Elu le 14 février, l’ex-chef du gouvernement âgé de 58 ans prendra ses fonctions le 30 mars, une date qui symbolise le début d’une nouvelle donne pour un retour à la normalisation où la restauration de la paix et de la sécurité représente, selon lui, le défi le plus important, pour permettre la relance de l’économie nationale, pour laquelle l’intervention des investisseurs internationaux dont chinois est sollicitée.
Question : Monsieur le président, dans quel état d’esprit vous apprêtez-vous à prendre le 30 mars vos fonctions de chef de l’Etat centrafricain démocratiquement élu ?
Réponse : Merci, c’est une question très importante. Ce que je voudrais tout d’abord dire, c’est de remercier le peuple centrafricain qui massivement a été voter le 14 février et à l’issue de ce vote j’ai bénéficié de 62% [62,69%] des suffrages de mes concitoyens. Ce vote massif sur l’ensemble du territoire signifie pour les Centrafricains qu’ils ont exprimé leur volonté de tourner la page de la crise profonde que notre pays a vécue pendant plus de trois ans. Aujourd’hui ils ont la volonté de revenir à une situation normale, c’est-à-dire avec l’ordre constitutionnel établi.
Pendant la campagne, j’ai parcouru, surtout pour le second tour, pratiquement l’ensemble des grandes villes de notre pays. J’ai vu vraiment la population meurtrie par cette dernière crise ; il y a une attente forte de la part de cette population. Donc, aujourd’hui je suis conscient de ce défi qui est grand, en même temps je suis très honoré par la confiance que la population centrafricaine m’a accordée. Ils m’ont fait confiance pour aider à sortir de cette situation-là. Donc, je mesure vraiment la charge qui m’est confiée et en conséquence je suis déterminé à pouvoir, avec les toutes les tendances confondues, rassembler l’ensemble des Centrafricains pour relever ce défi-là.
Q : Vous le dites vous-même que les attentes sont fortes, le peuple centrafricain veut tourner la page de trois de violences et de souffrances sans précédent. Cela signifie que ce peuple voit en vous un homme providentiel. Etes-vous conscient de ce que vous n’avez pas d’état de grâce ?
R : Providentiel, c’est vous qui le dites. Mais en tout cas, ce que je dis est que le peuple centrafricain m’a fait confiance. Ça veut dire qu’il pense que je peux aider à la résolution du problème et je ne serai pas seul. Avec les Centrafricains ensemble nous pouvons vraiment tourner la page.
Q : Et qu’il n’y a pas d’état de grâce pour vous et votre gouvernement…
R : Bien sûr nous allons nous engager. L’état de grâce, on ne peut pas tout résoudre en même temps. Il y a le temps pour appréhender les problèmes, faire les études, faire des recherches de financements, travailler et obtenir des résultats. Ça, on doit s’accorder au moins là-dessus. Donc tout simplement, je vais m’engager avec les frères et les sœurs qui vont m’accompagner dans cette tâche, et j’invite tous les Centrafricains, parce que là où il se trouve chacun peut apporter sa contribution pour aider notre pays. Et je vais créer cet environnement-là. Bien entendu il y a des réformes à faire et je vais m’engager pour faire ces réformes-là. Il y a aussi des exemples à donner. Je vais être cet exemple-là.
Q : Vous avez mis en place un comité de réflexion pour les actions à mener pendant vos 100 premiers jours de pouvoir. La création de cette structure était-elle nécessaire et quelles sont justement les premières actions fortes que vous envisagez au cours de ces trois premiers mois ?
R : Il y a une incompréhension concernant cette structure. Vous savez, au premier tour il y avait 30 candidats à l’élection présidentielle. Après ce premier tour, deux ont été retenus pour le second tour. Parmi les autres candidats qui n’ont pas eu la chance d’aller au second tour, 23 ont décidé de manière spontanée de me suivre, sans condition, en pensant que sur la base de mon projet de société, ma personnalité et tant d’autres éléments qu’ils ont mis dans la balance je pourrais conduire les choses comme ils le souhaitent et donc ils m’ont soutenu pour le second tour. Et aussi beaucoup de partis politiques, notamment la Plateforme des partis politiques m’ont suivi, y compris d’autres personnalités politiques qui n’ont pas participé aux élections. Les associations m’ont soutenu.
Moi je suis un candidat indépendant. Alors, face à cette dynamique, il fallait concevoir une structure dans laquelle tout le monde pouvait se retrouver pour réfléchir ensemble autour du projet de société que j’ai présenté, après le second tour. Puisque nous avons gagné, il est tout à fait convenable de ma part de les réunir et de leur dire : il y avait différentes entités, individuellement ou par groupes, vous m’avez suivi, qu’est-ce que nous allons faire ensemble pour notre pays ? Etant entendu que cette crise a brisé tous les fondamentaux de notre nation, il faut le dire. Le gouvernement de transition a travaillé, il y a eu un certain nombre de questions qui restent en suspens, notamment les questions de sécurité, de paix, de réconciliation, de désarmement.
