Le présent billet aurait tout aussi bien s’intituler « bruits creux de campagne » !
C’est qu’en effet, chacun s’en sera rendu compte, nos candidats-présidents et leurs équipes font grand bruit pour que nous les remarquions et qu’enfin nous votions pour eux : à grands coups d’échanges de noms d’oiseaux, de dossiers purulents, d’imageries sur-construites, d’auto-éloges aussi dithyrambiques qu’obséquieux, mais aussi, et c’est heureux ou presque, à coups de promesses.
Retenons les promesses, un instant. Elles sont programmatiques. Et de programme, on en a bien besoin dans une campagne électorale. Le programme ne figure-t-il pas précisément le contrat que nous avons à passer avec nos gouvernants de demain ? N’a-t-il pas vocation, au fil de ses lignes, à dessiner notre avenir collectif ? Et n’est-il pas, après tout, la promesse – ah une promesse de plus – que ceux qui se présentent à notre suffrage veulent tant notre bien individuel et collectif qu’ils se sont résolus à nous servir, plutôt que de s’occuper de leurs petites affaires et de leurs égoïstes intérêts ?
Bienvenue donc au bruit des promesses et des programmes ! Mais pas à n’importe quelles conditions. Pourvu que ces promesses et programmes ne soient pas qu’écrans de fumée, masques funéraires pour les lendemains centrafricains. Promesses et programmes ne suffisent donc pas. Il nous faut procéder à des vérifications. Il faut creuser. Il faut s’assurer des mesures pratiques que semblent appeler les proclamations de principe.
C’est ce que je me suis dit ce 29 janvier 2016. Ce qui m’a conduit à interpeller nos deux candidats sur quelques points qui me semblaient essentiels, et simples d’abord, pour notre destin national. Mon but ? Les voir préciser leurs pensées, leurs ambitions pour nous. Les points en question ? La lutte contre l’impunité d’abord, la bonne gouvernance ensuite, l’économie enfin à partir d’une exigence que j’ai appelée « économie pour tous ».
Interpellation, oui, mais pour quels résultats ? Nuls ! L’équipe de l’un des candidats – AGD – a immédiatement réagi, et promis pour incessamment une réponse à ces interrogations que j’ai la faiblesse de considérer comme partagée par mes compatriotes. Mais voilà, ces réponses se font encore attendre. Quant à l’équipe de l’autre candidat – FAT –, aucune nouvelle !
Je ne voudrais pas tirer des conclusions hâtives mais je ne peux m’empêcher de me poser d’autres questions. Est-il si difficile de répondre à des questions aussi élémentaires ? Que ou qui craint-on ? Est-ce ainsi qu’on veut nous convaincre qu’on est à l’écoute des citoyens ? Nous paie-t-on de mots creux en se payant nos têtes de citoyens ? Quelle crédibilité ? etc. etc.
Je ne voudrais pas tirer de conclusions hâtives mais ne peut, en outre, m’empêcher de mettre en garde nos Candidats-Présidents. Contre ces silences et ces stratégies d’évitement qui ne peuvent leur attirer que défiance, et qui sonnent en tous les cas comme appel pressant à une vigilance citoyenne accrue.
Cela étant dit, et à supposer qu’ils n’en aient pas encore pris connaissance, voici les intégrales des textes d’interpellations que j’ai mentionnées… En attendant leurs réponses…
1) Interpellation du 29 janvier 2016 à 8h43.
RCA – PRÉSIDENTIELLES
Nous méritons une campagne qui ne soit pas que raclures de caniveau. Nous attendons de nos candidats, AG Dologuele et FA Touadera, non pas qu’ils parlent d’eux-mêmes mais qu’ils parlent de nous, c’est-à-dire du pays. Et puisque tel ne paraît pas être la tendance naturelle de leurs équipes de campagne, j’ai décidé ici d’interpeller nos deux concurrents sur les mesures concrètes qu’impliquent leurs déclarations générales de campagne. Un jour, une proposition de mesure(s)! Et cela commence aujourd’hui!!!
A suivre…
2) Interpellation du 29 janvier à 15h47
Chose promise !
