La République centrafricaine sort d’un long processus qui a abouti début avril à l’élection de Faustin Archange Touadéra comme président de la République. Les défis à relever pour le gouvernement du Premier ministre Mathieu Simplice Saradji sont immenses. Cela commence par le rétablissement de la sécurité et la relance de l’économie centrafricaine, aujourd’hui au point mort. Séjournant à Dakar dans le cadre de la dernière rencontre ACP-UE, le ministre centrafricain de l’Economie, du Plan et de la Coopération internationale, M. Félix Moloua, a fait un détour à la rédaction du « Témoin ». Il estime que le premier chantier du président Touadéra sera le programme de désarmement, de démobilisation, de réinsertion et de rapatriement qui va être mis en œuvre. Selon lui, il faut réformer le secteur sécuritaire avant de penser aux chantiers économiques. Mais aussi bien sur la question sécuritaire que sur le plan de la relance économique, le ministre Félix Moloua indique que son pays compte beaucoup sur le Sénégal. L’intégralité d’une interview exclusive qu’il a accordée au quotidien sénégalais « Le Témoin »
Le Témoin – Monsieur le ministre, quelles sont les grandes décisions prises à l’issue de la réunion du conseil des ministres des pays ACP-UE à laquelle vous venez de participer ?
Félix MOLOUA – La coopération entre les pays Acp et l’Union Européenne permet de faire face aux défis majeurs de l’heure. C’est une occasion pour les deux parties de faire le point sur l’état de la coopération et passer en revue les défis du moment. Il y a la problématique de l’émigration, la question du terrorisme, les problèmes de développement. D’ici 2020, l’accord de Cotonou prendra fin. Maintenant, il faut jeter les bases de réflexion pour voir ce qui va se passer après 2020. Ce sont autant de questions abordées durant cette réunion.
Comment se porte la coopération entre la Centrafrique et le Sénégal ?
Elle est au beau fixe. Nous sommes nouvellement élus et je crois que nous allons profiter de l’expérience du Sénégal pour voir comment relancer tout ce qui est actions de développement dans notre pays. Le Sénégal est un pays avec une très grande expérience et de l’expertise. C’est pourquoi, nous comptons sur le Sénégal dans le cadre de la relance de notre économie. D’ailleurs l’ancien Premier ministre (Ndlr : Souleymane Ndéné Ndiaye) était à Bangui dans le cadre des élections. Il a conduit l’équipe des observateurs. Nous avons eu des échanges avec lui et il nous a donné beaucoup de conseils. C’est toujours bien de passer par là. Nous pouvons compter sur le Sénégal pour construire notre pays.
Comment se portent les finances de la RCA ?
Nous avons traversé des moments très difficiles. Cette dernière crise a mis le pays au pied du gouffre. Pendant trois ans, le pays a connu des difficultés mais il faut reconnaître qu’avec l’appui de la communauté internationale, des efforts ont été consentis. Toute la communauté internationale était au chevet de la RCA. Certaines bases ont été posées à travers le Gouvernement de transition. Maintenant, nous sommes sur une bonne pente avec un climat apaisé. C’est vrai qu’il y a eu des problèmes sur les questions de trésorerie. Il y a des tensions de trésorerie mais l’appui des institutions de Breton Woods a permis de mener des réformes rigoureuses qui sont en train de porter leurs fruits notamment l’assainissement des finances publiques. Si ces réformes se poursuivent, elles pourront donner un souffle nouveau, donner de bonnes bases pour la relance de l’économie.
La RCA regorge de richesses naturelles, quels sont présentement les atouts à présenter aux potentiels investisseurs ?
Nous avons beaucoup de potentialités et d’opportunités. Il y a le côté forestier, le côté minier, l’élevage et les infrastructures. C’est un pays qui a besoin d’être relancé. On peut transformer ce pays en un grand chantier. Donc, les investisseurs qui veulent venir peuvent le faire. Les portes sont grandement ouvertes pour accueillir tous ceux qui veulent nous accompagner dans ce processus. Il y a beaucoup à faire dans tous les secteurs.
Quels sont les secteurs qui présentent le plus d’opportunités ?
Les secteurs agricole, forestier et minier sont les moteurs de croissance. Il y a aussi d’autres secteurs comme la pêche, l’élevage, sans oublier l’énergie, les infrastructures routières, les TIC. Tous ces secteurs sont attrayants et peuvent accueillir des investisseurs qui souhaiteraient travailler avec nous.
Comment se passe la reconstruction du point de vue économique ?
Lors de son discours d’investiture, le chef de l’Etat a donné les orientations. Mais l’accent sera mis sur la sécurité. Sans sécurité, il sera très difficile d’aborder les autres secteurs. A ce moment, il y a un programme de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement qui va être mis en œuvre. Il faut réformer le secteur sécuritaire. C’est un impératif. Il faut aussi développer le secteur privé. Nous avons un secteur informel qui représente plus de 80 % de l’activité. Cela veut dire qu’il y a un travail d’entreprenariat qu’il faut mener. Il faut également assainir l’environnement des affaires, pour attirer les investisseurs. Ce sont autant de chantiers que le Président a ouverts et sur lesquels nous sommes en train de travailler avec l’appui de la communauté internationale et des institutions de Bretton Woods. Nous sommes en discussion avec le Fonds monétaire international pour conclure un programme qui sera financé par le Fonds élargi de crédit. Cela permettra d’ouvrir les opportunités pour avoir d’autres financements de nos partenaires traditionnels notamment la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Afd, l’UE. Avec ce programme, nous allons donner un nouveau souffle en termes de mobilisation des ressources pour mettre en œuvre le projet de société du chef de l’Etat en tenant compte des orientations qu’il a données.
