L’accouchement n’aura pas été facile. Mais l’essentiel c’est que l’enfant est né, peut-on dire au sujet du processus politique et électoral au terme duquel Faustin-Archange Touadéra a été élu président de la RCA avec 62,71% des suffrages contre 37,29 pour son rival, Anicet Georges Dologuélé. En attendant que ces résultats reçoivent l’onction de la Cour constitutionnelle de Transition, les Centrafricains peuvent déjà pousser un grand ouf de soulagement. Et avec eux, la communauté internationale en général et la France en particulier. Car celle-ci, plus que tout autre pays, pour des raisons évidentes liées à l’histoire, aurait ressenti l’échec de ce scrutin de tous les espoirs, comme son propre échec. C’est pourquoi l’Hexagone n’avait pas hésité un seul instant à déployer dans ce pays le dispositif Sangaris et à mettre en branle son savoir-faire diplomatique pour tirer coûte que coûte la RCA des profondeurs de l’abîme où elle avait dangereusement plongé depuis 2013, date à laquelle les éléments de la rébellion Séléka de Michel Djotodia s’étaient emparés du pouvoir par la force. L’on se rappelle, en effet, que cette date avait ouvert l’ère des tueries massives intercommunautaires et plongé tout le pays dans le chaos.
La RCA vient de marquer un bon point
Il fallait donc impérativement en sortir avec la bonne manière. C’est ce qui semble avoir été fait par l’élection de l’universitaire et intellectuel Faustin-Archange Touadéra. L’on peut faire le constat que c’est la première fois que les Centrafricains ont une personnalité de ce profil à la tête de leur pays. Avant lui, à l’exception de Catherine Samba-Panza et de Barthélémy Boganda, tous les présidents qui se sont succédé dans le pays ont tous brillé par leur absence de consistance intellectuelle. Ils étaient soit des soudards, soit d’obscurs trafiquants de diamant. Le plus emblématique d’entre eux, est celui qui n’hésitait pas à serrer les fesses devant le général De Gaule, considéré par ailleurs comme son parent, c’est-à-dire Jean Bedel Bokassa. De ce point de vue, la RCA vient de marquer un bon point avec l’élection d’un professeur de haut niveau de Mathématiques. Cette victoire d’une personnalité de ce profil peut être perçue comme une victoire posthume de cet autre intellectuel qui s’est battu toute sa vie durant, sans succès, pour gouverner la Centrafrique, c’est-à-dire Abel Goumba. Du fond de sa tombe, il pourrait s’en réjouir. L’on peut donc, au regard du profil du nouveau président, supposer qu’il a les ressources intellectuelles voire morales pour remettre la RCA en état de marche vers des lendemains meilleurs. Ses compatriotes, en l’élisant avec 62,71% des suffrages exprimés, lui ont largement donné un quitus pour le faire. Il lui revient donc d’apporter la preuve qu’en plus d’être un intellectuel de haut vol, il est un homme politique qui a de la vision pour son pays. Et l’un des grands actes qu’il doit poser dans ce sens est de prendre sous ses grandes ailes protectrices d’Archange, tous les Centrafricains et toutes les Centrafricaines dans leurs diversités politique, culturelle, ethnique et religieuse.
Touadéra représente l’ultime espoir
C’est en réunissant tous les Centrafricains autour de sa personne sans exclusive qu’il pourrait se donner toutes les chances de réussir là où tous les autres présidents ont échoué avant lui. Il doit donc se servir des erreurs de l’histoire pour mieux poser les jalons du présent et de l’avenir de ce pays dont les dirigeants ont jusque-là rivalisé de la pire manière pour arrimer la RCA à la médiocrité et à la bêtise humaine. Les équations qui attendent donc le professeur de mathématiques sont nombreuses et complexes. Et tout le mal qu’on lui souhaite est qu’il parvienne à les résoudre dans l’intérêt supérieur du peuple centrafricain. Mais pour ce faire, ses compétences en Algèbre et en géométrie seulement sont loin de suffire. Car sous d’autres cieux, en Afrique, l’on a vu des intellectuels de sa trempe qui, une fois au pouvoir, se sont illustrés comme de piètres gestionnaires d’hommes et de grands prédateurs des richesses de leur pays et des libertés individuelles et collectives. Personne donc ne doit souhaiter que Touadéra enfile ce genre de costume. A commencer par le peuple centrafricain pour qui il représente l’ultime espoir. La balle est donc désormais dans le camp de l’Archange qui a entre ses mains le destin de la RCA. Et il a des atouts pour écrire en lettres d’or ce destin. Il y a d’abord le fait que son rival, Anicet Georges Dologuélé, a accepté de jouer la carte de l’apaisement et de l’élégance politique en déclarant ceci peu après la proclamation des résultats : « pour la paix, je fais le choix de respecter les résultats provisoires publiés par l’Autorité nationale des élections (ANE). J’invite mes militants, sympathisants et alliés à garder le calme ». Dologuélé tenait ces propos en même temps qu’il dénonçait un « système de fraudes massives orchestrées à plusieurs niveaux avec l’implication ostentatoire des pouvoirs publics ». Ce comportement est assez rarissime en Afrique pour être souligné et salué à sa juste valeur. Et son mérite est d’autant plus grand qu’au 1er tour, il était arrivé très loin devant Touadéra. Le deuxième atout de Touadéra pour réussir sa mission, tient au fait qu’il a réussi à se débarrasser des carcans du KNK, le parti de l’ancien chef de l’Etat François Bozizé, pour se présenter en candidat indépendant. Il a donc les coudées franches pour impulser dans son style une gouvernance vertueuse pour la Centrafrique.
Sa tâche pourrait être davantage facilitée s’il réussissait à s’appuyer sur une majorité parlementaire suffisamment confortable pour l’aider à mettre en œuvre son programme de société. Ce qui, pour l’instant, est loin d’être gagné. En tout état de cause, face à un pays qui, sous tous rapports, est en lambeaux, Touadéra a beaucoup de grain à moudre. Il aura besoin de toutes ses ressources d’archanges pour résoudre cette vaste quadrature du cercle que représente la RCA. De ce point de vue, la communauté internationale est forcément interpellée, elle qui aura beaucoup contribué à éviter que la Centrafrique ne touche irréversiblement le fond.
« Le Pays »