RCA – PRÉSIDENTIELLES – UN JOUR, UNE PROPOSITION DE MESURES CONCRÈTES
Messieurs les candidats, vous avez dit « Justice », « Lutte contre l’impunité », et « Bonne gouvernance » ? Chiche ! Voici une proposition en 2 point (d’urgence) pour être éclairés sur votre détermination…
1) RENDRE EFFECTIVE LA COUR PÉNALE SPÉCIALE. Cette Cour qui a été créée par la Loi n’est toujours pas entrée en fonction. Dites nous quelles mesures vous entendez prendre concrètement, et dans quel délai, pour que cette Cour soit à même de commencer son travail de poursuite et de répression des criminels. Vous engagez-vous à ne pas interférer dans les procédures de cette Cour, notamment pour protéger vos proches et alliés ? Pour que cette justice soit effective, quels moyens entendez-vous mettre à la disposition des victimes et de leurs ayant-droits (assistance juridique, traitement social et psychologique, fonds d’indemnisation, etc…) ?
2) METTRE EN PLACE LA HAUTE AUTORITÉ DE LA BONNE GOUVERNANCE. La Constitution du 13 décembre prévoit pour la première fois la mise en place d’une Autorité chargée de la bonne gouvernance par une loi organique à adopter (Titre XIV articles 146 à 150). Dans quel délai après la prise de fonctions entendez-vous faire adopter cette loi organique ? Quelle idée vous faites-vous du contenu de celle Loi organique en ce qui concerne :
la composition de cette institution (gage d’efficacité mais aussi d’indépendance) ;
les garanties d’indépendance de la Haute Autorité elle-même à l’égard du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ?
les institutions, les organes et les autorités que la Haute Autorité est chargée de surveiller, l’idéal étant que soient concernées toutes les institutions publiques et para-publiques, les organes aussi bien de l’Etat que des collectivités territoriales, toute autorité gérant des fonds publics (à partir d’un certain montant), ceci comprenant nécessairement le Président et les responsables de son cabinet, les membres du gouvernement, les élus territoriaux, les Directeurs et directrices des administrations centrale d’Etat et des services déconcentrées, les directeurs et directrices des sociétés publiques et parapubliques…
les pouvoirs de la Haute Autorité : celle-ci disposera-t-elle de pouvoirs d’investigation, et avec quel pouvoir de coercition à l’égard des institutions et autorités concernées ? Disposera-t-elle d’un pouvoir d’engagement de poursuites judiciaires ? Pourra-t-elle infliger des sanctions administratives (sous réserve de leur contestation devant un juge compétent) ? etc. etc…
3) Interpellation du 31 janvier 2016 à 16h08
RCA – PRÉSIDENTIELLES – PROPOSITIONS POUR UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE CENTRÉE SUR LES ENJEUX CENTRAFRICAINS ET AXÉE SUR DES MESURES CONCRÈTES (n° 2)
OBJECTIF : ÉCONOMIE POUR TOUS !
Messieurs les candidats, vous avez promis :
AGD : de « Favoriser un esprit d’entreprise productif (…) pour créer de la richesse et de l’emploi, à travers des opportunités de profit » en misant sur une « stimulation du secteur privé encouragée par le secteur bancaire, la micro finance, les assurances et les nouvelles technologies de l’information ».
FAT : « des mesures courageuses et vigoureuses pour relancer notre économie, la redynamiser et la diversifier » en insistant sur les secteur agricole, des services et des BTP en s’appuyant sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).
Dans l’esprit de ces promesses, il s’agit d’œuvrer à l’enrichissement du plus grand nombre et, selon un d’entre vous (AGD), à l’émergence d’une classe moyenne centrafricaine entreprenante.
Je partage avec vous ces objectifs, et je crois que nous sommes nombreux à le faire, au moins quand il s’agit de créer un tissu d’entreprises d’initiative centrafricaine. Je crois fermement que c’est ainsi, et en conjuguant cette dynamique avec le contrôle par l’Etat des secteurs stratégiques, que nous pourrons gagner la maîtrise de notre économie.
Mais partageant ces objectifs, je suis forcé de constater que vos programmes respectifs sont peu parlants sur les voies et moyens nécessaires à cette action salutaire. Voilà pourquoi je me permets ici de vous inviter à préciser vos intentions en ce qui concerne les points suivants :
1) PROTECTION DE L’ENTREPRENARIAT NATIONAL DANS LES SECTEURS JUGÉS PRIORITAIRES POUR SON DÉVELOPPEMENT.
