La Centrafrique hier, le Niger dimanche prochain... A l'heure des élections présidentielles en Afrique, à l'heure aussi de la montée des périls dans les Grands Lacs et de la grande polémique sur le troisième mandat, coup de projecteur aujourd'hui sur la politique africaine de Barack Obama, l'homme qui gouverne les Etats-Unis depuis maintenant sept ans. A Washington, le Camerounais Christopher Fomunyoh dirige le département Afrique du National Democratic Institute, le think tank du parti démocrate au pouvoir. De retour de Bangui et de passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : En Centrafrique, le second tour vient de se tenir. Malgré tous les mauvais présages, les Centrafricains sont allés aux urnes dans le calme. Est-ce à dire que la crise est terminée ?
Christopher Fomunyoh : Justement, après mon séjour en République centrafricaine, j’ai constaté que les gens sont fatigués. Les gens veulent la paix. A travers le pays, les gens parlent de la paix et de la réconciliation. Et je crois que si les acteurs principaux sont d’accord sur l’issue du scrutin, si tout le monde est rassuré du fait que les résultats annoncés constituent un reflet réel de ce qui s’est passé dans les différents bureaux de vote, je ne vois pas une interruption d’ici peu. Et je crois que le pays aura l’opportunité de pouvoir se remettre au travail.
Dimanche prochain, les Nigériens vont aller aux urnes à leur tour. Hama Amadou, l’un des principaux candidats est en prison [pour complicité dans une affaire de trafic présumé de bébés]. Ça ne vous inquiète pas ?
Effectivement, je crois que dans les esprits des Nigériens, des autorités comme les populations, les gens ont essayé de faire la distinction entre la procédure judiciaire contre Hama et le processus politique. Et je me réjouis déjà du fait que sa candidature n’a pas été rejetée, et que ses militants ont pu battre campagne. Effectivement après le scrutin, on verra les deux procédures judiciaires et politiques, comment les concilier à long terme.
Il y a deux semaines, l’Union africaine a renoncé à déployer une force de maintien de la paix au Burundi dans l’immédiat. Est-ce que c’est une mauvaise nouvelle pour l’Afrique ?
C’était une décision assez triste et assez controversée parce que, jusqu’à présent, toutes les décisions de l’Union africaine allaient dans le sens d’obliger les autorités burundaises à s’asseoir avec l’opposition pour dialoguer. Tout le monde s’attendait à ce que cette force soit approuvée par l’Union africaine, mais je crois savoir que certains chefs d’Etat étaient réticents et que cette réticence a freiné la prise de décision.
Certains disent que le président Nkurunziza n’écoute plus personne, mais que Barack Obama pourrait avoir encore quelque influence sur lui s’il l’appelait au téléphone ?
Malheureusement, nous avons vécu certaines expériences par le passé où même le coup de fil de Barack Obama n’a pas changé la donne…
Vous pensez au coup de fil à Laurent Gbagbo en décembre 2010 ?
Ça, c’est un exemple concret, palpable, qui reste encore d’actualité. Mais c’est pour dire que souvent certains de ces leaders qui ne sont pas démocrates par conviction, lorsqu’ils se renferment, c’est très difficile de leur faire changer d’avis.
Alors contre ce troisième mandat de Pierre Nkurunziza, l’année dernière on a entendu les voix fortes de secrétaire d’Etat, John Kerry, et [de l'envoyé spécial américain pour les Grands Lacs], le sénateur Russ Feingold. Mais le régime burundais n’a pas entendu les Américains. A quoi bon alors parler si fort ?
Je crois que c’est important que les grandes puissances, qui adhèrent à la démocratie et qui soutiennent les populations africaines, puissent faire connaître leur position de façon claire et distincte. Cela peut encourager les acteurs nationaux à s'entendre sachant clairement que ceux qui violent les lois de leurs compatriotes n’auront pas le soutien de la communauté internationale.
Certains disent que la diplomatie du haut-parleur, du mégaphone, ça ne sert à rien. Ça agace, il faut mieux agir dans la coulisse.
Il y a pas mal d’exemples où les actions, soi-disant des actions en coulisse, n’ont pas abouti. On se souvient par exemple du Zimbabwe et des actions que, à l’époque, avait menées le président Thabo Mbeki, qui était convaincu que les actions soft dans la coulisse pouvaient porter des résultats. On n’a pas vu ces résultats, donc je crois qu’il faut un mixage des deux approches sur notre continent.
Autre pays où le président va briguer un troisième mandat : le Rwanda. Là aussi, les Américains ont protesté. Est-ce que c’est la fin de plus de vingt ans de lune de miel entre Washington et Kigali ?
