Sacré GJK avec ses questions, qui n’ont pas d’heure pour surgir…
C’est ainsi qu’on se réveille un bon vendredi matin (ce vendredi) avec ces interrogations-ci, qui sont plutôt gratinées, mais que nous étions sans doute quelques uns à avoir, eu égard à certaines affirmations du débat national :
« Que les puristes du droit et autres constitutionnalistes distingués, veuillent avant tout nous éclairer définitivement, sur la bonne fausse idée émise par certains « Défenseurs auto-proclamés de la Constitution », et selon laquelle en Centrafrique, le Premier Ministre devrait être l’émanation de la majorité parlementaire. S’agit-il ici d’une disposition de la constitution de 2015 ?
Dans cette hypothèse, faudrait-il alors attendre la fin définitive du processus des législatives avant la mise en place du prochain gouvernement ? »
Allez, je vais tenter une réponse. Et pour échapper à tes qualificatifs de « puriste » ou de « constitutionnaliste distingué », je vais le faire à bâtons rompus (d’ailleurs je n’ai pas le temps pour autre chose) !
Cette réponse, la voici, dans les lignes qui suivent et qui reviennent en substance à constater qu’il n’y a aucun fondement constitutionnel à ce que prétendent ceux que tu as joliment appelé les « Défenseurs auto-proclamés de la Constitution ».
Il me faut commencer par souligner qu’il y a deux manières de comprendre la référence à la Constitution pour fonder une prétendue obligation du Chef de l’Etat de choisir le Premier Ministre dans la majorité parlementaire, voire même de choisir le chef du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale (on l’a fortement insinué). La première est de considérer que cette obligation est expressément énoncée par une disposition déterminée. La seconde est d’entendre cette référence en ce sens que l’obligation présidentielle est nécessairement impliquée par le régime politique que met en place la Constitution du 30 mars 2016.
Examinons donc successivement les deux sortes d’arguments.
Obligation imposée par le texte de la Constitution ? Assurément non. L’unique disposition relative à la nomination du Premier ministre est la suivante : « [Le Président de la République] nomme le Premier Ministre Chef du Gouvernement » (Article 33, paragraphe 6, 1ère phrase). Disposition à tout le moins lapidaire et ellyptique, mais dont on peut déduire à coup sûr qu’elle ne soumet ce pouvoir de nomination à aucun préalable ni à aucune condition. Les juristes, qui aiment bien énoncer cela en termes de compétences, diraient que la compétence attribuée au Chef de l’Etat par cette disposition n’est pas une compétence liée. Or, si elle n’est pas liée, elle est forcément discrétionnaire, ce qui signifie concrètement que l’autorité de décision (le Président de la République en l’occurrence) est « libre » de sa décision, aussi bien quant à l’opportunité que quant au contenu de cette décision.
Alors, plutôt obligation impliquée par le régime politique mis en place ? Pas davantage, selon moi. Je propose, pour le montrer, de partir du régime politique postulé par l’affirmation des « Défenseurs auto-proclamés de la Constitution ». Poser, comme ils le font, que le Chef de l’Etat est obligé de nommer comme Premier ministre une personnalité ou le chef de la majorité parlementaire, voilà qui évoque irrésistiblement, dans mon esprit, le régime dit parlementaire ou régime parlementariste, comme il se pratique par exemple de nos jours au Royaume-Uni, en Espagne, en Grèce, etc. Dans ces pays, le chef de la majorité parlementaire est assuré de devenir Premier Ministre. Mais selon quelle logique juridique et politique ? Voilà la question essentielle. Et la réponse est : selon une logique juridique et politique démocratique. En effet, dans ce type de régime, la légitimité démocratique (populaire) est toute entière contenue dans le corps législatif, seul élu au suffrage universel, le Président de la République ne l’étant pas. Et, puisqu’en démocratie il est exclu que le pouvoir exécutif ne repose pas sur une légitimité tirée du peuple, cette légitimité ne peut donc venir que du Parlement. D’où le fait que le Premier ministre doit refléter la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée à travers les élections législatives. D’où le fait aussi – et sur lequel il faut insister – que le Premier Ministre est, dans ce type de régime, le véritable chef de l’Exécutif, plutôt que le Chef d’Etat ; le fait, encore, que ce Premier Ministre n’a à répondre de son action (responsabilité politique) que devant le Parlement et guère devant le Chef de l’Etat, car cette action vise à l’exécution du programme de la majorité parlementaire etc…
