« Mes accusateurs doivent apporter les preuves irréfutables en leur possession…c’est à l’accusateur d’apporter les preuves de son accusation, et non pas à l’accusé de produire les preuves de son innocence », propos de l’ancien Premier ministre centrafricain et président du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) Martin Ziguélé relatifs aux accusations selons lesquelles il serait de mèche avec l’ex Séléka. Dans cette interview, le candidat du MLPC se révèle injustement une cible de ses détracteurs politiques, en particulier des pro-régimes de l’ancien Président François Bozizé, et évoque une mauvaise interprétation de ses propos, car il n’aurait jamais dit que « Michel Djotodia est l’homme de la situation ».
Kangbi-Ndara (KN): Bonjour, Monsieur Martin Ziguélé ! Des rumeurs de toute nature circulent à propos de votre responsabilité dans la crise centrafricaine. Que dites-vous de ces accusations qui ne cessent de gagner du terrain; accusations selon lesquelles vous seriez en intelligence avec la Séléka ?
Martin Ziguélé (MZ) : Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez d’éclairer, une fois encore, la lanterne de nos concitoyens de bonne foi, qui ont légitimement besoin d’être éclairés. Les accusations contre moi ne datent pas d’aujourd’hui.
Vous vous souviendrez qu’avant les élections présidentielles de mars 2005, François Bozizé avait instrumentalisé la Cour Constitutionnelle de Transition à l’époque pour éliminer une dizaine de candidats dont moi-même. Il a fallu que le Président Omar Bongo Ondimba décide lors d’un sommet expressément convoqué en janvier 2005 à Libreville pour nous remettre en course. A l’issue du premier tour de ces élections, j’avais contraint François Bozizé à un deuxième tour, et je pense qu’il a considéré cela comme un crime de lèse-majesté, et surtout une épée de Damoclès sur sa survie politique, et n’avait depuis lors comme seul objectif de m’écarter par tous les moyens de la scène politique centrafricaine.
C’est ainsi que malgré ma présence démonstrative à la cérémonie de son investiture, il me fera convoquer dès juin 2007 par le Doyen des juges d’instruction pour que je sois entendu dans une procédure ouverte contre moi, au motif que je serais un soutien de l’APRD. Il n’y avait naturellement aucune preuve contre moi et l’affaire a été classée sans suite. Mais le répit fut de courte durée puisqu’en 2008, il me fera convoquer par le Premier Ministre TOUADERA, puis par le Général CISSE du BONUCA, pour me mettre en garde parce que distribuerais des armes à des chefs de quartier à Bangui pour le renverser. Je passe sur d’autres accusations, bousculades et tentatives d’arrestations notamment à l’aéroport de Bangui-M’poko, pour m’intimider et m’éloigner du pays.
A la faveur de la rébellion déclenchée par la coalition- qui n’aurait pas existé si lui François BOZIZE n’avait pas dilapidé les fonds octroyés par la CEMAC pour parachever leur désarmement- François Bozizé et ses proches ont commencé ici à Bangui à la radio, à la télé et dans des meetings au Stade de 20 mille places et au PKO, une campagne de presse pour accuser l’opposition démocratique, les pays voisins, les pays européens , la France, les musulmans, bref le monde entier, de soutenir l’ex-Séléka. Pour résoudre la crise, il fut convoqué le Sommet de Libreville auquel mon parti et moi-même, dans le cadre de l’ex-opposition démocratique dont le coordonnateur à l’époque était Me Nicolas Tiangaye, avions pris part. Ces négociations politiques ont débouché sur la signature des Accords que l’ancien ministre d’Etat Jean Willybiro Sako avait signés au nom du gouvernement d’alors et du camp KNK de Bozizé. Cela s’est fait au grand jour dans une totale transparence avant que nous ne regagnions Bangui dans le même avion que l’ancien président Bozizé. Vous vous souvenez aussi qu’à son retour, François Bozizé fut accueilli en grande pompe par ses partisans avec qui il a fait la fête toute la nuit au au PK0, puisqu’ils considéraient les résolutions de ce Sommet comme une victoire de leur camp.
Alors s’il a considéré Libreville comme un succès, d’où vient le problème ? Le problème vient du fait qu’avec toutes les cartes en mains, il n’a pas su faire la paix ni la guerre contre ses supposées ennemis. Etre complice de Séléka suppose que je leur ai fourni des moyens humains, matériels et financiers pour prendre le pouvoir, et dans ce cas mes accusateurs doivent apporter les preuves irréfutables en leur possession. C’est un principe de droit que tout le monde connait, c’est à l’accusateur d’apporter les preuves de son accusation, et non pas à l’accusé de produire les preuves de son innocence. Ce n’est pas parce que vous répéterez mille fois un mensonge qu’il deviendra une vérité.
