Contrôles aux carrefours stratégiques, patrouilles nocturnes : la réapparition depuis quelques semaines de l’armée centrafricaine rassure, interroge et inquiète tout à la fois à Bangui, alors que le second tour de l’élection présidentielle vient de rendre son verdict.
L’ancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra a été élu président de Centrafrique, selon l’Autorité nationale électorale (ANE) qui a publié samedi les résultats du second tour. Faustin-Archange Touadéra, dernier Premier ministre de l’ex-président François Bozizé renversé en 2013, a recueilli 62,71% des suffrages contre 37,29% pour son rival, Anicet-Georges Dologuélé selon l’ANE. Ces résultats doivent être validés par la Cour constitutionnelle de transition.
Le nouveau président sera chargé de redresser le pays. Signe de stabilisation : l’armée nationale a recommencé à patrouiller dans les rues de la capitale centrafricaine, Bangui. Aux abords du PK-5, l’enclave musulmane de Bangui, qui a été longtemps le théâtre de violences sanglantes, le caporal Hilaire arrête tous les motos taxis. « On contrôle pour voir s’ils transportent des grenades ou des munitions » explique dans un français approximatif le sous-officier à la tenue dépenaillée, un fusil artisanal en bandoulière.
Il y a encore peu, ce « poste avancé » aujourd’hui gardé par les « Faca », les Forces armées centrafricaines, était occupé par des miliciens anti-balaka qui n’hésitaient pas à racketter les habitants en échange d’un semblant de protection.
« Maintenant qu’on est là, les gens n’ont plus peur de sortir, les commerçants musulmans peuvent aller en ville et les chrétiens font leurs courses au PK-5 », assure le caporal.
Cette présence sur le terrain était inimaginable il y a encore un an. Lorsque le pays a sombré dans le chaos en mars 2013, les Faca, désorganisées, mal formées et exsangues ont été incapables de résister aux rebelles Séléka qui ont marché sur Bangui. Au plus fort des violences intercommunautaires qui ont suivi, les Faca (7 000 à 8000 hommes), ont souvent été accusées de troquer l’uniforme contre la machette.
Les habitants rassurés par la présence des Faca
« Au premier coup de feu, ils interviennent », raconte Pacôme Pabandji, un jeune Centrafricain qui étudie à Lille et qui est rentré dans son pays pour l’élection présidentielle. Selon lui, les habitants de Bangui apprécient le retour de l’armée car les forces internationales sont jugées trop « passives ». Assurer la sécurité est en effet à la charge quasi exclusive des forces internationales : les Français de Sangaris (900 hommes actuellement) et 10 000 Casques bleus.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a décrété un embargo sur les armes et l’instruction militaire à destination de la Centrafrique, qui vient d’être prolongé jusqu’à début 2017, estimant que la priorité allait au rétablissement de l’Etat dans ce pays ravagé.
Pour le ministre de la Défense, Joseph Bindoumi, qui a personnellement impulsé le retour sur le terrain des soldats et plaide pour une levée totale de l’embargo,
« la réhabilitation des Faca est nécessaire ». « Quel pays n’a pas d’armée ? On a présenté les Faca comme des barbares, mais ça n’existe pas une armée propre », affirme-t-il.« Si vous avez 7 000 hommes et que vous ne vous en servez pas, que vont-ils faire ? ».
Pour Pacôme, le calme est réellement revenu à Bangui, et les gens ne sont plus inquiets de sortir. Seul incident de son séjour à Bangui : une petite altercation avec un soldat qui pensait avoir été pris en photo. « Mais c’est juste un cas isolé ».
Un retour potentiellement « dangereux »
Dans les milieux diplomatiques, la décision de faire revenir les FACA inquiète. « C’est trop tôt, les conditions d’une armée professionnelle et équilibrée sur le plan ethnique ne sont pas réunies », affirme le chef de la mission de l’ONU en Centrafrique, le Gabonais Parfait Onanga-Anyanga, selon qui un « déploiement opérationnel des Faca n’est pas souhaitable pour l’instant ».
Une source militaire française ne dit pas autre chose : « Laisser les Faca livrés à eux-mêmes dans la rue, sans véritable chaîne de commandement est dangereux, ça revient à créer des milices de quartiers », les soldats étant affectés dans leurs propres quartiers.
« Il faut construire cette armée pierre par pierre », juge un expert en sécurité, soulignant qu’« on part de zéro : l’armée n’a aucun budget, très peu d’armes, les archives et dossiers ont été détruits, même pour trouver des tenues c’est compliqué ». Pour cette source, « un tri préalable est indispensable car beaucoup sont juste dans l’armée pour percevoir leurs soldes ».
La dimension ethnique ne devra pas être négligée face à une armée prétorienne, composée de soldats originaires des mêmes régions que les présidents qui se sont succédé à la tête du pays (à l’heure actuelle ce sont surtout des Gbaya, l’ethnie de l’ex-président Bozizé renversé en 2013).
Une fois le gouvernement installé, estime Parfait Onanga-Anyanga, « les Faca peuvent constituer le vrai défi post-électoral pour ce pays ».