La RCA vient de se faire doter d’un président normal au terme de trois années de transition chaotique. Brillamment élu, le nouveau président Faustin Archange Touadera sera investi le 30 mars par les autorités de la transition. Fort de ce succès alors que personne ne pouvait parier à la réussite de cette noble mission, le premier ministre Mahamat Kamoun a décidé de briser son silence légendaire. MK n’a pas seulement réussi à organiser l’élection présidentielle, son gouvernement est en train de battre actuellement un record dans le domaine des réalisations des infrastructures routières à Bangui. L’exécutif de la transition a en effet réussi à réhabiliter 12 km de route grâce aux fonds tirés des recettes fiscales. Centrafrique Libre a rencontré le PM Mahamat Kamoun qui nous a présenté son bilan dans tous les domaines à quelques jours de la fin de la transition. Nous allons aujourd’hui aborder les questions liées aux élections; la feuille de route de la transition et surtout la sécurité. Nous publierons cet entretien sur les autres aspects dans les jours à venir.
Bonjour M. le premier ministre, vous venez d’organiser les élections avec succès. Le Pr Faustin Archange Touadera a été brillamment élu, c’est assez exceptionnel. Quelles sont vos impressions surtout que personne n’aurait imaginé que puissiez atteindre cet objectif ?
En termes d’impression, je pense que nous ne pouvons qu’exprimer notre sentiment de satisfaction. Satisfaction, parce que lorsque nous entendons les centrafricains se féliciter de la tenue de ces élections, lorsque nous recevons des félicitations également de partout, de la part de nos partenaires de l’extérieur et donc c’est un réel motif de satisfaction pour avoir donc tenu ce pari. Comme vous le dites, personne n’avait cru, mais nous nous sommes dit que le but ultime de cette transition c’était le retour à l’ordre constitutionnel qui passe nécessairement par l’organisation des élections libres démocratiques et crédibles et c’est ce que nous avons offert. Cela a pris du temps parce que tout simplement les conditions et le contexte dans lequel nous vivions était extrêmement difficile, donc il fallait solliciter le report de la fin de la transition à deux reprises. Au lieu de février nous avons tenu un premier report en aout 2015 ensuite cela n’a pas été possible suite aux tractations du forum de Bangui. Les forces vives de la nation ont souhaité avoir des élections et nous avons tenu notre engagement. Nous avons suivi ces recommandations pour solliciter à nouveau une prorogation de la durée de la transition jusqu’au 31 décembre 2015. Et là également compte tenu des maux que nous avons connus, les maux politico-militaires que nous avons connus, nous sommes repartis au début du mois de décembre à Libreville à un sommet de la CEEAC pour formuler une requête tendant à repousser la fin de la transition au-delà de cette date et nous avons obtenu à nouveau la prorogation jusqu’au 31 mars.Nous avons décidé avec l’appui de toutes les forces vives de la nation centrafricaine de faire en sorte que les élections aient lieu. Le premier tour du referendum d’abord et la présidentielle et les législatives avant le 20 décembre 2015 et le reste au plus tard le 31 mars 2016.
M. le premier ministre les élections qui constituent l’un des aspects importants de votre feuille de route sont un succès et les centrafricains vous le reconnaissent. Mais sur le plan humanitaire vous semblez avoir échoué lorsqu’on sait que vos compatriotes sont toujours sur les sites des déplacés. Avez-vous délibérément choisi les élections au détriment de la situation désastreuse de nombreux centrafricains qui errent encore dans la nature tant à Bangui, à l’intérieur du pays et dans les pays voisins notamment le Tchad, les deux Congo et le Cameroun ?