Croyez-moi, il s’agit de rumeurs purement fantaisistes et sans fondement émanant essentiellement de certains nostalgiques de l’ancien régime du président François Bozizé à la recherche de bouc-émissaires pour éviter de reconnaître la responsabilité et l’échec de leur mentor et tenter de justifier leur perte de pouvoir en mars 2013, dont c’est un secret de polichinelle qu’elle a résulté de l’entêtement et la surdité du général président lui-même. Je mets quiconque au défi de brandir un quelconque document que j’aurais co-signé avec la coalition Séléka avant, pendant ou après les discussions de Libreville pour que celle-ci vienne renverser le président Bozizé du pouvoir. Ces accusations qui ne résistent point au moindre début d’analyse des faits et cette campagne de calomnie et de dénigrement qui ne grandissent pas leurs auteurs doivent impérativement cesser.
KN:Comment expliquez-vous votre participation à la réunion du 16 mars 2013 à l’Ambassade de France de Bangui qui aurait scellé le sort du général François Bozizé?
MZ : Vous êtes journaliste, vous pouvez vérifier auprès de la Compagnie aérienne Air France et de la police de l’Air et des Frontières de France, du Niger et de la RCA, et constater que le 16 mars 2013, j’étais à Niamey au Niger où j’ai participé à la réunion du Comité Afrique de l’Internationale socialiste. J’y ai même fait une déclaration publique sur la crise à l’époque publiée sur les sites internet centrafricains ce même 16 mars 2013. Je n’ai malheureusement pas ce don d’ubiquité qui m’aurait permis d’être à la même date à la fois à Niamey au Niger et plus de trois mille kilomètres plus loin à Bangui. Je demande à mes détracteurs d’être un peu plus intelligents.
KN:Finalement, maintenez-vous que Djotodia était « l’homme de la situation » ?
MZ : Sortir une phrase de son contexte pour charger quelqu’un est une démarche malhonnête. J’étais interviewé sur Al Quarrah TV, et à la question de la journaliste de savoir si la transition devait être conduite par Michel Djotodia ou s’il fallait ramener Bozizé, j’ai répondu que la Séléka avait pris le pouvoir par les armes et faisait régner leur imperium sur le pays, c’est-à-dire un pouvoir de fait. J’ai ajouté que cette hypothèse du retour de Bozizé relevait de la fiction et non pas de la réalité.
Après l’émission, la journaliste a mis un titre qui se voulait accrocheur de cette émission « Pour Martin ZIGUELE Djotodia est l’homme de la situation ». Donc en résumé beaucoup de bruit pour rien du tout, et là n’est pas le problème à mon avis.
KN:Dans un de ses propos, rapportés par la presse, Michel Djotodia vous a cité nommément, sur les ondes de BBC Afrique, parmi les instigateurs de la crise centrafricaine, susceptible de répondre devant la CPI, à défaut d‘être poursuivies par la Justice centrafricaine. Qu’en dites-vous?
MZ: C’est encore une tentative de manipulation de mes adversaires politiques qui, malheureusement pour eux, a encore échoué. Il s’agit de propos imaginaires attribués à Michel Djotodia rapportés par certains journaux de Bangui dans une prétendue interview qu’il aurait accordée à BBC Afrique. Le Bureau politique du MLPC a joint le correspondant de BBC à Bangui et le Bureau Régional de BBC à Dakar qui ont tous réfuté l’existence d’une telle interview. Par conséquent, le Bureau Politique du MLPC a rédigé un droit de réponse qui été publié par les mêmes journaux en son temps. Il est très regrettable que certains journaux de la presse nationale privée- curieusement toujours les mêmes – au lieu de faire du journalisme dans les règles de cette profession, choisissent plutôt d’exceller dans le mensonge et l’art plus aisé de la diffamation.
KN:Les derniers rapports des missions onusiennes, sur la Crise en Centrafrique, accuse le Tchad et le Soudan d’avoir soutenu directement la Séléka, dans leur entreprise déstabilisatrice. Quelle est votre appréciation de ces rapports.
