Il ne reste plus que quelques heures aux centrafricains qui sont appelés demain à choisir un nouveau chef d’Etat. La cinquantaine bien entamée, le docteur d’Etat en mathématiques Faustin Archange Touadera continue d’enseigner à l’université de Bangui.
Jugé proche des gens, humble, cet homme très cultivé, marié et père de cinq enfants est passé du statut d’outsider à celui de grand favori au regard de l’engouement qu’il suscite actuellement dans son pays.
Ancien footballeur d’AS Boyrabé, FAT qui est issu d’une famille pauvre est un pur produit de l’école républicaine. Fort de ses 30 années d’enseignant à l’université de Bangui, Touadera a formé un bataillon de scientifiques centrafricains dont nombreux sont devenus des professeurs, des banquiers et des scientifiques de renom en France, aux USA et partout où ils sont allés achever leurs études.
Originaire de la ville de Damara située dans le centre à quelques encablures de Bangui, issu de l’ethnie ngbakamandja très minoritaire, FAT a su fédérer ou attirer près de lui des centrafricains de tout horizon durant la campagne présidentielle. Fin observateur, très peu bavard très discret,impartial et intègre, ces qualités poussent beaucoup de centrafricains à affirmer que Touadera est l’homme de la situation.Sans tabou, il a répondu à nos questions
Bonjour M. Touadera, nous sommes à un jour du deuxième tour de la présidentielle de 2015. Au regard du ralliement massif tant du côté de vos anciens challengers des partis politiques, des chefs traditionnels que du côté de la société civile, des personnalités indépendantes qui appellent à voter pour vous, vous êtes désormais le grand favori de cette présidentielle, attendiez-vous à cela ?
Merci M. le journaliste, je voudrais remercier les centrafricaines pour leur comportement, leur attitude lors de ce vote qui confirme notre maturité. Les gens ont envie de sortir de cette situation difficile et comme vous le savez, ces élections constituent un événement majeur pour la sortie de la crise. Les gens veulent tourner la page de ce conflit. Je voudrais remercier tous les compatriotes qui ont porté leurs suffrages sur notre candidature. Ces suffrages nous ont permis d’être qualifié pour le 2nd tour. Je remercie aussi mes challengers pour leur comportement. Ces derniers ont fini par respecter le code de conduite que nous avons tous signé. Je remercie l’ANE, la Cour Constitutionnelle et les autres autorités de la transition qui ont contribué au déroulement de ces élections. C’est vrai qu’il y a eu des difficultés, mais nous espérons qu’au second tour, des efforts seront faits pour limiter ces irrégularités. Bon, dire que les gens sont surpris, c’est étonnant car nous avons travaillé. Vous savez moi, je suis aujourd’hui un candidat indépendant, mais j’ai été pendant 5 ans premier ministre et en plus dans un passé récent. Les centrafricains n’oublient pas le travail que j’ai fait. J’ai un bilan qui est positif et les centrafricains m’ont vu à l’œuvre et ont voté à partir de cela. Aujourd’hui, les centrafricains veulent quelqu’un qui peut les rassembler, quelqu’un en qui ils ont confiance, quelqu’un qu’ils ont vu à l’œuvre apporter des solutions à leurs problèmes. Le standard sur lequel les gens votent a complètement changé. Les centrafricains veulent des dirigeants en qui ils ont confiance à partir des connaissances et de leurs bilans, quand ils étaient aux affaires. Nous avions entamé des actions qui ont été interrompues à l’arrivée de ce grand conflit. Nous avons fait des propositions, nous avons fait une offre au peuple pour que les grandes réformes que nous avions commencées puissent se poursuivre si nous sommes étions élu. Nous espérons que pour ce second tour, ils continueront à nous apporter leur confiance.
M. Touadera vous incarnez désormais l’espoir, la rupture et le changement que veulent les centrafricains. Seulement une grande partie de vos compatriotes notamment les jeunes, s’inquiètent du ralliement massif de vos anciens challengers. Aviez-vous conclu un accord avec ces derniers pour un partage du pouvoir ?