Avec les Ape, ne craignez-vous pas des impacts négatifs sur ces programmes de relance ?
Nous sommes toujours en négociations. Ce problème a été soulevé lors de cette réunion. Au niveau de la sous région, tous les travaux techniques ont déjà été effectués. D’ici peu, ce sera au tour des chefs d’Etat de la sous-région pour voir dans quelle mesure les pays pourraient ratifier cet accord.
La RCA était confrontée à un problème de paiement de ses fonctionnaires. Est-ce-que la situation a évolué ?
Depuis la crise, nous bénéficions de l’aide des institutions internationales. Des efforts sont consentis pour mobiliser des ressources. Nous sommes en train de payer les salaires en attendant de conclure un programme avec le Fonds. Avec les efforts qui sont fournis et les apports que nous avons pu avoir, nous pouvons payer jusqu’au mois de juin. C’est vrai qu’il y a une période de soudure mais des efforts sont en train d’être consentis pour mieux faire face à cette période.
Qu’en est-il des réformes des finances publiques ?
Ces réformes sont menées grâce au concours du Fonds monétaire. Les revues de programme permettent au Fonds de cibler un certain nombre de réformes qui sont mises en œuvre. Dans le premier programme financé par le Fonds rapide de crédit, des efforts ont été consentis et il faut les poursuivre. La revue faite il y a un mois a révélé qu’il faudrait poursuivre ces réformes. Dans les deux mois qui vont suivre, ces réformes seront poursuivies pour assainir davantage les finances publiques.
Qu’en est-il de l’appui budgétaire que vous apporte la Banque mondiale ?
Dans le nouveau programme indicatif national que nous aurons avec la Banque mondiale, il est prévu, dans le cadre de la gouvernance, des appuis budgétaires sur les trois prochaines années. Donc, il n’y aura pas de problème mais la seule condition est de continuer les réformes.
Quel plan d’action est mis en place pour l’assainissement des finances publiques et sur quelle durée ?
A ce moment, nous avons juste le projet de société du président. Maintenant, nous sommes en train de préparer une conférence des donateurs qui sera organisée à Bruxelles. L’Union Européenne a accepté cette conférence qu’elle va d’ailleurs coprésider. Avant d’y aller, nous devrons élaborer un document qui nous donnera une idée de tous les besoins et priorités du pays avec les coûts. Il sera assorti d’un plan d’action sur les trois prochaines années. Car ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes un pays fragile post conflit. Nous ne sommes pas complètement sortis de cette zone de conflit. Nous aurons un programme que nous allons présenter à nos partenaires pour les trois prochaines années qui devrait nous sortir de cette zone de conflit avant d’entamer véritablement le développement. Dans certaines zones du pays, on peut démarrer le développement. Par contre, dans d’autres, il faut encore des actions humanitaires. Il faudra d’abord stabiliser le pays avant de démarrer les actions de développement. Le Sénégal sera aussi sollicité pour un plaidoyer. Au même moment où ce travail sera élaboré, nous allons commencer à réfléchir sur une étude prospective qui va nous donner une vision de la RCA dans un horizon de 25 à 30 ans mais qui sera calé sur les programmes économiques de la sous-région parce nous faisons partie de la Cemac et de la CEAC. Nous ne pouvons pas évoluer sans ces comités économiques. Cela nous permettra de voir comment nous pouvons avancer et nous ferons des évaluations tous les cinq ans pour voir s’il y a des ajustements.
Comment comptez-vous vous inspirer de l’expérience du Sénégal ?
Nous allons envoyer des missions d’observation et d’échanges au Sénégal. Le but est de trouver un espace pour dialoguer. Nous sommes en train de prendre les contacts. Nous avons des ressources et compétences pour prendre facilement contact avec les autorités pour bénéficier de l’expertise en gouvernance parce que nous pensons que le Sénégal est avancé du point de vue gouvernance et les conseils des autorités sénégalaises peuvent nous aider. De même que sur le plan sécuritaire car le Sénégal a une armée très professionnelle, un modèle qu’il faudrait partager dans le cadre de la réforme du secteur sécuritaire. C’est une armée qui pourra nous être utile pour la formation de nos militaires.
Comment trouvez-vous l’environnement économique sénégalais ?
Tout est vivant ici au Sénégal. On a l’impression que l’économie tourne. Il y a une grande part qui revient à la gouvernance. Lorsque les choses se passent dans l’ordre et que les textes sont respectés, lorsque la transparence est d’actualité, ça profite à l’économie. Nous allons nous inspirer de cette expérience pour faire décoller notre pays, être au niveau du Sénégal. Du point de vue économique, le pays vit. C’est un atout sur lequel il faut s’informer et voir dans quelle condition, nous pouvons en bénéficier pour l’adapter chez nous.
Propos recueillis par : Matar NDIAYE