique. En dépit de ce qu’affirmait le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, lors de ses vœux à la presse le 11 janvier 2016, l’opération militaire Sangaris est bien loin d’être un succès. Son haut commandement lui-même émet des doutes sur son bien-fondé, et des réserves sur son efficacité.

Outre la honteuse affaire des viols qui auraient été commis par des soldats français sur des jeunes filles à l’abord de camps de déplacés, rien n’a pu être mené à bien sur le plan du désarmement des différentes milices. Ne disposant d’aucun mandat coercitif, les militaires français n’ont pas pu être très efficaces dans les quelques missions de désarmement – démobilisation – réintégration (DDR) qui leur ont été confiées. Pis : lorsque de terribles violences ont éclaté dans la capitale en septembre 2015, les soldats de Sangaris comme ceux de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique) d’ailleurs, sont restés plongés en pleine léthargie. Résultat : soixante-dix mort en deux jours et les élections, prévues pour le mois d’octobre, repoussées alors même que Paris clamait haut et fort leur importance. Il n’y a plus guère que le président français François Hollande pour croire, comme il l’a dit lors de ses vœux aux forces armées le 14 janvier 2016, que Sangaris « a apporté la stabilité après avoir empêché les massacres ».

Reste que la Centrafrique est maintenant seule face à elle-même, avec des enjeux colossaux pesant sur les épaules de son président de la république. Déliquescence de l’État, effondrement de la croissance, heurts inter-religieux, les dossiers ne manquent pas. Il va falloir, en premier lieu, « reconquérir » l’ensemble du territoire. Certes, les mines de diamant, l’une des ressources notables de la Centrafrique, sont sécurisées notamment par la Minusca, mais il n’en demeure pas moins que l’administration est peu, voire totalement absente en dehors de Bangui. Or le financement de l’État repose, en principe, sur l’impôt sur le revenu des particuliers comme des entreprises. C’est donc un impératif, pour le nouveau pouvoir, de réparer ce système.

Pas si simple. À l’ouest, il faut arrêter et désarmer les milices anti-balaka qui, transformées en bandits de grand chemin, rançonnent et pillent les populations locales, provoquant des déplacements massifs lesquels font peser une menace de famine sur la région, les champs ne pouvant plus être cultivés et les réserves ayant aujourd’hui totalement disparu. 255 000 personnes sont réfugiées au Cameroun voisin, dans des camps gérés par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), répartis tout le long de la frontière. Au nord et au nord-est, ce sont des poches résiduelles composées de soldats de l’ex-Séléka qui ont mis en place une « administration » locale : l’impôt est payé, mais il ne tombe pas dans la poche de l’État ! Résultat : près de 450 000 personnes déplacées, qui vivent ou plutôt survivent dans des conditions misérables. Au sud-est, l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), groupe rebelle d’origine ougandaise pourchassé par les forces internationales, s’est sanctuarisée dans les forêts, prélevant lui aussi sa dîme dans les villages. À circonscrire d’urgence.

Alors oui, le président de la république a été légitimement élu, mais il est encore bien faible et rien ne pourra se faire sans un sursaut patriotique, disons le mot, de la population, bandes armées comprises. Et, malheureusement, rien ne se fera non plus sans l’aide – la plus provisoire possible – de la communauté internationale.
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