La sous-région d’Afrique centrale est géographiquement située dans une position charnière et stratégique de l’Afrique, et constitue l’une des sous-régions les plus riches du continent. Elle regorge d’immenses potentialités humaines et naturelles susceptibles d’impulser le développement économique et social, et ainsi améliorer sensiblement les conditions de vie des peuples qui y habitent. On y trouve notamment d’importantes ressources pétrolières, d’importants gisements de métaux précieux et de minéraux, de gigantesques ressources en eau potable et un potentiel hydro-électrique le plus important du continent.
Six pays de la sous-région – Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée équatoriale et République démocratique du Congo –, ont en commun un massif forestier du Bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète derrière celle de l’Amazonie, par sa biodiversité ainsi que pour la sauvegarde de l’humanité.L’Afrique centrale dispose également d’un important potentiel agricole encore très peu exploité, notamment des terres arables de qualité et les conditions climatiques favorables au développement de l’agriculture industrielle à grande échelle.
Cependant et en dépit du fait que la sous-région recèle d’immenses avantages potentiels pour le décollage économique, il y a lieu de constater malheureusement que l’Afrique centrale est à la traine et semble accuser beaucoup du retard par rapport aux autres sous-régions du continent africain. La Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), un outil intergouvernemental d’intégration économique qui réunit onze États de la sous-région, éprouve encore des difficultés d’attirance et d’absorption des appuis techniques et financiers extérieurs, comparativement à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) notamment.
Il est un impératif de relever le défi d’intégration économique
Lors de sa création, la CEEAC avait pour objectif de « promouvoir et renforcer une coopération harmonieuse et un développement équilibré et autonome entretenu dans les domaines de l’activité économique et sociale, [...] en vue de réaliser l’autonomie collective, d’élever le niveau de vie des populations, d’accroître et de maintenir la stabilité économique, de renforcer les étroites relations pacifiques entre ses membres et de contribuer au progrès du continent africain ». Plus de trente ans après, l’intégration économique est et demeure encore le leitmotiv important de l’Organisation.
Mais force est de constater que la CEEAC ne semble pas, dans son état actuel, produire suffisamment des résultats positifs escomptés. Il sied de souligner notamment que de toutes les Communautés économiques sous-régionales existantes en Afrique sub-saharienne – la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) en Afrique de l’Est et la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) –, la CEEAC demeure la sous-région la moins intégrée du continent, tant économiquement, politiquement, que même sur le plan sécuritaire.
D’après une étude menée conjointement par le cabinet McKinsey, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) et la Banque africaine de développement (BAD), on remarque que la plupart des pays d’Afrique centrale se classement dans le groupe des pays les plus fermés à la mobilité des ressortissants africains. Ce qui constitue un handicap majeur pour entreprendre, avec succès, des projets intégrateurs mutuellement profitables.
Plusieurs raisons peuvent tout de même expliquer cette insuffisance des résultats attendus, aussi bien par les populations de la sous-région que par les bailleurs de fonds internationaux. Il convient néanmoins de noter qu’entre 1992 et 1997, la CEEAC est restée inopérante du fait que plus de la moitié des États membres étaient confrontés à des crises internes et des conflits armés qui ont secoué la sous-région ces dernières années. Ce n’est qu’en 1998, à l’issue du sommet de Libreville, que la CEEAC a repris du service. Aussi, la sous-région d’Afrique centrale est dramatiquement sous-équipée en infrastructures de base et souffre d’une déficience en interconnexion des réseaux nationaux de transport des biens et personnes entre les États membres.
Pour remettre la CEEAC sur les rails et rattraper le temps perdu, il est nécessaire de créer les conditions favorables qui puissent attirer les filles et fils de la sous-région qui ont une réelle volonté de renforcer les capacités institutionnelles, managériales et techniques de l’Organisation sous-régionale à relever les défis actuels et à venir auxquels sont confrontées les organisations tant régionales qu’internationales. Notamment la réforme profonde de la CEEAC afin de lui doter d’une réelle capacité d’opération et de coordination des actions d’intégration économique, susceptibles d’accroître non seulement la visibilité et la crédibilité, mais aussi de maintenir de bonnes relations avec les bailleurs de fonds internationaux et bilatéraux.
Instance de décisions : Conférence des chefs d’État et de gouvernement
En mai 2016, la CEEAC va tenir sa 17ème session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement à Libreville au Gabon, pays qui abrite le siège de l’Organisation. L’un des principaux sujets de discussion sera le renouvellement de l’équipe de la haute direction de la CEEAC intégrant les professionnels de haut niveau, dont pour certains leur mandat arrive à son terme, et ce, en tenant dûment compte à la fois du principe de rotation géographique et de représentativité équitable des États membres.
Le renouvellement de l’équipe dirigeante est plus que nécessaire pour insuffler une nouvelle dynamique aux efforts que déploie la CEEAC, au travers de la coopération sous-régionale, pour favoriser le rapprochement entre les États, les entreprises et les peuples, afin de relever ensemble, le plus grand défi à l’intégration économique continentale.
Les principaux partenaires financiers de l’Organisation, actuels et futurs, notamment l’Union européenne, l’Union africaine, la France, les États-Unis, le Groupe de la Banque mondiale et différentes Agences spécialisées des Nations unies qui appuient ou sont susceptibles d’appuyer le processus d’intégration sous-régionale, en finançant la majeure partie des programmes prioritaires de la CEEAC, s’attendent à ce que l’Organisation fasse des efforts considérables pour améliorer son image et renforcer sa crédibilité, en améliorant la gouvernance interne, en instaurant les principes d’imputabilité et de transparence dans la gestion des ressources allouées.
De plus, quoique la CEEAC soit un outil intergouvernemental, elle aurait beaucoup à gagner et pourrait s’avérer beaucoup plus efficace en impliquant et faisant participer activement les organisations de la société civile et le secteur privé également, pour impulser l’intégration économique. Ensemble – État, société civile et secteur privé –, ils peuvent relever le plus grand défi du continent, celui de permettre à la jeunesse africaine d’accéder aux emplois stables, productifs et décents, nécessaires pour lutter contre l’embrigadement idéologique, l’extrémisme religieux et l’enrôlement des jeunes dans les groupes armés.
Aujourd’hui plus que jamais, la CEEAC est à la croisée des chemins et doit prendre des décisions qui veillent à étendre sa visibilité internationale pour attirer l’attention des acteurs importants de la coopération internationale au développement, susceptibles d’investir dans la sous-région, pour améliorer le bien-être des populations locales. Ceci dit, la crédibilité et la visibilité de l’organisation dépendront du choix judicieux des dirigeants qui sera fait à la session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement en mai prochain, pour renforcer réellement les capacités institutionnelles et humaines du secrétariat général de la CEEAC afin de lui permettre de faire avancer l’agenda d’intégration économique sous-régionale.
Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue
Ancien conseiller à la direction de l’Afrique centrale et occidentale du ministère canadien des Affaires étrangères et commerce international