Vous savez, les compatriotes qui m’ont rejoint l’ont fait de manière spontanée et je peux vous assurer qu’il n’y a pas eu de condition au préalable, il n’y a pas eu de signature, ni de contrat entre nous. Non, nous savons simplement qu’ils ont pensé que nous ne sommes plus que deux en lice et que notre candidature porte valablement l’espoir d’une rupture avec le passé peu élogieux de notre pays. Ces candidats veulent continuer de travailler pour leur pays, ils ont une vision, c’est pour cela qu’ils ont fait leur offre à notre peuple. Il n’y a pas eu de conditions, nous allons ensemble contribuer comme tous les centrafricains à la reconstruction de notre pays. Nous allons recréer les conditions du vivre ensemble. Il y’a des grandes questions qui sont pendantes et entre autres celles de nos forces armées ; la présence des gens sur les sites des déplacés communément appelés les Ledgers des pauvres et la situation du retour des réfugiés. Nous devons avoir une vision d’ensemble pour toutes ces questions urgentes. Nous allons continuer à discuter. Nous devons dialoguer et échanger pour trouver ensemble des solutions à nos problèmes, donc il ne s’agit pas d’une question d’intérêts ni de postes. Ces compatriotes qui sont des leaders veulent un changement. Ils me soutiennent pour me permettre justement de continuer à faire porter cette nouvelle vision. On va continuer à discuter, échanger et à partager nos vues sur les grandes questions liées à notre nation pour redonner confiance à notre peuple. Il faudrait qu’on renoue également avec la confiance entre les leaders politiques et la population. En faisant ce choix de manière massive à mon endroit, ils veulent envoyer un message fort au monde et particulièrement à nos populations, qu’aujourd’hui nous sommes décidés à vivre ensemble. Ils ont donné le mot d’ordre et sans conditions. Nous continuons à travailler et si ce travail nous amène au pouvoir nous verrons comment nous allons nous organiser. C’est le rassemblement sur les grandes questions qui se posent encore acuité à notre pays. Donc, comme je l’ai dit au départ, je suis capable de le faire et les centrafricains semblent l’avoir compris. Nous devons aborder ces grandes questions avec sérénité. Il ne s’agit pas seulement des postes. Il n’a pas été question de poste dans ce ralliement, mais c’est plutôt pour participer à un débat citoyen pour l’avenir de notre pays.
Quelles seront d’après vous les premières urgences des cent premiers jours si vous étiez élu président de la République centrafricaine ?
La paix, la paix et la sécurité, la réconciliation. Nous ne pouvons pas engager le processus de la réconciliation s’il n’y a pas la paix. On doit créer un climat propice pour que tous nos compatriotes puissent être à l’aise pour relever leur pays, et travailler pour son développement. Nous n’avons pas un autre choix que de nous réconcilier. Il y a eu des discussions au niveau des forums et des foras, nous allons appliquer leurs recommandations et les étudier ensemble au profit du retour de la paix dans notre pays. Il y a des grandes questions sur le DDRR et par exemple sur notre armée nationale. Nous devons nous poser la question de savoir comment on doit faire d’elle une armée républicaine, une armée de combats. Nous voulons d’une armée professionnelle avec des gens qui seront dotés des moyens conséquents pour accomplir leurs missions et d’étudier en permanence toutes les menaces qui pèseront sur notre pays. Il y’a aussi la concertation et le dialogue inter communautaire parce que aujourd’hui la cohésion sociale est mise à mal. Nous devons également rétablir l’autorité de l’Etat et rétablir toutes nos institutions sur toute l’étendue de notre territoire. Nous devons poser les jalons de la lutte contre le chômage endémique qui touche les jeunes et qui est l’une des causes de l’instabilité de notre pays. Nous allons améliorer l’accès aux besoins vitaux notamment l’eau, les problèmes de santé et d’éducation. Ce sont les premières actions qui vont concourir à rétablir l’autorité de l’Etat si nos compatriotes nous portaient à la magistrature suprême de notre pays.
CL : Vous aviez parlé de la réhabilitation des forces armées qui font partie des grandes questions sur lesquelles les centrafricains vous attendent. C’est vrai que vous avez un bilan positif en ayant préservé les acquis sociaux comme la bancarisation et la sécurisation des recettes de l’Etat ; le paiement régulier des salaires, la construction des écoles, mais vous étiez premier ministre lorsque Les FACA avaient été vaincues par la Séléka ?
