Après cinq ans d’un interminable procès, le Congolais Jean-Pierre Bemba comparaissait de nouveau lundi devant la CPI, qui doit déterminer sa peine pour les crimes perpétrés par sa milice en Centrafrique, tandis qu’un expert présentait les répercussions des viols commis par ses troupes.
Le 21 mars, au terme d’un procès ouvert en novembre 2010, la Cour pénale internationale (CPI) a reconnu l’ancien chef rebelle du nord de la République démocratique du Congo (RDC) coupable de cinq crimes de guerre ou crimes contre l’humanité commis en 2002 et 2003 en Centrafrique, en vertu du principe de la "responsabilité du commandant".
Mais le quantum de la peine de M. Bemba, 53 ans, vice-président de RDC entre 2003 et 2006, restait encore à fixer après de nouveaux débats.Ils se sont ouverts lundi et doivent s’achever mercredi.Durant ces trois jours d’audience, les juges entendront plusieurs témoins, les réquisitions du ministère public, ainsi que les plaidoiries de la défense.
Jean-Pierre Bemba encourt jusqu’à 30 ans de prison, voire la perpétuité si les juges estiment que l’"extrême gravité du crime" le justifie.Il a déjà passé huit années en détention.
Témoin cité par la défense, l’évêque catholique Fridolin Ambongo a cherché lundi à démontrer que Jean-Pierre Bemba et sa milice - le Mouvement de libération congolais (MLC) - avaient joué un rôle dans l’établissement "de la paix et de la stabilité" dans la province de l’Equateur, au nord-ouest de la RDC.
En octobre 2002, quelque 1.500 hommes du MLC s’étaient rendus en Centrafrique pour soutenir le président Ange-Félix Patassé, victime d’une tentative de coup d’Etat menée par le général François Bozizé.Jusqu’en mars 2003, les troupes de Jean-Pierre Bemba y avaient tué, pillé et violé.
Lors de son procès, sa défense avait argué qu’il n’y avait "aucune preuve d’un ordre venant de M. Bemba vers ses troupes en Centrafrique" mais les juges ont estimé que par téléphone, radios ou téléphone satellite, Jean-Pierre Bemba, alors en brousse dans le nord-ouest de la RDC, était en "contact constant" avec ses soldats.
Les crimes étaient considérés comme "une compensation pour les soldes et rations insuffisantes et/ou pour déstabiliser, humilier ou punir ceux suspectés d’être rebelles", ont estimé les magistrats dans leur jugement, le premier de la Cour internationale à avoir condamné le recours au viols comme un crime de guerre.
- Hommes, femmes, enfants : tous violés -
Tout en affirmant ne pas avoir eu connaissance de ce qui se passait en Centrafrique, l’évêque Ambongo a déclaré lundi que les forces du MLC avaient "enfin permis à la population de se sentir libre, parce que le MLC est venu reconstruire tout ce qui avait été détruit".
Il dit peiner à comprendre comment Jean-Pierre Bemba, qui a aidé sa province "pendant une période très troublée", a pu se "transformer en monstre" de l’autre côté de la frontière.
Dans l’après-midi, c’est un expert américain cité par l’accusation qui a rejoint la barre, afin d’établir les conséquences de ces viols de masse commis durant cinq mois en Centrafrique.
Daryn Reicherter, de l’Université californienne de Stanford, a relevé chez des dizaines de victimes "des taux effroyablement haut de troubles liés au stress post-traumatique".
"Un simple viol peut avoir des conséquences sur plusieurs générations", a-t-il dit, évoquant le rejet par leurs familles de nombreuses victimes, totalement abandonnées à elles-mêmes.
Hommes, femmes, enfants : tous étaient violés indifféremment, a raconté M. Reicherter, parlant même d’un cas où trois générations de la même famille ont été violées par des miliciens du MLC et forcées, une arme sur la tempe, à assister aux viols de leurs proches."Ce n’était pas une question de plaisir sexuel, mais une volonté de terroriser et de torturer", "d’humilier et de contrôler toute une population", a décrypté l’expert.
Riche homme d’affaires devenu chef de guerre, Jean-Pierre Bemba a été de juillet 2003 à décembre 2006 l’un des quatre vice-présidents du gouvernement de transition de Joseph Kabila en RDC.En 2006, il avait perdu au deuxième tour de l’élection présidentielle contre ce dernier, puis s’était installé en Europe.
Il a été arrêté à Bruxelles en 2008 puis remis à la CPI.Depuis, le MLC est devenu un parti politique, le deuxième plus gros parti d’opposition à l’Assemblée nationale congolaise.