MZ : Je n’ai personnellement pas assez d’éléments d’appréciation pour émettre un jugement dans ce dossier, et je crois savoir que les autorités tchadiennes avaient rejeté ces accusations. En revanche, une chose est sûre et je le répète : L’ancien président François Bozizé porte entièrement la responsabilité de sa chute. S’il n’avait pas continué sa surdité habituelle et renoncé à ses roublardises en appliquant les Accords de Libreville dont il était partie prenante, il devrait demeurer au pouvoir jusqu’en 2016. Il ne faut donc pas parler dans l’absolu « d’entreprise de déstabilisation » à l’égard de son régime car ce sont ses propres turpitudes qui ont eu raison de lui.
KN:Le lendemain du coup d’Etat de François Bozizé, vous aviez dénoncé courageusement cette prise illégale de pouvoir, dénonciation que vous n’aviez malheureusement, pas faite après le coup de force qui a porté l’ex Séléka au pouvoir. Quelle différence faites-vous entre le 15 mars 2003 et le 24 mars 2013 ?
MZ : Votre question est non seulement tendancieuse mais vous affirmez péremptoirement une contre-vérité manifeste. En effet, contrairement à ce que vous alléguez, le MLPC avait bel et bien condamné la forme par laquelle la coalition Séléka s’est emparée du pouvoir, et dont le caractère anticonstitutionnel est évident. Cela dit, mon parti avait également pris acte du changement intervenu à la tête du pays le 24 mars 2013 et œuvré aux côtés d’autres partis pour l’application des Accords de Libreville et la mise en œuvre du régime de transition prévu dans lesdits Accords et les décisions des différents sommets de chefs d’Etat de la CEEAC sur la crise ouverte par le renversement du régime Bozizé. Je rappelle que sous le régime Séléka, des représentants du KNK faisaient aussi partie des institutions de la transition, comme le Conseil National de Transition et le Gouvernement, donc il est vain de jeter la pierre sur d’autres quand on sait par ailleurs, comment le général François Bozizé était arrivé lui-même au pouvoir le 15 mars 2003.
KN:La Séléka occupe près de la moitié du territoire centrafricain et a installe son état-major à Bambari. Avec horreur, à travers la presse et les réseaux sociaux, avec horreur, le monde découvre les massacres de populations civiles par la Séléka dans la région de la Ouaka, avec en prime des charniers. Quelle est votre position par rapport à cette occupation et la menace réelle que fait peser la Séléka sur la partition de notre pays la RCA ?
MZ : J’ai déjà dit et je répète que l’idée même et le projet que nourrissent certains faucons au sein de la coalition Séléka de partitionner la RCA sont saugrenus et totalement inacceptables. Par conséquent, je désapprouve l’implantation à Bambari d’un état-major Séléka qui ne peut que générer inutilement de la tension. C’est un véritable appel d’air aux anti-balakas qui en profitent pour faire de la provocation en se servant de boucliers humains dans les sites publics et privés.
KN:Quelles sont vos propositions pour le désarmement des groupes armés, Séléka et Anti-Balaka, qui sévissent impunément dans la capitale et l‘arrière-pays. Comment rendre le pays libre et paisible pour que les Centrafricains vaquent à leurs activités.
MZ :. Je ne peux que rappeler comme je ne cesse de le faire depuis l’aggravation de cette crise que connaît notre pays, que la seule solution du retour de la sécurité et de la paix demeure le désarmement de toutes les bandes armées que le Conseil de sécurité des Nations Unies a prescrit dans plusieurs de ses résolutions et que les forces internationales présentes dans notre pays ont mandat d’appliquer. Il est évident que c’est lorsque Bangui et toutes les grandes villes de provinces seront débarrassés des nombreuses armes et munitions de guerre ainsi que des explosifs qui circulent actuellement et qui sème la mort et la désolation, que les Centrafricains retrouveront un peu de quiétude.
KN: A Grimari (Ville du Nord-ouest) la population accuse la Sangaris d’avoir tué cinq civils tandis les Banguissois demandent le retrait des troupes Burundaises de la Misca pour sa « partialité » Comment appréciez-vous la mission des forces étrangères en Centrafrique?