Or voilà un régime qui ressemble à tout sauf à celui que la Constitution du 30 mars a entendu mettre en place. Le chef de l’Etat n’y est pas ce personnage falot dénué de toute légitimité démocratique que je viens de décrire, et que certains aimeraient qu’il soit. Non seulement il est élu au suffrage universel direct (article 35, paragraphe 1 de la Constitution), ce dont nous venons de faire brillamment l’expérience, mais, en plus, il est érigé en « chef de l’Exécutif » par la Constitution elle même (article 32, paragraphe 2), laquelle prévoit par ailleurs que le Premier Ministre est responsable devant lui (article 53, paragraphe 1), en même temps que devant l’Assemblée nationale. Ce mécanisme de la responsabilité est d’importance et de grande conséquence en ce qui concerne la question que nous nous posons ici. En effet, il implique que le Président de la République a le pouvoir de révoquer le Premier Ministre, et ce quand bien même celui-ci aurait reçu la confiance de l’Assemblée nationale. Mais surtout, il traduit le fait que la politique à mettre en œuvre par le Premier ministre et son gouvernement est définie quant à ses grandes orientations par le Chef de l’Etat (article 33, paragraphe 5 : Le Président de la République « fixe les grandes orientations de la politique de la nation »). Certes, l’Assemblée intervient aussi en la matière, mais c’est seulement après coup, pour approuver ou désapprouver (à travers les mécanismes du vote de confiance (articles 54 et 88) ou de la motion de censure (article 88)). A ceci s’ajoute le fait, qu’on ne développera pas ici, que le Président de la République dispose, dans la Constitution du 30 mars, de pouvoirs propres considérables, ce qui est la marque d’un pouvoir fort.
Un tel régime n’est pas de nature à faire place à une obligation présidentielle du type de celle qu’on veut accréditer. Il récuse même l’idée d’une telle obligation.
Autrement dit, et pour le dire simplement, le Président de la République est, en droit, libre de nommer qui il veut. La Constitution ne lui impose pas de choisir dans les rangs de la majorité parlementaire. Mais elle ne le lui interdit pas non plus. Mais enfin, quel que soit le choix qu’il fera, il en est seul responsable devant le peuple… Il ne servirait à rien d’agiter le paravent de la Constitution pour se dégager de cette responsabilité.
Ah, un dernier mot Cher GJK… Il me faut quand même tirer mon chapeau à ceux que tu appelles « Défenseurs auto-proclamés de la Constitution ». Car, il faut le reconnaître, la thèse qu’ils ont édifiée ne manque pas d’une certaine logique. Elle est même d’une redoutable rationalité et marque une belle continuité dans les idées. Juges-en toi-même à la belle fable qui suit : j’ai envie d’exercer le pouvoir ; je me présente aux élections présidentielles parce que je vois bien que c’est là que se situe la vraie puissance ; je ne suis pas élu, ou plutôt je suis défait ; vite vite, il me faut me rapprocher de l’élu final pour essayer de le convaincre de me faire une place ; Premier ministre ça serait bien ; Mais bon, Premier Ministre comme le prévoit la Constitution, subordonné au chef de l’Etat ? ; Très peu pour moi ; Du coup comment pourrais-je tout en n’étant que Premier Ministre, exercer l’essentiel du pouvoir exécutif, le « vrai » pouvoir en somme ? Bah, en rattachant le Premier ministre à l’Assemblée nationale seule, et en réduisant du coup la puissance présidentielle…
Ingénieux n’est-ce pas ? Mais anticonstitutionnel, c’est sûr aussi !
Pr JEAN-FRANÇOIS AKANDJI-KOMBE
POST DE GJK A L’ORIGINE DE LA REACTION DU PROFESSEUR JEAN-FRANÇOIS AKANDJI-KOMBE
LE PREMIER MINISTRE CENTRAFRICAIN : D’OÙ VIENDRA-T-IL ET QUAND ?
Que les puristes du droit et autres constitutionnalistes distingués, veuillent avant tout nous éclairer définitivement, sur la bonne fausse idée émise par certains « Défenseurs auto-proclamés de la Constitution », et selon laquelle en Centrafrique, le Premier Ministre devrait être l’émanation de la majorité parlementaire. S’agit-il ici d’une disposition de la constitution de 2015 ?
Dans cette hypothèse, faudrait-il alors attendre la fin définitive du processus des législatives avant la mise en place du prochain gouvernement ?
Deux jours passés après sa prestation de serment du 30 mars 2016, l’Homme du 14 Février 2016 qui a eu plus d’un mois pour y penser et s’y préparer, commencerait-il à prendre du retard quant à la nomination attendue de son Chef du gouvernement et par conséquent, des autres membres de la promotion « Redressement National »?
Dans tous les cas, le temps presse et il est plus tard qu’on ne le croit !
GJK LEVILLAGEOIS