N’DJAMENA — En prise actuellement avec quelques menus soucis domestiques, le président tchadien n’avait vraiment pas ces derniers temps l’humeur à la franche rigolade. D’autant plus que, ses aventures militaires au Mali et en RCA, plus la guerre asymétrique contre Boko Haram lui ont coûté bonbon, la bagatelle de 165 milliards de F CFA (plus de 251 millions d’euros) – une paille. Et son peuple du coup tire la langue et râle, et il le sait.
Aussi, en recevant récemment Faustin TOUADERA le tout nouveau président centrafricain, il fut courtois, mais très protocolaire, pour ne pas dire moins. Car en Touadera, il revoyait Bozizé – mauvais plan !
Car le “sanglant et impossible dossier centrafricain” lui reste toujours en travers de la gorge. Et encore récemment il ne cessait de redire à ses proches :
“Ces gens sont des ingrats. Bozizé était le pire des ingrats, j’ai tout fait pour ce type, et tout ça pour quoi ? Pour rien, même pas un merci. Qui bouclait ses fins de mois à lui là ? La France et le Tchad ou pas ? Quand il n’allait pas pleurer auprès des chinois […] Sur la transition qui a suivi, Je n’ai jamais, mais jamais compris comment ces gens du CNT à Bangui ont pu mettre cette ‘femme là‘ ( NDLR : Catherine Samba-Panza) au pouvoir. C’est une catastrophe. Ce qui l’intéresse elle c’est sa toilette.”
“Avec cette crise là bas, des milliers de gens ont afflué ici. On a été dépassé. Ces ‘tchadiens’ qui sont installés en RCA depuis au moins trois générations, qui soutiennent l’économie de ce pays, sont chassés d’un coup, ils ne sont plus des centrafricains ? Nous avons fait de notre mieux en catastrophe pour les aider. La RCA nous a donné un franc pour ça ?”
Comme l’écrivait en Avril 2013 Gaël Grilhot de RFI AFRIQUE à son propos : “Ainsi donc, ce serait par la faute de l’indélicatesse de son « frère » (Kadhafi) qu’Idriss Déby Itno aurait décidé de lâcher Bozizé, permettant à la Séléka de rentrer dans Bangui comme dans du beurre, avec les conséquences que l’on connaît. En se posant ainsi une nouvelle fois comme l’un des arbitres du jeu centrafricain, le président tchadien a donné la preuve que rien ou presque ne pouvait se produire en Afrique centrale sans qu’il n’en endosse une part de responsabilité.”
Accusé de toutes parts en RCA d’être le fomenteur de tous les sales coups fourrés dans ce pays, de colère, il avait retiré ses troupes de la coalition MISCA/MINUSCA en RCA; après un énième différent, mettant en cause l’assassinat de dizaine de civils à Bangui par ses soldats. Et jure qu’on ne l’y reprendra plus. A l’époque il avait crié : “Ne ne parlez plus jamais de la RCA !”
Pour se rattraper, il avait organisé en 2014 à N’Djamena la “démission forcée” de Djotodia, qu’il était accusé d’être le soutien inconditionnel dans sa courte mais sanglante cavalcade au pouvoir.
Et Michel Djotodia s’en souvient encore la rancune à fleur de peau :
“Tout était réglé d’avance avant même que je n’arrive. C’était un piège. Les papiers étaient prêts, je n’avais plus qu’à signer. Je n’ai même pas lu. Pour cela que j’ai refusé son aide et son argent.”
L’homme parfois cassant et distant peut aussi être disert, comme lorsque sur une chaîne camerounaise, il se lâchait franchement sur ‘la Françafrique’ ou sur ‘la nécessité de quitté le Franc CFA”. C’était il y a à peine 6 mois.
« Il y a aujourd’hui le F CFA qui est garanti par le trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer. Je crois que c’est une décision courageuse que nos amis français doivent prendre ».
« Les clauses économiques entre la France et l’Afrique sont dépassées »
Ajoutant encore :
« L’Afrique, la sous-région, les pays africains francophones aussi, ce que j’appelle la coopération monétaire avec la France, il y a des clauses qui sont dépassées. Ces clauses-là, il faudra les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et dans l’intérêt aussi de la France. Ces clauses tirent l’économie de l’Afrique vers le bas, ces clauses ne permettront pas de se développer avec cette monnaie-là ».
Drôle de bonhomme, toujours là où on ne l’attend pas. Car ce ne sera jamais ni un Denis Sassou N’Guesso (Congo Brazza) ni un Paul Biya – le dictateur à mi-temps – (Cameroun) qui tiendrait un tel discours pro-tiers-mondiste.
LE NOUVEL HORIZON CENTRAFRICAIN QUI SE PROFILE NE L’INSPIRE PAS
Touadera eut été mieux inspiré de ne pas se pointer à N’Djamena par les temps qui courent. Il fut le premier ministre de Bozizé, et Idriss Deby a très bonne mémoire.
Si par comparaison, Touadera fut reçu chaleureusement en Angola, avec les mots du président José Eduardo dos Santos pour un renforcement des liens fraternels et de coopération entre l’Angola et la RCA, rien de tout cela avec Deby qui fit service minimum.
Méfiant, comme un joueur de poker, ll attend la suite.
D’un proche cette confidence :
“Le problème c’est que le président ne sait pas sur quel pied danser avec le nouveau président centrafricain. Et il craint que cela ne recommence comme avec Bozizé, c’est sa pire crainte. Et il sait que Touadera comme PM était le petit chien de Bozizé qui avalisait toutes ses dérives. […] Par ailleurs, il se demande comment le cas des rebelles dans le pays sera réglé. La Centrafrique actuellement est ingérable si une fin définitive n’est pas mise à ces rebellions. Car s’il fait comme Samba-Panza en s’amusant naïvement à négocier avec eux, il ira droit dans le mur. […] mais il viendra à son investiture, soyez-en certains.”
TCHAD – CENTRAFRIQUE : “JE T’AIME MOI NON PLUS”
Ces deux pays enclavés d’Afrique centrale sont liés malgré eux par l’histoire. Deux frères ennemis qui ne peuvent se passer l’un de l’autre. Ce qui se passe chez l’un, affecte automatiquement ce qui se passe chez l’autre.
Et contrairement à une certaine logique qui voudrait que la RCA par affinité linguistique commune soit plus proches des congolais (Kin et Brazza) – le Sangö et le Lingala sont toutes deux des langues dérivées des langues Banda – c’est avec le Tchad qu’elle entretient les liens les plus étroits, malgré les régulières querelles de famille, qui finissent toujours par s’apaiser.
Deby le sait, mais comme actuellement en Centrafrique c’est “Haro sur les tchadiens !”, alors il patiente, avec cette petite phrase :
“Ils reviendront, ils reviennent toujours vers nous.”