Mario AZOU-PASSONDA
« Souvent nos démêlés étant près de finir, L’empereur a pris soin de les entretenir »(1).
Depuis le 14 février 2016, se sont
tenus, mal gré bon gré, le second tour de la présidentielle et le nouveau premier tour des législatives. La présidentielle qui nous intéresse ici oppose les deux candidats retenus, par la Cour Constitutionnelle de Transition, à l’issue des résultats du premier tour. Depuis l’acheminement des urnes à l’ANE, les résultats ont commencé à être publiés où finalement le mathématicien Faustin Archange TOUADERA est élu.
Ces résultats diffusés à compte goutte rimaient avec l’impatience des électeurs et surtout des deux camps qui ne cessent de s’accuser mutuellement des écarts de comportement lors des élections pour les uns, et au moment de compilation des données pour les autres. Comme tout le monde peut le constater, les candidats les plus calmes et sereins du premier tour sont maintenant tomber à leur tour dans une profonde inquiétude pouvant se transformer en une désorientation fatale. Toutefois, le sens élevé du patriotisme des uns et des autres, et surtout des deux candidats, s’il y en a, permettra de prouver aux yeux du monde entier que les hommes politiques centrafricains ne sont pas que capables du pire, mais aussi du meilleur.
C’est pourquoi il importe de savoir : quels sont les démêlés de ce second tour de la présidentielle et comment doit-on les appréhender ? L’analyse des lignes qui suivent nous permettra de mener une analyse sur l’environnement politique de ces élections, considérées par tout le monde comme gage de sortie de crise.
1- Les alliances politiques de l’entre-deux-tours
Chacun des candidats a pu déployer des moyens en fonction de sa capacité tout en bénéficiant de certaines alliances politiques, car étant en ballottage. Il y a lieu de rappeler ici que cette élection présidentielle est unique en son genre, car déjouant tous les pronostics, même les mieux élaborés. Il s’agit évidemment d’une équation à plusieurs inconnues ; une élection dans laquelle la notion et, le principe de favori devient l’exception ; mais favori selon quel institut de sondage, d’autant qu’il n’en existe aucun en RCA !
En effet, le candidat DOLOGUELE est soutenu par une poignée des membres du KNK restée fidèle à l’ancien président François BOZIZE ainsi que par le RDC de Désiré NZANGA-KOLINGBA. A noter que l’Assemblée Générale du KNK a évincé dans la foulée les dignitaires traditionnels dudit parti et s’est prononcée publiquement pour un soutien au profit de TOUADERA. Outre ces deux « grands » partis, le PNCN de Cyriaque GONDA a subi une crise liée à un consigne de vote en faveur de DOLOGUELE prôné par le président lui-même, mais désavoué publiquement par l’Assemblée Générale en faveur de TOUADERA. A ceux-là s’ajoutent quelques autres partis politiques de très moindre importance.
Donc à y voir de près, le candidat DOLOGUELE n’est presqu’appuyé que par le RDC qui, malheureusement, a dû mal à redorer son blason depuis la disparition de son président fondateur, l’ancien président André KOLINGBA, voire même depuis son départ du pouvoir suite aux élections de 1993.
Le candidat TOUADERA de son côté s’est appuyé sur la machine électorale de ses alliés du premier tour parmi lesquels le MLPC ainsi que le KNK-dissident de l’ancien président BOZIZE qui, ayant évincé les responsables proches de BOZIZE ont affirmé leur soutien publiquement à TOUADERA. Tel est aussi le cas du PNCN de Cyriaque GONDA sus cités. Ceci traduit la réalité dans la plupart des partis politiques dont seuls les responsables ont choisi de soutenir DOLOGUELE suscitant ainsi la colère de la base, même si dans certains cas il n’y a pas eu de remue-ménage. A ceux-là s’ajoutent les vingt et un autres partis politiques qui ont coalisé au profit de TOUADERA au lendemain de la proclamation définitive des résultats, sans oublier les voix de la communauté musulmane représentées par MECKASSOUA ainsi que toutes les branches armées de la SELEKA qui n’ont pas observé la neutralité.
