Amnesty dénonce nommément des personnalités pour leur rôle dans les atrocités, dont les anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia.
Des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés. Depuis le renversement en mars 2013 du président François Bozizé par les rebelles de la Séléka, la Centrafrique n'en finit pas de sombrer dans le chaos. Le dernier massacre connu remonte à lundi soir contre un camp de déplacés à Bambari (centre), alors que le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en visite à Bangui, soulignait que "sans cessez-le-feu" le pays "n'avait pas d'avenir. Au moins 20 civils sont tués.
Et comme à chaque fois, les auteurs des tueries se sont évaporés dans la nature, se sont fondus dans les populations et échappent toujours à toute poursuite judiciaire. Interrogé, il y a quelques mois, le ministre des Affaires étrangères centrafricain assurait qu'il ne pouvait "pas y avoir d'impunité car c'est l'impunité qui a fait plonger la Centrafrique".
Amnesty international, dans un rapport publié jeudi 10 juillet, dénonce les crimes de droit international (mutilation, corps démembrés et brûlés, actes de cannibalisme, tortures, disparitions forcées, recrutement et utilisation d'enfants soldats, viols, pillages, destructions et incendies d'habitations, de villages et de lieux de culte...) commis dans le pays entre décembre 2013 et mai 2014 et demande à ce que les responsables de ces crimes soient jugés.
L'organisation, après avoir enquêté auprès des populations, désigne nommément les personnes soupçonnées de crimes, des hommes politiques, des coordinateurs, des chefs de sections, des commandants. "Les auteurs des attaques menées en République centrafricaine agissent généralement à visage découvert et sans témoigner aucune crainte d'éventuelles sanctions. Dans certains cas, ils sont bien connus de leurs victimes et des autorités", écrit l'organisation.
Bozizé et Djotodia dans le collimateur
Parmi ces visages connus se trouvent les anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia. Le premier a été renversé en moins de deux jours par les rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans, le 24 mars 2013, 10 ans jour pour jour après sa propre prise de pouvoir dans des circonstances comparables. Le second est proclamé alors président de transition, la Séléka qui l'a porté au pouvoir devient la colonne vertébrale temporaire du régime.
Les rebelles se répartissent en plusieurs groupes armés, des seigneurs de guerre font régner la terreur sur des territoires. Beaucoup commettent des exactions contre ceux qu'ils considèrent comme encore liés à l'ancien pouvoir de François Bozizé de confession chrétienne comme la majorité des habitants du pays. Ces violences provoquent la création en face de milices d'auto-défense, les anti-balaka, majoritairement chrétiens qui prennent pour cible les familles musulmanes. La spirale de la violence est enclenchée, la sécurité n'est plus du tout assurée, ce qui restait de l'Etat s'effondre.
Les anti-balaka en contact avec Bozizé
Les anti-balaka sont responsables de nombreux crimes, notamment de l'attaque de Bangui le 5 décembre 2013. Cet assaut coordonné sur la capitale qui a fait des centaines de morts en quelques jours a fait dire à de nombreux observateurs que les anti-balaka n'étaient plus seulement une coalition de personnes voulant se défendre mais plutôt un groupe bien structuré qui a reçu des ordres.
Amnesty écrit dans son rapport que les anti-balaka sont "très bien équipés" avec des AK47, des lance-roquettes et des grenades. "L'organisation sophistiquée du commandement des anti-balaka porte à croire qu'ils ont été coordonnés par des anciens membres des FACA (l'armée centrafricaine de François Bozizé)." Selon plusieurs informations recueillies par l'organisation, des anciens membres de la garde présidentielle faisaient également partis des miliciens. Certains portaient même leurs anciens uniformes et leurs anciennes casernes servaient aux anti-balaka.
Pour les autorités centrafricaines, françaises et onusiennes, il ne fait aucun doute que François Bozizé a été impliqué dans diverses exactions à travers le pays. Le 9 mai 2014, le Conseil de sécurité de l'ONU a affirmé que l'ancien président avait, depuis ses pays d'exil "fourni un soutien matériel et financier à des miliciens qui cherchaient à le ramener au pouvoir". "Le Monde" a rapporté que son neveu Teddy a été vu fin avril à Benzambe, le fief familial, en train de former des combattants. François Bozizé, en exil un temps en Ouganda, après être passé au Kenya et au Cameroun, a toujours nié être responsable.
Parmi les commandants anti-balaka soupçonnés d'exaction, Amnesty citent notamment Richard Bejouane, le colonel Dieudonné Oranti et le colonel "12 puissances". "Ces hommes sont tellement sûrs de bénéficier d'une impunité totale qu'ils ont souvent parlé ouvertement de leur rôle dans des atteintes aux droits de humains et fait des déclarations publiques incitant à la violence", écrit l'organisation.
Nourredine Adam visé
Durant les 10 mois à la tête du pays, Michel Djotodia est tenu, de son côté, responsable pour les crimes et crimes contre l'humanité perpétrés par les membres de la Séléka, notamment ceux qui faisaient partie à l'origine du groupe de combattants qu'il avait fondé, les UFDR. Amnesty, qui reconnaît que Michel Djotodia a été débordé par ses combattants, dénonce le fait que son gouvernement n'a pris aucune mesure pour enrayer le cycle de violence dont il était parfaitement conscient. Aujourd'hui, Michel Djotodio vit en exil au Benin. Amnesty rapporte qu'il reste malgré tout en contact étroit avec les commandants de la Séléka présents à Bangui et dans le nord-est de la République centrafricaine.
L'organisation internationale pointe également le rôle de Nourredine Adam, alors qu'il était président du Comité extraordinaire pour la défense des acquis démocratiques. Selon plusieurs témoins, cet organisme est à l'origine d'une série de violations des droits humains qui vont de la torture, aux arrestations arbitraires en passant par des détentions illégales dans des endroits tenus secrets dans Bangui, alors même qu'il n'avait aucune prérogatives pour enquêter. Par ailleurs, l'ONU, cité par Amnesty, a relevé que Nourredine Adam avait sa propre milice politique. Il serait notamment l'un des responsable de l'attaque de Boy Rabe, un quartier de Bangui, considéré comme un bastion des fidèles de François Bozizé. Enfin, les colonels Bishara, Aba Tom et Yussuf Hamad sont directement cités dans des attaques menées à Bangui.
Actuellement, le nord-est du pays est contrôlé par les ex-Séléka et des éleveurs peuls armés. Ils continuent de commettre de graves exactions sur les territoires qu'ils contrôlent.
Une justice inexistante
Mais comment les poursuivre alors que la justice centrafricaine est inexistante ? Il faudra attendre. La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les crimes commis depuis 2012 en Centrafrique. Une commission de l'ONU mandatée par le Conseil de sécurité est depuis mars sur place pour établir une liste des crimes les plus graves commis depuis début 2013 et de nommer leurs commanditaires.
Dans un premier temps Amnesty appelle à ce que "des mesures soient prises de toute urgence à l'échelle locale, régionale et internationale pour reconstruire le système judiciaire et les mécanismes d'application des lois du pays". Mais aussi à créer "un tribunal hybride, composé d'experts centrafricains et internationaux, pour juger les crimes de droit internationale et aider à renforcer le système judiciaire national" qui fonctionnerait en parallèle de la CPI. "Les mailles du filet se resserrent autour des responsables d'atteintes aux droits humains. On sait qui ils sont et où ils se trouvent. Leurs crimes sont en train d'être démontrés", insiste Amnesty international.