MZ : Ce sont les autorités centrafricaines de transition, les responsables religieux, la classe politique et la société civile de notre pays, qui ont sollicité et obtenu de la communauté internationale, CEMAC, CEEAC, UA, UE et ONU, l’envoi des troupes pour nous aider à rétablir la sécurité et l’ordre et la paix qui font gravement défaut dans notre pays à la suite du total effondrement de l’Etat. En attendant l’arrivée prochaine des casques bleus, les contingents déjà présents tant des pays africains frères de la MISCA et ceux de la France de l’opération Sangaris, font un travail extrêmement difficile et ingrat, en raison même de la complexité de la situation et de leurs effectifs que certains experts jugent insuffisants compte tenu de l’immensité de notre territoire. Il serait donc mal venu de ma part de jeter la pierre à ces contingents grâce à qui, la capitale Bangui a tout de même retrouvé un peu de calme ces jours-ci. Je souhaite seulement que l’arrière-pays retrouve aussi, ne serait-ce que le niveau relatif de sécurité de la capitale, en attendant le déploiement effectifs des casques bleus en septembre prochain. Sidéjà les experts militaires déplorent l’insuffisance des effectifs des forces internationales, MISCA et SANGARIS, il n’est pas judicieux que certains puissent croire que c’est le retrait de tel ou tel contingent qui rendrait plus efficace l’action de ces forces. C’est pour ces raison que je pense qu’il n’est pas dans l’intérêt de notre pays de demander le retrait du du contingent burundais de la MISCA puisqu’on sait que le retrait unilatéral du Tchad a brutalement privé la MISCA de plus de 800 hommes. Du reste il n’est pas exclu que ceux-là mêmes qui demandent périodiquement le retrait de tel ou tel contingent de la MISCA ne soient que les instruments de certains manipulateurs, véritables ennemis de la paix en RCA.
KN:La France voudrait le gros du pactole pétrolier centrafricain, plus précisément la part qui revient à la Centrafrique dans le deal pétrolier de Boromata (Vakaga) avec la CNPC chinoise, se basant sur une lecture archaïque des Accords de 1962. Ne serions-nous pas dans une guerre économique en RCA, celle du pétrole ?
MZ : Je vous laisse la responsabilité de vos affirmations contenues dans cette question. Tout ce que je sais est qu’après le contentieux ayant opposé le gouvernement centrafricain à l’entreprise RSM de l’Américain Jack Grynberg, l’ancien président Bozizé a octroyé des permis pour l’exploitation du pétrole du nord de notre pays à une société chinoise, la CNPC. Pour le reste, je sais aussi qu’il y a beaucoup de rumeurs fantaisistes souvent répandues par l’ancien président Bozizé en personne qui ont circulé et continuent de circuler mais permettez-moi de ne pas les commenter.
KN: Les autorités françaises vous-ont-ils déjà abordé sur le sujet du pétrole centrafricain pour remporter un jour les élections avec la bénédiction de la France ?
MZ : Votre question est apparemment destinée à un candidat que je ne suis pas à ce jour. Avez-vous la preuve que les autorités françaises aborderaient des candidats aux élections sur de tels sujets ? Non, je vous laisse l’entière responsabilité de vos affirmations.
KN: Libreville, en janvier 2013, N’Djaména, en janvier 2014, Malabo, dernièrement en juin 2014, et on nous annonce Brazzaville pour les semaines à venir. Comment expliquez-vous que ces fora sur la crise centrafricaine n’aient pu faire avancer le pays vers plus de stabilité?
MZ : C’est bien la preuve que tant que les Centrafricains ne voudront pas d’abord se parler en vérité entre eux pour se pardonner et se réconcilier, on peut multiplier les réunions et fora à l’étranger mais on n’avancera pas pour autant sur la voie du retour à la normale dans notre pays. C’est le manque de volonté politique, le fait de toujours chercher à gruger tout le monde et le refus obstiné de l’ancien président Bozizé d’appliquer les textes et recommandations pourtant adoptés à l’unanimité comme à l’issue du Dialogue Politique Inclusif de décembre 2008 qui explique l’éternel recommencement que connaît notre pays et qui incite au découragement. Cela est lassant il faut le reconnaître.
KN: Devrions-nous constamment brader les intérêts centrafricains pour ceux des autres? Comment faire pour qu’une solution politique à la crise centrafricaine soit durable, car ne serions-nous pas en crise depuis 1979?
MZ : Qui brade les intérêts centrafricains et de quels intérêts parlez-vous ? La solution pour une paix durable dans notre pays est 1°) – Le désarmement des toutes les bandes armées. 2°) – Le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national. 3°) – La tenue des élections libres et démocratiques pour doter le pays de dirigeants issus du suffrage universel. Il n’y a qu’ainsi que notre pays renouera durablement avec la sécurité et la paix et reprendra la place qui est la sienne dans le concert des nations.