2- Les dérives probables des deux camps
Ces probables dérives sont constituées par la tricherie orchestrée, impossible de dire, directement par les candidats. Les fraudes peuvent être orchestrées par les quartiers généraux des campagnes des candidats ou leurs cellules de soutien. Il ne fait aucun doute que la sincérité des élections dépend en grande partie des candidats ainsi que de leurs quartiers généraux (QG) de campagne.
Ainsi, lors de cette élection, des fraudes et création de bureaux de vote fictifs ont été décriées par le camp DOLOGUELE au profit de TOUADERA qui, à son tour, accuse le camp DOLOGUELE de vouloir s’offrir les services impropres du Rapporteur de l’ANE. Autrement dit, DOLOGUELE a tenté de corrompre le rapporteur de l’ANE qui sera immédiatement relevé de ses fonctions afin de ne pas ternir la crédibilité du scrutin.
D’une part, il convient de noter qu’en cas de fraudes, les résultats ne seront invalidés par la Cour Constitutionnelle que lorsque ces irrégularités seront de nature à inverser les résultats du vote en faveur de l’un des candidats eu égard à l’existence d’un faible écart de voix entre les deux candidats. En d’autres termes, pour que les requêtes de l’un des candidats tendant à l’annulation du scrutin soient prises en compte, il faudrait que les deux candidats soient au coude-à-coude dans les résultats avec un faible écart de quelques centaines de voix. Dans le cas contraire, la Cour Constitutionnelle va corriger les erreurs ou purement et simplement rejetées la requête comme lors du premier tour.
Or, il s’avère que la Communauté internationale dans son ensemble (L’OIF, CEEAC, MINUSCA, les chancelleries, …) ont déjà qualifié ces élections de crédibles tout en appelant les candidats à accepter les résultats(2). A titre d’exemple, la CEEAC s’est félicitée du bon déroulement de ces élections en estimant, entre autres, que « l’augmentation du nombre de bureau de vote a contribué à la fluidité des opérations de vote » et que « Le secret du vote a été respecté ». Toutefois, la CEEAC a déploré, entre autres, « la faible représentativité des mandataires des candidats aux législatives dans certains bureaux de vote » et « le manque d’information relative au vote par dérogation » (3).
S’il est clair que le nombre des bureaux de vote a été augmenté, les candidats avaient l’obligation de se faire représenter dans chacun de ses bureaux de vote. Si les candidats manquent à leurs obligations dans ce sens, l’ANE, en aucun cas ne pourra être tenue responsable et, moins encore évoquer l’existence de bureaux de vote fictifs, sauf bien sûr, à en apporter les preuves; ce qui retiendra fort bien l’attention des sages de la Cour Constitutionnelle.
D’autre part, le Rapporteur de l’ANEA a été accusé de partialité en faveur de DOLOGUELE. Accusation avérée ou non, la question qui pourrait interpeller le citoyen lambda est celle de savoir : pourquoi accuser le Rapporteur et non pas la Présidente ou le responsable des opérations électorales ? Un adage généralement connu du public centrafricain dit : « Le voleur récidiviste fini toujours par être attrapé » ; mais moi, j’ose espérer que cet adage ne s’applique pas dans le cas d’espèce et que le camp TOUADERA a tort.
En principe, la justice devait être saisie afin que la vérité soit manifestée. Toutes les fois que les fraudeurs des élections ne seront pas sanctionnés, on entendra toujours parler des fraudes. Les lois sont faites pour être appliquées et non pour orner les colonnes des journaux. Il faut faire évoluer cette jeune démocratie renaissante par la mise en application effective des lois.
3- L’illusion probablement fatale de DOLOGUELE
Le candidat DOLOGUELE a déployé, on pourrait le dire, un arsenal de campagne hors du commun, impliquant des grands moyens avec les plus grands artistes du pays qui sont OZAGUIN et NGOUTIWA, outre l’artiste Congolais JB M’PIANA.
Il faut dire que ces artistes se trouvent au summum du hit-parade centrafricain. Toute la jeunesse centrafricaine a une sympathie avérée envers ces deux icônes, sans oublier l’artiste congolais JB M’PIANA très connu du public banguissois. Il est clair que DOLOGUELE a a été très malin en s’accaparant le service de ces deux géants de la musique centrafricaine, considérés comme des idoles par une grande partie de la jeunesse centrafricaine.