Q : La justice aussi ?
R : Oui, la justice aussi. Toutes ces questions imposaient une réflexion, pour qu’il n’y ait pas de recul sur ces questions-là et on a besoin de tout le monde. Donc, je suis là, j’ai promis de rassembler tous les Centrafricains et c’est fort de ce que j’ai dit pendant la campagne, au premier tour comme au second tour, que j’ai convié ces compatriotes qui ont accepté de me soutenir pour que nous puissions ensemble réfléchir et voir ce qu’il y a lieu de faire après ces élections-là.
Q : Sinon, quelles sont les premières actions fortes que vous entendez mener, une fois investi ?
R : La priorité pour moi, c’est la paix et la réconciliation nationale. Vous voyez bien qu’il y a des groupes armés encore. Certains de nos frères détiennent encore des armes, il va falloir discuter avec eux pour qu’ils déposent les armes. Je sais que le processus DDR [NDLR : programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des groupes armés] est un long processus, mais au moins qu’ils désarment. Donc, on va discuter. Ça c’est la priorité. Ensuite, il y a la réforme du secteur sécurité : il faut former nos forces de défense et de sécurité pour en faire une armée professionnelle, avec une mission précise. Ça, ce sont des priorités. Bien sûr c’est un long processus, mais il va falloir placer nos FACA [Forces armées centrafricaines] sous une chaîne de commandement unifiée. Ça veut dire que le DDR et la réforme du secteur de la sécurité sont liés. Ensuite, il y a la réconciliation.
Vous savez que cette crise a créé des problèmes entre nos communautés et a introduit de manière artificielle des problèmes religieux. Il nous faut corriger cela, il faut discuter. Il faudrait trouver un cadre dans lequel nos compatriotes, nos communautés vont se parler. Il faut se pardonner. Il faut lever l’esprit de vengeance. Et là on introduit la justice. On va essayer de travailler avec la communauté internationale pour que notre justice soit une justice équitable, libre et permettre à chaque Centrafricain de pouvoir se retrouver à travers cette justice. Parce que pour nous la justice va être le ciment de la réconciliation nationale. Mais, nous n’allons pas nous ingérer dans les affaires de la justice. Nous allons cependant leur donner les moyens de leur action pour qu’ils [les magistrats] disent le droit.
Q : Il y a notamment ceux qui ont commis des crimes de sang, il faut les juger. Comment prévoyez-vous de conduire ce dossier ?
R : Je vous dis que je n’interviens pas dans les affaires de la justice. Tout le monde est justiciable, si quelqu’un commet des forfaits, il revient à la justice de s’en saisir.
Q : D’après nos informations, en dehors de la grande coalition qui s’est rangée derrière vous, vous avez aussi été soutenu par les ex-rebelles de la Séléka et les milices anti-Balaka. Quelle place allez-vous réserver à ces deux protagonistes de la crise centrafricaine dans votre gouvernement ?
R : Encore une fois, 62% des Centrafricains ont voté pour moi. Pourquoi ? Parce que j’ai prôné la paix, le rassemblement. On doit tourner le dos à la crise. La paix et la réconciliation, ça veut dire ça. Le vivre ensemble, ça veut dire ça. Et bien entendu il y a des actions politiques que nous allons mener. Je vous ai dit que nous allons discuter avec les groupes armés. Ceux qui ont voté pour moi ou ceux qui n’ont pas voté pour moi, aujourd’hui je suis le président de tous les Centrafricains. Je dois pouvoir apporter des solutions à tous les Centrafricains. Donc, ce n’est pas un problème de ceux qui ont voté pour moi ou ceux qui n’ont pas voté pour moi. Ça, c’était pendant les élections, chacun doit faire un choix. Maintenant le choix est fait, tout le monde se regroupe derrière le chef de l’Etat qui est élu et nous travaillons.
Q : Eu égard à tous ces soutiens qui attendent sûrement d’être récompensés, combien de postes votre gouvernement comportera-t-il ?
R : Nous sommes en train d’y travailler. Nous avons encore du temps, et puis il y aura un Premier ministre qui sera désigné. Nous attendons aussi la configuration du Parlement. Toutes ces choses-là sont liées et les réflexions que nous avons menées, nous avons nos actions, nous avons le projet de société. Et bien le moment venu, avec le Premier ministre, nous allons travailler là-dessus.
