En marge du vingt-troisième sommet de l’Union africaine, tenu les 26 et 27 juin à Malabo, en Guinée équatoriale, les chefs d’État de la Cééac avaient décidé de la convocation à Brazzaville d’une conférence de réconciliation sur la Centrafrique. À deux semaines de l'évènement, en Centrafrique même, les langues se délient pour évoquer l’opportunité de réunir de telles assises hors du pays après les premières retrouvailles organisées pour les mêmes motifs successivement à Libreville (Gabon), en 2013, et à N’Djamena (Tchad) cette année.
C’est une vérité de La Palisse de dire que la Centrafrique va mal. Ce pays va si mal que ses voisins de la sous-région l’avaient compris très tôt et décidé de lui venir en aide dès la rupture, début 2013, du fragile équilibre obtenu, le 11 janvier à Libreville, par les protagonistes de la crise qui enflait bien avant la chute de l’ex-président François Bozizé au mois de mars. Ce soutien s’est manifesté notamment à travers des apports financiers colossaux et le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique. En l’espace de quelques mois, des changements radicaux se sont produits à la tête de l’État de Centrafrique sans que soit brisé le cycle des violences qui emportent chaque jour de nombreuses vies humaines.
Du surplace…
Tombeur de François Bozizé, le 24 mars 2013, Michel Djotodia avait prêté serment sans convaincre de sa capacité à ramener la quiétude dans son pays hanté par le démon de la division. Confronté à des échecs en série, il a été sagement prié de s’en aller par ses homologues d’Afrique centrale qui, soit dit en passant, tenaient l’essentiel de la bourse qui nourrissait son régime. Aussitôt le chef des milices Séléka parti, la présidence de la transition fut confiée à Catherine Samba-Panda vers qui remontèrent tous les souhaits de succès pour cette délicate mission.
Le constat sur le terrain est que l’ancienne maire de Bangui semble débordée par sa tâche. Sous elle, comme sous son prédécesseur, les politiques centrafricains ont achevé de s’identifier non pas sur la base de leurs idées mais sur celle de leurs croyances religieuses. Il y a réellement péril en la demeure. D’où l’idée émise par les chefs d’État de la Cééac d’offrir une nouvelle occasion de dialogue aux frères ennemis centrafricains.
Pourquoi Brazzaville ?
Ceux qui, en Centrafrique, se posent cette question tout à fait normale de savoir pourquoi ne pas réunir ces pourparlers entre Centrafricains en Centrafrique devraient aussi se rappeler une chose. Dans la situation actuelle de ce pays, où les institutions de transition sont en tous points de vue fragiles et la suspicion entre dirigeants politiques forte, la meilleure façon d’esquisser le premier pas du dialogue est de trouver une zone neutre et un entremetteur attentif. Les exemples de ce type sont légion dans le monde. Ce lieu « neutre », qui permettrait aussi aux gens qui se regardent en chiens de faïence de changer d’air, ce pourrait être à nouveau Libreville, à nouveau N’Djamena ; peut-être aussi Yaoundé, Malabo, Bujumbura, Luanda ou Kinshasa.
Le choix porté sur le Congo et Brazzaville par les chefs d’État d’Afrique centrale peut avoir été motivé par le souci de ne pas trop disperser les énergies. Le président du comité de suivi des accords de Libreville et médiateur de la crise centrafricaine étant le chef de l’État congolais, Denis Sassou-N’Guesso, il est apparu aux yeux de ses pairs que Brazzaville conviendrait mieux de ce point de vue. Il est important de signaler qu’à l’exemple de certaines capitales sœurs de la sous-région, Brazzaville ne serait pas à sa première réunion de concertation entre les acteurs centrafricains. Le 15 janvier 2013, c’est bien dans la capitale congolaise que ces derniers accordèrent leurs violons en entérinant la nomination de Me Nicolas Tiangaye comme Premier ministre du gouvernement de transition préconisé par les accords de Libreville. Et il est certain qu’une concertation réunissant la classe politique centrafricaine et la société civile en vue de la réconciliation poserait indubitablement des problèmes de sécurité que Bangui, dans sa posture actuelle peut avoir de la peine à résoudre. Des problèmes de sécurité, mais aussi de logistique, tant on imagine la présence des délégués de plusieurs pays et organisations partenaires de la Centrafrique dans ce conflit.
En pratique, Brazzaville aiderait à poser les bases d’un consensus qui manque tant aux Centrafricains et Centrafricaines. En son temps aussi, lorsqu’il plongea dans de graves déchirements dans la décennie 1990, le Congo eut recours à la médiation d’un voisin, le Gabon en l’occurrence, et profita avantageusement de la persévérance, de la disponibilité et de la modestie d’un médiateur attachant, feu le président Omar Bongo Ondimba. La République démocratique du Congo choisit à son tour, en 2003, les bons offices de l’Afrique du Sud. Dans une crise politique de quelque ampleur qu’elle soit, un médiateur est à peu près comme un directeur de mémoire pour un étudiant se préparant à la soutenance. Sa disponibilité est la chose la plus précieuse. Dans le cas de cette crise centrafricaine, non seulement le président Denis Sassou-N’Guesso connaît les acteurs en présence mais en plus, il est disponible et l’a montré depuis le début. Comment ne pas vouloir tenir compte d’un tel préjugé favorable ?
Les questions en débat ?
Le coup de force de l’ex-Séléka contre le président Bozizé en mars 2013 avait mis à mal la feuille de route dessinée par les accords de Libreville. De ce point de vue, au regard des évolutions enregistrées dans le processus en cours en Centrafrique, on peut considérer que ce texte a pris quelques rides. Il semble, dans l’hypothèse où les belligérants centrafricains accepteraient de venir à Brazzaville, qu’ils demanderont la relecture de la Charte de la transition centrafricaine, sorte de loi fondamentale en vigueur. Cela aboutirait, peut-être, à la renégociation d’un nouveau consensus au sein des principales institutions du pouvoir de transition, en particulier le gouvernement et le Conseil national de transition. Au-delà des discours, le partage du pouvoir est certainement la pierre d’achoppement de la crise Centrafricaine. Que la conférence de réconciliation soutenue par la Cééac et l’UA se tienne à Brazzaville ou ailleurs, le retour au calme viendra du sérieux que les dirigeants de ce pays mettront dans l’arbitrage des antagonismes qui tuent leur pays à petit feu. Les 12 000 casques bleus de l’ONU attendus au mois de septembre, sur lesquels chacun fonde l’espoir de la renaissance du pays de Barthelemy Boganda, ne réussiront rien tant que les Centrafricains eux-mêmes se contenteront de la besogne de limer le couteau et la machette au petit jour ou à la nuit tombée.