(N’Djamena, Paris) – Selon les résultats provisoires de l'élection présidentielle des 9 et 10 avril 2016, le président sortant Idriss Déby Itno a été réélu pour un cinquième mandat au premier tour du scrutin. Cette élection, marquée par des irrégularités et l’arrestation de plusieurs opposants politiques et membres de la société civile, est contestée par l'opposition qui accuse le président de « hold up électoral ». La FIDH, l'ATPDH et les organisations membres de la coalition #MonVoteDoitCompter appellent les acteurs à recourir aux voies légales disponibles pour régler les différends électoraux, et exhortent les autorités à cesser les violations des droits humains.
Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis plus de 25 ans, a été réélu avec 61,56 % des voix selon les résultats provisoires publiés le 21 avril par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), et qui doivent être avalisés dans un délai de 15 jours par le Conseil constitutionnel. D’après les informations recueillies par nos organisations qui ont observé le processus électoral à N’Djamena et dans le reste du pays, le scrutin s’est déroulé dans un climat apaisé malgré de nombreuses irrégularités et la présence massive des forces de sécurité. Notamment, les observateurs ont pu constater l’absence de représentants de certains partis dans la plupart des bureaux de vote de N'Djamena et de certaines provinces ainsi que l’absence de procès-verbaux dans plusieurs bureaux à N’Djaména et de province. Ils ont aussi pu constater la disparition d'urnes et de procès-verbaux dans certaines localités. Des cas de votes multiples et de bourrage d'urne ont aussi été relevés. Les observateurs ont aussi fait part d’intimidation des électeurs de la part de militants du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir, notamment contre certains chefs de village. Par ailleurs, le jour du scrutin la capitale a été quadrillée par des policiers, des gendarmes et des bérets rouges de la garde présidentielle. Cette démonstration de force et d'intimidation du pouvoir remet en cause la validité du scrutin qui n'a pu être exprimé librement.
« Le Conseil constitutionnel doit prendre en compte les informations recueillies par nos organisations au cours de l'observation du processus électoral et le cas échéant invalider un scrutin marqué par de trop nombreuses fraudes et irrégularités » ont déclaré nos organisations.
Nos organisations sont particulièrement préoccupées par la situation qui règne actuellement à N'Djamena. Des tirs de militaires y ont été entendus à la suite de l'annonce des résultats et toute la nuit du 21 avril. Ce même jour, avant la publication des résultats, huit candidats avaient déjà accusé le pouvoir de fraudes et de "hold-up électoral", estimant qu'aucun candidat ne pouvait l'emporter au premier tour au regard des scores des candidats respectifs dans certaines régions. Ils dénoncent de nombreuses irrégularités au cours des opérations de vote. Cette contestation des résultats par l'opposition laisse craindre une vague de répression et d’arrestation par le pouvoir.
« Nos organisations exhortent tous les acteurs à faire preuve de responsabilité et à porter toute contestation relative à l’intégrité et à la crédibilité du scrutin devant le Conseil constitutionnel. Le juge électoral doit faire preuve d’indépendance et s'assurer que les différends soient réglés devant la justice pour éviter d’accroître le risque de violences » a déclaré Me Jacqueline Moudeïna, présidente de l’ATPDH.
Le 9 avril 2016, ont eu lieu les opérations de vote des militaires. Cette procédure de vote parallèle instaurée par des commandants et responsables militaires oblige les agents à soumettre leur bulletin de vote à leur responsable avant de le mettre dans l’urne. Lors de ces opérations de vote, une soixantaine de membres des forces de défense et de sécurité ont été arrêtés et amenés dans des lieux de détention secrets pour avoir contourné cette procédure en mettant directement leurs bulletins dans l’urne ou pour avoir choisi l’opposition. Les familles des militaires arrêtés sont toujours sans nouvelles d'eux, ce qui laisse craindre qu'ils soient emprisonnés, victimes de torture et de traitements inhumains et dégradants voire même qu'ils aient été tués. Le gouvernement a pour sa part expliqué ces disparitions par le fait que ces militaires soient partis en mission, ce qui semble très peu probable.
Par ailleurs, le Directeur départemental de campagne de M. Laokein MEDARD, Mr DIONADJI DIONHEUR, a été arrêté le 21 avril par des agents de l'Agence Nationale pour la Sécurité (ANS), détenu à l’ANS, puis déporté à MBAINAMAR et libéré le 27 avril après avoir subi des tortures.
Nos organisations exhortent les autorités tchadiennes à ouvrir une enquête indépendante et impartiale pour faire la lumière sur ces disparitions forcées, et à procéder immédiatement à la libération de toutes ces personnes.
« Nos organisations dénoncent les graves violations des libertés et droits fondamentaux qui ont actuellement lieu au Tchad, particulièrement la disparition forcée d'une soixantaine de militaires ayant voté pour l'opposition. Ces crimes odieux démontrent que le scrutin ne fut ni libre, ni transparent, ni crédible » a déclaré Dobian Assingar, représentant de la FIDH auprès de la CEMAC.
En outre, nos organisations dénoncent le harcèlement judiciaire et la répression à l'encontre des défenseurs des droits humains en amont des élections. M. Mahamat Nour Ibedou, M. Kaina Nadjo, M. Younouss Mahadjir et Mme Céline Narmadji (+ titres en note de bas de page), ont été arrêtés tour à tour les 21, 22 et 23 mars 2016 puis détenus arbitrairement pour avoir voulu organiser une marche pacifique contre la candidature à un cinquième mandat du Président Idriss Déby. Ils ont tous les 4 été condamnés à quatre mois de prison avec sursis le 14 avril 2016. Dr. Allazam Albissaty Saleh, porte-parole intérimaire de la coalition « Ça suffit », est quant à lui détenu arbitrairement depuis le 4 avril 2016. Il est accusé de « provocation à un attroupement non armé », d’« atteinte à l’ordre public » et d’« opposition à l’exercice de l’autorité légitime ». Nos organisations appellent les autorités tchadiennes à mettre un terme à toute forme de harcèlement, à l’encontre des représentants de la société civile et à libérer immédiatement et inconditionnellement toutes les personnes détenues arbitrairement.
« Le musellement de toutes les voix en faveur d'une alternance démocratique, et notamment de la société civile, a induit une peur généralisée auprès de la population compromettant la sincérité du scrutin. Une élection dans de telles conditions ne peut être considérée ni crédible ni démocratique,» a déclaré Paul Nsapu, secrétaire général de la FIDH.
« Mon vote doit compter »
Entre 2014 et 2016, 52 élections dont 25 élections présidentielles doivent se tenir dans 27 pays africains. Pour éviter les manipulations, fraudes et violences dues aux élections tronquées, la société civile africaine et internationale a décidé de se mobiliser au sein de la coalition « Mon vote doit compter ». Les sociétés civiles exigent des gouvernants qu’ils respectent leur droit légitime à choisir librement leurs représentants à l’occasion d’élections régulières, libres, et transparentes, par une mobilisation publique, des actions de terrains et un plaidoyer politique en amont de chaque scrutin jusqu’en 2016.