Q : Comme ce sera un gouvernement de mission, est-ce que ce sera un gouvernement d’ouverture aussi ?
R : On verra, le moment venu.
Q : Faustin Archange Touadéra, est-ce que vous voulez dire que votre élection a créé une dynamique d’une véritable sortie de crise ?
R : Ces élections constituent une étape majeure de sortie de crise. Ça, c’est indéniable. Mais il n’y a pas que ça comme élément de sortie de crise. Il va falloir poursuivre. Je vous ai dit par exemple les principes de DDR, ça c’est un problème. La réforme du secteur de la sécurité, parce que l’armée aujourd’hui est en déconfiture. Donc, il faut former une armée, il faut définir sa mission : une armée professionnelle avec une mission précise. Il y a aussi la relance de notre économie. Vraiment cette crise a détruit le tissu économique. C’est la communauté internationale qui nous soutient, même pour payer les salaires des fonctionnaires et autres. Nous allons pouvoir essayer de remettre notre économie sur les rails et nous avons besoin du soutien de nos partenaires, notamment le Fonds monétaire international et autres pour relancer notre économie.
Q : S’agissant notamment de cette relance de l’économie nationale, quelles recettes proposez-vous ?
R : La relance, c’est d’abord l’assainissement des finances publiques. Il va falloir assainir surtout la chaîne pour les recettes de l’Etat. Ça, ça va nous donner les moyens des investissements. Il y a aussi les secteurs productifs, nous allons regarder, c’est-à-dire faire des réformes. Nous avons le secteur bois, l’agriculture, les mines. Tous ces secteurs-là sont des secteurs productifs, nous allons regarder pour que cela produise suffisamment de ressources pour permettre d’aller vers les investissements. En attendant, nous allons aussi demander à nos partenaires de nous accompagner dans cette mission-là. La relance de l’agriculture est une priorité, car elle est pour nous porteuse de croissance. Surtout que 80% de nos populations ont l’agriculture comme activité principale. Donc, nous devons relancer ce secteur-là, qui va permettre justement à l’ensemble de nos populations de vivre décemment.
Q : Vous parlez de partenaires. La République centrafricaine est le deuxième pays en Afrique après la Guinée-Conakry à avoir établi des relations diplomatiques avec la Chine. Quelle place cette puissance asiatique va-t-elle occuper dans votre diplomatie ?
R : La Chine est un pays frère avec lequel nous avons toujours entretenu des relations fraternelles et de coopération. Nous allons poursuivre, sinon intensifier ces relations, dans l’intérêt mutuel de nos deux pays. C’est ce que nous entendons faire. Ces derniers temps, il y a beaucoup d’accords. Nous avons suivi ce que le président chinois, dans le cadre du sommet du Forum sur la coopération sino-africaine tenu l’année dernière en Afrique du Sud, a proposé. Donc, nous allons aussi participer, comme les autres pays africains, à ce vaste chantier et essayer de raffermir notre coopération avec la Chine.
Q : Est-ce que vous envisagez une visite à Beijing dans les mois suivants votre investiture ?
R : C’est une question que nous allons discuter avec les autorités chinoises elles-mêmes. Il y a un ambassadeur ici à Bangui, que j’ai reçu il n’y a pas longtemps. Il est venu me remettre la lettre de félicitations du président chinois, que je remercie au passage. Donc, on a eu à échanger là-dessus. Je ne suis pas encore investi. Une fois investi, nous allons, avec l’ambassadeur ici, voir dans quelles mesures envisager ce que vous dites, comme visite. Evidemment aussi, vous savez qu’il y a beaucoup d’opérateurs chinois qui opèrent ici en Centrafrique. Il y a un aspect que je voudrais souligner : une des priorités est que nous allons améliorer le climat des affaires pour permettre à d’autres opérateurs ou à d’autres partenaires de venir investir en Centrafrique. Parce que nous pensons que le secteur privé est porteur de croissance. Nos jeunes n’ont pas d’emploi, c’est à travers le secteur privé qu’on va résoudre le problème du chômage des jeunes.
Q : La guerre a poussé des entreprises chinoises que vous évoquez à plier bagages. Est-ce que vous comptez créer des conditions pour permettre à ces entreprises de revenir ?
R : Bien sûr, elles sont parties à cause des problèmes de sécurité. Je vous ai dit que la priorité, c’est la sécurité, c’est-à-dire la paix et la réconciliation nationale. Une fois que ces questions-là sont résolues, je ne vois pas de raison pour que ces entreprises ne reviennent pas. Nous allons tout mettre en œuvre pour sécuriser, d’abord l’abord la sécurité juridique de leurs investissements et ensuite le côté physique de leur présence ici. Et nous allons nous atteler pour leur permettre justement de vaquer à leurs occupations.