Nous avons quitté le gouvernement suite aux accords de Libreville. J’étais premier ministre de 2008 à 2013. Mais qu’à cela ne tienne, vous savez lorsqu’on était au gouvernement, nous avons organisé des actions pour jeter les bases de la réforme du secteur de la sécurité. Ce travail n’était pas terminé, nous allons le continuer si nous étions élus. Il y’ eu des conflits avant que je ne rentre au gouvernement, nous avons entamé le processus de DDRR (Désarmement, Démobilisation, Réconciliation et Rapatriement) et on l’avait pas terminé parce qu’il y’ avait eu des problèmes de ressources. Mais ce sont des dossiers sur lesquels nous avons travaillé. Nous avons commencé à mener une réflexion avec la communauté internationale en avril 2008 sur la réforme du secteur de la sécurité. Ce n’est pas un dossier que nous avons négligé. Évidemment, nos forces de défense ont connu beaucoup de problèmes pendant ces deux dernières décennies où le pays ne fait que vivre au rythme des conflits armés. Il y a eu les minuteries et plusieurs tentatives de coup D’État qui ont fini par affaiblir nos forces de défense et de sécurité. Depuis 2008, le gouvernement avait senti qu’il était utile de pouvoir réformer l’armée, de faire des actions en faveur de nos forces de défense, c’est pour cela que nous avons engagé la réforme du secteur de la sécurité en cette période. C’est une action de longue portée qui demandait beaucoup de ressources surtout des moyens financiers importants. Il y’ a eu ce grand conflit qui a encore désengagé les bases de nos forces de défense. Maintenant il faut reprendre les choses à zéro avec une vision partagée.
C’est bien que vous soyez le pionnier du lancement de la réforme du secteur de la défense et de sécurité, mais acceptez-vous que votre magistère à l’instar des autres qui se sont succédé ces dernières années ait une part de responsabilité dans la faillite de cette institution ?
Je ne peux pas me désengager, j’ai été Premier Ministre pendant cinq années. J’ai eu des responsabilités, c’est une évidence. Nous savions qu’il y avait une faiblesse au sujet de nos Forces de défense, c’est pour cela que nous avions engagé les réformes avec nos partenaires. Nous avons voulu apporter une solution, mais nous avons connu des difficultés parce que, ces réformes nécessitaient des moyens financiers qui étaient difficile à mobiliser et qui nécessite aussi un travail de longue durée. Et ce n’est pas seulement l’armée en tant que FACA, il y’a les autres corps para militaires comme les Eaux et Forêts, la police et les Douanes. Nous allons reprendre ce travail avec une nouvelle vision, et si nous arrivions à mobiliser suffisamment des moyens nous devrons vite recommencer cette réforme des Forces de défense et de la sécurité. C’est notre priorité. Nous devons avoir une armée républicaine professionnelle et capable de relever le défi sécuritaire.
Mais M.Touadera il va falloir également lutter aussi contre la corruption qui gangrène ce milieu, parce que les Centrafricains ont toujours en mémoire que les fonds dédiés au DDRR ont été détournés dans le passé ?
CL : Non, quand on dit réformer, c’est tout çà, former avec une nouvelle mission, rendre opérationnelle notre armée en fonction des menaces. Donc Il va falloir former nos militaires, sur la question des droits de l’homme. Vous savez la faitière de la politique que je propose c’est quoi ?c’est l’éthique. Nous allons faire les réformes à tous niveaux, former nos agents sur le principe de l’éthique, nous allons lutter contre la corruption et le népotisme afin de pousser les agents de l’Etat à remplir leur fonction de la manière la plus efficace possible dans l’intérêt de nos populations. La lutte contre la corruption sera la faitière de notre politique.
Monsieur Touadera, votre parti le KNK vous a suspendu depuis que vous êtes candidat à la présidentielle. Comptez-vous toujours sur cette machine électorale ? et que pensez-vous du soutien que le président Bozizé a apporté à votre challenger Anicet George Dologuélé ?
Vous savez que je suis aujourd’hui un candidat indépendant, la loi confère aux centrafricains le droit de vote, chose que chacun fait en son âme et conscience. J’ai fait une offre au pays, c’est cela que je poursuis.
