Accusée de négrophobie, la Cour pénale internationale s’est murée dans un silence qu’on aurait dit de contrition. Oui, je me suis trompée ; oui j’ai de la peine , mais je peux corriger le tir, en prenant pour cible d’autres gibiers, dans cette jungle où les prédateurs sont légion.
L’accusation de négrophobie pouvait donc être récusée de deux manières :
Maintenir en prison l’un des deux anciens présidents africains, mais libérer l’autre.
Lancer des mandats d’arrêt contre d’autres dictateurs et/ou criminels, sur d’autres continents et les faire juger.
Au lieu de quoi, la CPI s’est enfermée dans un silence ambigu, mais qui se révèle être de l’obstination pure et simple, puisque le procès de Gbagbo vient de commencer. Cet acharnement a fini par exaspérer les présidents africains, qui ont conjointement enclenché le processus de leur retrait du tribunal de l’ONU.
Installée sur un continent riche, donneur de leçons ( de politique, de démocratie ), ancien colonisateur et perçu comme impérialiste, cette cour ne pouvait pas ne pas susciter le doute, la méfiance, la suspicion, voire l’hostilité des anciens colonisés. Elle le pouvait d’autant moins que ses premiers inculpés et condamnés ont été des Africains.
Certes la planète est devenue un vaste village, mais malheureusement, ses habitants, toujours en retard d’une évolution, restent des Européens, des Africains, des Asiatiques ou, si l’on veut, des Noirs, des Blancs, des Jaunes etc. Et quand un tribunal international, fût-il jeune et probablement inexpérimenté, ne s’intéresse qu’à une seule catégorie raciale, celle-ci est en droit de se poser des questions.
Je ne dis pas que le continent africain est exempt de criminels : il suffit de regarder la Centrafrique, devenue le pôle de convergence de tous les criminels de la sous-région, et même des régions éloignées comme l’Ouganda, le Niger.
Je ne dis pas que le continent noir est exempt de dictateurs : le Zimbabwé me rirait au nez.
Mais la CPI a vocation à juger tous les génocides, tous les crimes contre l’humanité, tous les crimes de guerre, sur tous les continents.
MONSIEUR FRERE
Cela dit, l’Afrique aurait peut-être dû commencer par balayer devant sa porte. Qui peut soutenir sérieusement que Charles Taylor n’a pas sa place en prison ? Qui peut nous citer les tribunaux africains réputés pour leur exemplarité ?
On reproche à la CPI une partialité qu’elle pourrait bien reprocher à nombre de nos cours. Je connais un tribunal africain, qui n’a jamais rien tenté contre les puissants ( financièrement parlant ) et les puissants ( politiquement parlant). Je connais un tribunal africain, qui n’a jamais rien tenté contre une bande de criminels, animée par une idéologie de pillage, qui s’est emparée de tout un pays. Je connais des tribunaux africains, où les délits de Monsieur Frère, les infractions de Monsieur Fils et les exactions de Monsieur Gendre passent comme des lettres à la poste.
Du temps de sa splendeur, Bokassa toisait la loi. Qui se souvient encore du commissaire qu’il avait fait exécuter, après un drame passionnel, dans lequel était impliqué un de ses proches ?
Lors d’une de mes promenades vespérales à Bangui, une grosse cylindrée était venue me dépasser, et tout à coup, sans raison apparente, elle fit une embardée à droite et faillit écraser plusieurs passants, avant de revenir sur la chaussée. J’étais indigné par la conduite de ce chauffard, mais tout autour de moi, les réactions étaient mesurées, presque sans acrimonie, résignée : << Il s’agit du fils de... >>. Ce soir-là, je n’avais pas pu m’empêcher de penser à un autre Monsieur Fils. Celui-ci vivait au quatorzième siècle, en Chine. Il était le fils de Zhu Yuanzhang, un mendiant devenu général, puis empereur et fondateur de la dynastie des Ming. Ce prince, << le roi de Yi, […] s’amusait à lancer son cheval dans la foule et à décapiter à coups de sabre les malheureux qui n’avaient pas eu le temps de se ranger. >> ( Wu Han, L’Empereur des Ming )
Il va sans dire que ces deux rejetons, à quelques siècles d’intervalle, se savaient intouchables.
PARENT PAUVRE
En Centrafrique aujourd’hui, très peu de gens ont recours à la Justice pour trancher leurs litiges. Ce ministère régalien, qui gagnerait à être soutenu par les temps qui courent, a toujours été traité en parent pauvre sous tous les gouvernements. La Séléka est venue lui asséner les coups les plus rudes de son histoire, en saccageant ses archives en province, et en abattant, ce qui m’a paru le comble des malheurs qui se sont abattus sur la Centrafrique, un de ses magistrats.
La Justice en Afrique aujourd’hui est à l’image du continent : elle se construit. Et elle doit se construire sur des bases solides, si elle ne veut pas prêter le flanc à la critique et s’exposer à la risée des autres continents. Car quiconque veut se soustraire à une cour, quelle qu’elle soit, est généralement perçu comme un suspect, ayant quelque chose à cacher ou à se reprocher.
GBANDI Anatole