Oui, je crois que sur la place de Washington il faut reconnaître que beaucoup de personnes qui avaient soutenu Kagame par le passé, qui avaient cru en son discours, qui pensaient que Kagame allait se projeter comme un leader différent des autres leaders africains que lui-même, Kagame, condamnait. Je crois que cette popularité, que Kagame jouissait sur la place de Washington, est en train de s’effriter. Je crois savoir que tout récemment, le Congrès américain, la Commission des affaires africaines au niveau de la Chambre des représentants a pris une résolution assez forte par rapport à la fermeture des espaces de participation citoyenne au Rwanda, et je ne pense pas que les relations entre le Rwanda et Washington vont demeurer comme par le passé.
Et ça tient à quoi ? Ça tient à la condamnation de l’opposante Victoire Ingabire, ça tient à d’autres faits ?
Si on regarde la liste des questions de liberté d’expression, la création même et l’existence des partis politiques, l’espace politique s’est réduit au Rwanda au quotidien. Même l’assassinat des opposants, à l’intérieur comme à l’extérieur…
Tout à fait. Il y a pas mal de cas de ce genre qui ont démontré que certaines critiques que Kagame à l’époque portait contre certains autocrates africains n’ont pas tenu et que, aujourd'hui, il est en train malheureusement de se mettre du côté de ceux que lui-même avait critiqués par le passé.
Au Congo-Brazzaville, au Congo-Kinshasa et dans les Grands Lacs, la France de François Hollande semble beaucoup moins ferme que les Etats-Unis de Barack Obama face à tous ces prétendants à un troisième mandat. Est-ce que vous regrettez cette tiédeur de Paris ?
Je crois que l’un des moments les plus difficiles pour nous autres qui avions pensé que la politique du président Hollande était très nette et très claire sur les questions de la limitation de mandats et le respect des Constitutions, c’était par rapport au Congo-Brazzaville. Effectivement, il est vrai qu’il a pu se rattraper par la suite, mais les dégâts étaient déjà commis et ça a laissé l’impression que pour certains pays, il fallait être strict et sévère, mais par contre pour d’autres, il fallait prendre une approche un peu différente.
Donc ce jour d’octobre dernier où François Hollande a semblé valider le référendum constitutionnel à Brazzaville, vous avez été très surpris ?
J’avais été très surpris et je crois que beaucoup d’Africains avaient été surpris, ce qui explique cette nécessité d’explication pour dire que ce n’était pas des propos pour valider ce qui devrait se passer au Congo-Brazzaville.
Le 28 juillet dernier, Barack Obama a fait un très beau discours au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba. En substance, il a dit « Messieurs les chefs d’Etat africain, faites comme moi. Faites vos deux mandats et puis laissez la place à d’autres ». Est-ce que, en réalité, le président américain n’a pas prêché dans le désert ?
Je ne dirais pas qu’il a prêché dans le désert, parce que le débat sur la limitation du mandat présidentiel est d’actualité à travers le continent. Et de plus en plus, on voit que même les chefs d’Etat qui veulent s’éterniser au pouvoir semblent se prêter à un jeu de mauvaise conscience parce qu’ils semblent se rendre compte, se rendre à l’évidence, qu’ils vont à l’encontre de l’histoire. Et c’est pour cela que même pour certains, on a vu Bouteflika, il y a de cela quelques jours, dire que subitement il faut réintroduire dans la Constitution algérienne ces limitations de mandat. On a entendu le président Idriss Déby du Tchad dire que, s’il est réélu, il va réintroduire dans la Constitution ces limitations de mandats. Donc quelque part, le message est passé. Quelque part, ces leaders sont conscients du fait que le renouvellement de la classe politique dans leur pays est un facteur de développement économique et politique du continent.
Oui, mais tout de même, est-ce que 7 ans après l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, il n’y a pas contrairement, à ses vœux, de plus en plus d’hommes forts et de moins en moins d’institutions fortes en Afrique ?
C’est une inquiétude réelle et je pense que certains comme moi qui travaillent sur le continent ne voudraient pas qu’en 2017, au moment du départ de Barack Obama, qu’il y ait plus d’autocrates sur le continent que par rapport à son arrivée il y a de cela huit ans. Donc j’espère que cela ne va pas être le cas, mais il faut reconnaître effectivement que les espaces démocratiques sur le continent sont vraiment en danger en ce moment et qu’il va falloir que les Africains se mobilisent pour que, effectivement, ces beaux discours qui ont servi de motivation à pas mal de jeunes Africains ne soient pas vraiment des mots dans le désert.