Vous savez très bien que mes relations avec le président Bozizé pour lequel je nourris beaucoup de respects sont au beau fixe. Il m’a fait confiance en me confiant la responsabilité du gouvernement durant 5 ans et je lui suis très reconnaissant. Ce n’est pas moi qui ferai du mal au président Bozizé puisque nous avons travail ensemble pendant cinq années. N’eut été un des volets des accords de Libreville qui stipule que le gouvernement devrait revenir à l’opposition, on devrait peut être ensemble aujourd’hui. Je n’ai personnellement pas de griefs ni quoi que ce soit à son endroit. Maintenant je ne suis pas du tout informé sur cette fameuse consigne, je ne vais pas m’avancer sur ce terrain. Je note tout simplement que j’ai fait une offre à la nation, j’ai travaillé et les centrafricains m’ont vu à l’œuvre, j’ai fait des propositions pour mon pays et je réitère qu’un vote se fait en âme et en conscience et chaque centrafricain a le droit de voter qui il veut.
Vous jouissez de la réputation d’un homme intègre, vous êtes à présent le seul premier ministre centrafricain à avoir rendu les reliquats de frais de mission quand vous étiez aux affaires, allez-vous imposer cette mesure aux plus hautes autorités centrafricaines si vous étiez élu président ?
Moi je resterai toujours Faustin Archange Touadera, j’ai été 30ans enseignant, ce n’est pas aujourd’hui que je vais changer. J’ai une vision, une personnalité, c’est par conviction que je sers mon pays. J’ai fait le choix de l’intégrité et si les gens jugent que je suis intègre, je les remercie pour cela, mais je fais l’effort pour faire mon travail correctement, pour servir mon pays de la manière la plus honnête, je cherche juste à apporter ma modeste contribution à la construction de mon pays. Je continuerai dans cette voie en essayant de donner le meilleur de moi-même pour servir mes compatriotes s’ils m’élisent. Il s’agit de rendre un service. Aujourd’hui si je suis élu c’est pour servir, et je le répète, ce n’est pas pour me servir. Je fais cette offre pour servir, pour apporter ma modeste contribution, si les centrafricains m’élisent je donnerais le meilleur de moi-même.
Vous allez rétablir l’autorité de l’Etat ?
Nos compatriotes ont besoin des services publics. Nous devons donner des moyens d’action à notre administration. Il faut rétablir la justice sur toute l’étendue du territoire pour remettre en confiance nos populations. Nous ne proposons pas un Etat où devrait régner l’anarchie, c’est un Etat de droit que nous voulons, un pays libre où les gens respectent les lois républicaines. La loi n’est assurée que par les institutions de la république, nous devons respecter les textes qui contiennent notre constitution, c’est ce que nous allons appliquer.
Vous allez mettre en marche la Cour pénale spéciale dans un bref délai si vous étiez élu président de la RCA ?
Je vous dit que nous allons respecter la constitution un point un trait
Il y aura l’impunité zéro M. Touadera ?
Nos textes sont là, nos lois sont là, il y aura l’assemblée nationale qui va voter des lois, nous allons appliquer les textes qui sont les seules mesures qui nous permettront de rétablir l’ordre et de remettre en confiance nos populations.
Nous devons améliorer le climat des affaires pour booster la création des emplois, et sans la sécurité juridique nous n’allons pas nous en sortir. Il faut aussi sécuriser les personnes et les biens, nous ferons tout cela pour faire régner un climat de confiance dans notre pays. Les gens se côtoient, il faut qu’il y ait la justice seule gage de la promotion de la cohésion sociale.
Vous êtes jugé comme étant très proches des gens au point que certains observateurs vous font passer pour le candidat des pauvres et votre challenger comme le candidat des riches?
Moi, je ne voudrais pas rentrer dans les polémiques de ce genre
Vous êtes le candidat des pauvres ?
Non je n’ai pas de préférence pour n’importe qui ce soit, j’ai fait une offre aux centrafricains, c’est à eux de l’apprécier à sa juste valeur.
Il vous arrive de penser d’être président en vous rasant ?
De rêver non, vous savez ce n’est pas une tâche facile, ce ne serait pas responsable de ma part. Regardez la situation de notre pays, quand on va là-bas ce n’est pas pour aller dormir, c’est pour travailler. Il y a un sacrifice à faire. Je vous ai dit que c’est pour être au service de la population.
PROPOS RECUEILLIS A BANGUI PAR JOLINO DE NDABA