Nous avons essayé de travailler simultanément sur tous les aspects et sur les 4 piliers de la feuille de route que sont : la Restauration de la sécurité et de la paix, vous constatez également qu’il y a eu des progrès notables, la Relance économique, il vous souviendra que vers le premier trimestre jusqu’au 2è trimestre 2014, l’axe Bangui-Garoua-Boulaye n’était pas fréquentable. Les convois étaient escortés par la MINUSCA mais à un rythme vraiment irrégulier d’un convoi par semaine, c’est ce qui avait créé un problème d’approvisionnement dans la ville de Bangui. Nous nous sommes battus pour rendre fluide la circulation sur cet axe et nous avons comme vous l’avez su, procédé à la relance des activités dans le secteur forestier par l’attribution des permis, on a présidé à peu près cinq et toutes ses sociétés ont démarré leurs activités. Le commerce général s’exerce correctement, donc sur le plan économique on a beaucoup travaillé. On est passé d’un taux de croissance de moins 13% en 2014 à moins 1% et aujourd’hui nous avons un taux de croissance positif. Ensuite sur le plan des élections, on a travaillé, sur le plan humanitaire là où vous pensez qu’on a échoué, je ne partage pas cet avis. Je vous donne un seul chiffre : sur le site de Bangui M’poko au premier janvier jusqu’à mi-2014 on était à 100 mille déplacés, aujourd’hui nous sommes à combien ? Moins de 20 mille et même là nous avons pris des dispositions pour relocaliser ces déplacés vers Cattin, on a aménagé un endroit là-bas mais malheureusement nous avons eu un problème d’incompréhension avec les humanitaires qui préfèrent que les gens restent ici. Nous avons eu tellement des pressions, il y a de cela quelques mois nous avons même amené des policiers et des gendarmes pour faire déguerpir de gré ou de force les gens et toute la communauté internationale nous a dit non. Ce serait une violation de droit international et humanitaire c’est pour cela que les gens sont encore là. Et tantôt ils ont été même indemnisés par le gouvernement afin de leur permettre d’avoir des kits pour se réinstaller dans les sites que nous avons aménagés. Malheureusement nous n’avons pas pu. Dans certaines églises les gens étaient même partis. Mais malheureusement à la faveur des derniers évènements de septembre et d’octobre 2015, les gens sont revenus. Vous avez vu ce qui s’est passé à Fatima, on a brulé des maisons. Nos efforts ont été annihilés par ces soubresauts à répétition. En général nous avons travaillé et même du point de vue des réfugiés, là aussi je peux vous dire que les chiffres sont éloquents. On est passé de plus d’un million de réfugiés à l’extérieur à un chiffre moins élevé aujourd’hui parce que les gens sont revenus d’eux-mêmes. Ils ont vu que la situation sécuritaire s’améliorait, ils ont décidé de rentrer plutôt que de rester et souffrir à l’étranger. Nous n’avons pas négligé nos compatriotes et la question humanitaire n’a pas été négligée.
Sur le plan sécuritaire il a fallu que vous appeliez les FACA pour accompagner les camions à la frontière camerounaise. La sécurité est revenue à Bangui grâce aux barrières de contrôles installés dans les quartiers et les patrouilles des militaires centrafricains. Regrettez-vous d’avoir privilégié les forces internationales dont le laxisme à une époque n’était pas un secret de polichinelle ?
Vous savez quand on gère un pays il faut se donner le temps pour observer, diagnostiquer et formuler des mesures et mettre en place des plans d’action pour pouvoir concrétiser les choses. Donc… au départ nous avons pensé que les forces internationales surtout la montée en puissance de la MINUSCA devrait permettre le retour de la paix, la sécurité sur l’intégralité du territoire national, mais on s’est rendu compte que les forces internationales MINUSCA, SANGARIS et autres à elles seules ne pouvaient pas tout faire donc il fallait appuyer nos forces de sécurité intérieure par les FACA. Donc il fallait aller progressivement. Vous savez que nous sommes sous embargo donc on nous demande de nous appesantir sur la restructuration des Forces Armées Centrafricaines plutôt que d’assurer leur redéploiement sur le terrain. Il fallait donc appuyer ces forces de sécurité nationale par des formations, par les moyens logistiques et aussi préparer d’abord leur déploiement sur des points statiques . On est passé de 20 points à 300 aujourd’hui dans la ville de Bangui. Donc c’est pour cela que vous voyez dans certains quartiers au niveau du 8è arrondissement, au niveau du 6è et sur les axes Guerengou-Damara, Boali et même sur l’axe Mbaïki, vous voyez maintenant cette présence physique des Forces Armées Centrafricaines et tout cela est fait en coordination avec nos partenaires de développement même si ils sont réticents, mais nous leur avons fait comprendre qu’il faudrait que ces FACA sortent sur le terrain pour rassurer la population. Voilà pourquoi aujourd’hui nous sommes fiers et contents de voir que la situation s’améliore. (A suivre)
Propos recueillis à Paris par Wilfried Maurice SEBIRO