Inutile de préciser ici qu’aucun Centrafricain n’accepterait de manquer une occasion aussi merveilleuse qui est celle d’une rencontre musicale entre OZAGUIN et NGOUTIWA avec JB M’PIANA dont l’entrée est absolument gratuite. Voilà pourquoi, des milliers de personnes se sont déplacées massivement jusqu’à remplir complètement le Complexe Sportif Barthélemy Boganda qui dispose de 20 000 places assises. Et c’est là que naît l’illusion de DOLOGUELE qui croyait réussir son pari. Or, ce n’était pas le cas. Cette jeunesse n’était là que pour se réjouir et non en considération de la personne de DOLOGUELE.
Déjà à l’amorce de ce second tour, la quasi totalité des Centrafricains ont déjà rejeté DOLOGUELE qui était qualifié de candidat de la bourgeoisie dans un grand village en lambeaux, alors que TOUADERA était considéré comme le candidat du peuple et plus proche de ce peuple dans ses malheurs provoqués par la SELEKA. Le peuple sait aussi que, bien qu’étant économiste, DOLOGUELE ne connaissais nullement la bancarisation des salaires, que lui-même peinait déjà à payer, pour que ce soit le mathématicien qui la réalise à sa place.
A cela s’ajoute le fait qu’il a préféré remboursé les dettes des bailleurs de fonds (un acte courageux et salutaire à long terme pour le pays) plutôt que de payer les salaires, bourses et pensions des retraités, cumulant ainsi les arriérés de salaire. DOLOGUELE a été également affecté par les révélations de WikiLeaks sur les détournements des bonus d’exploitation du pétrole versés par deux sociétés chinoises(2) ; lesquels détournements ont été opérés par François BOZIZE et son cousin Sylvain NDOUTINGAÏ devant ainsi milliardaires de l’époque. Le peuple centrafricain se rend compte maintenant qu’il ne faisait que naïvement confiance à BOZIZE en se contentant de l’insignifiant.
Ainsi donc, bon nombre des électeurs fidèles à BOZIZE ont fini par faire volte-face en faveur de TOUADERA qui était le numéro deux du KNK. Toutes les raisons sus évoquées seront inévitablement fatal pour l’espoir de DOLOGUELE à l’issu de ces élections. Et personnellement, je pense que le candidat DOLOGUELE a commis une erreur grossière en faisant appel à un artiste congolais de s’immiscer dans une campagne électorale qui est considéré dans toutes les démocraties comme l’un des symboles de la souveraineté.
En fin de compte, le candidat DOLOGUELE peut encore sauver sa face en évitant des procès inutiles et coûteux en termes des honoraires des avocats qu’il va mobiliser ; ce qui finira par ternir son image politique. L’histoire récente des Etats-Unis, modèle en matière de la démocratie, est significative en la matière, lorsque Al Gore a accepté sa défaite face à Georges W. Bush alors que les voix de son fief ne pouvaient être comptabilisés dû à un problème incessant d’ordinateur. Al Gore a accepté d’abandonner. Le candidat DOLOGUELE peut aussi sortir la tête haute. La fatalité ne viendra que de l’entêtement car, qui sait demain ?
il est maintenant du devoir du candidat DOLOGUELE de surprendre le monde entier par une preuve de maturité politique et de patriotisme, en acceptant le résultat des élections sans histoire de manifestations. Appeler son adversaire pour le féliciter revient à savoir conserver la considération de soi-même et des autres. L’honneur, disait SAINT-FOIX, « c’est la force de l’âme animée ou réveillée par le devoir, et qui, quelquefois même, nous porte au delà de ce qu’il prescrit » (4). Alors, « À tous nos démêlés coupons chemin, de grâce » , disait MOLIERE.
Aujourd’hui, les Centrafricains sont fier d’avoir choisi librement un homme et un intellectuel de haut rang pour présider à la destinée de la nation pour les cinq années à venir. Espérant de tout cœur que Faustin Archange TOUADERA, le gros outsider de cette élection, ne faussera pas l’espoir que les Centrafricains ont placé en lui, je lui souhaite bonne chance, car il en aura bien besoin.
Que Dieu bénisse le Centrafrique !
Mario AZOU-PASSONDA
Enseignant-Chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
De l’Université de Bangui