Si je commence par ce point, c’est parce qu’il me semble être celui où l’action immédiate est la plus délicate et où le courage politique est le plus exigé. Pourquoi ? Eh bien parce que, traditionnellement, et sur instigation des institutions internationales et des bailleurs de fonds internationaux, se trouve surtout privilégiée l’attractivité à l’égard des investissements directs étrangers, ou des grands capitaux étrangers mondialisés, pour le dire autrement. L’aménagement et l’allègement (considérable) de la fiscalité, les facilités administratives, la fluidité des relations sociales (règles d’embauche, de rémunération, de licenciement, etc…), les garanties de toutes sortes, y compris de circulation (rapatriement) des capitaux et de règlement des litiges leur sont réservées. C’est la philosophie profonde du « Doing Business ». C’est aussi celle qui est au fondement de l’OHADA concernant le droit des affaires.
Or, il est d’évidence que cette orientation n’est pas nécessairement propice à la création d’un tissu d’entreprises centrafricaines, et donc à la création d’une dynamique économique proprement nationale, aux côtés de l’ouverture nécessaire sur l’économie mondiale et les grands capitaux.
Il faudra donc une action résolue, qui se traduira probablement par des négociations internationales tendues, où il faudra faire valoir les intérêts du pays, autrement dit l’intérêt des agents économiques nationaux, quelle que soit leur taille et leur poids.
Aussi, voudrez-vous bien nous indiquer :
les domaines prioritaires dans lesquels vous entendez favoriser le développement de l’entreprenariat national, en précisant la place que vous souhaitez faire notamment à l’agriculture, aux mines et au secteur du bois ;
les catégories de centrafricains visées prioritairement, en précisant la place que vous accorderiez aux jeunes, aux femmes, et aux centrafricains de l’étranger ;
les mesures d’ordre fiscal que vous comptez prendre pour favoriser l’investissement national dans l’économie, et le rapport entre ces mesures et celles bénéficiant aux grands capitaux étrangers ;
les mesures de protection contre la concurrence étrangère déloyale ;
les mesures de facilitation administrative.
2) FACILITATION DE L’ACCÈS AU FINANCEMENT POUR LES TRÈS PETITES ENTREPRISES ET POUR L’INNOVATION.
En partant de l’enjeu, auquel je vous crois sensible, du développement de la richesse nationale, en partant aussi de l’idée que la voie d’enrichissement la plus structurante est celle de l’initiative entreprenariale, plus que celle du salariat au service et au profit des sociétés multinationales, et eu égard aux grandes difficultés éprouvées par la petite initiative privée centrafricaine d’accéder au financement, vous voudrez bien nous indiquer le plus précisément possible :
la politique que vous entendez mener auprès des institutions financières (banques et sociétés de crédits) afin de faciliter l’accès au crédit pour les très petites et les petites entreprises nationales ;
si et dans quelle mesure vous envisagez une garantie de l’Etat dans le cadre de cet accès aux financements institutionnels ;
votre politique en matière d’aide à la création d’entreprises de ces tailles et à l’innovation ;
si vous entendez mettre en place une institution publique de micro-crédit, assortie de quelles facilités d’accès et de remboursement.
3) FORMATION À L’ENTREPRENARIAT ET FORMATION PROFESSIONNELLE.
Je crois par ailleurs savoir que vous tenez pour essentielle, dans ces processus de développement économique, la formation. Nous aurions besoin de savoir ce que cela implique précisément :
EN MATIÈRE DE FORMATION À L’ENTREPRENARIAT :
Quelles dispositions comptez vous prendre en matière de formation publique à l’entreprenariat (inscription dans les programmes de formations existantes et création de nouvelles filières et nouveaux établissements) et avec quelle distribution sur le territoire nationale ?
Quelles mesures incitatrices pour la création de formations privées à l’entreprenariat, avec quel contrôle ou quelle régulation de l’Etat ?
EN MATIÈRE DE FORMATION PROFESSIONNELLE :
Quelles mesures pour la dynamisation de la formation professionnelle ?
Quelles contributions des entreprises à la conception de ces formations et à leur financement, y compris en partenariat avec les structures publiques de formation ?
Quelles obligations de formation et de transfert de compétences entendez-vous mettre à la charge des grandes entreprises, dont les entreprises multinationales, et quelles mesures pour que ces obligations soient effectivement exécutées ?
La création de la richesse nationale doit être l’affaire de toutes les filles et de tous les fils de la République Centrafricaine, du pousse-pousseur entrepreneur, paysan-entrepreneur, artisan, jusqu’au patron de grande entreprise ; et cette richesse doit bénéficier à tous…
N’hésitez donc pas, Messieurs les candidats, à nous faire part de tout autre engagement allant dans ce sens, qui est celui d’une économie centrafricaine maîtrisée d’abord par les centrafricains.
Prof. Jean-François AKANDJI-KOMBE