A la suite de la réunion extraordinaire qui s’est tenu le 6 avril à Yaoundé, le comité de politique monétaire de la BEAC a décidé de baisser de 50% les coefficients des réserves obligatoires appliqués aux banques commerciales de la CEMAC. Comme ces réserves obligatoires limitaient la liquidité bancaire (dépôts des banques commerciales auprès de la Banque Centrale), et donc la marge d’intervention des banques, le gouverneur de la BEAC, pensait à travers cette mesure, libérer leur potentiel de distribution de crédit et booster ainsi le financement des économies de cet espace communautaire. A-t-il raison ?
Pour rappel, les banques de cet espace sont soumises à la constitution de réserves obligatoires depuis 2002. La constitution des réserves obligatoires a été motivée par la nécessité de contribuer à réguler la distribution de crédits (expansion/contraction) en modulant la liquidité des banques, ce qui en fait un instrument de politique monétaire. Du fait des disparités constatées en matière de liquidité bancaire entre les États de la CEMAC, les coefficients de réserves obligatoires sont appliqués de façon différenciée selon les pays.
Pour le gouverneur de la BEAC, cette baisse vise à faire face à une supposée contraction dans les liquidités des banques de la CEMAC en libérant entre 500 et 600 milliards de Francs CFA de trésorerie au profit des banques. Il a aussi émis le souhait que ces fonds libérés servent au financement des économies de cet espace communautaire. Toutefois, malgré les bonnes intentions du gouverneur, cette mesure présente plusieurs limites.
D’abord, parce que selon le rapport annuel de la Zone franc (2014) de la Banque de France, les banques de la CEMAC sont en surliquidité et non en situation de contraction de liquidité. Leurs réserves à la BEAC se situaient à 3772,4 milliards de francs CFA (dont 1115 milliards de réserves obligatoires et 2657,4 milliards de réserves libres) à fin 2014. Alors comment sommes-nous passés d’une situation de surliquidité il y a moins de deux ans à une situation de contraction dans lesliquidités pour susciter une telle mesure ? Certes, il y a la chute des cours de pétrole. Mais, l’argument de contraction dans les liquidités ne saurait à lui seul justifier la prise de cette décision car le crédit à l’économie n’a pas beaucoup varié ces dernières années.
Ensuite, le problème de financement des entreprises dans la zone CEMAC n’est pas principalement dû à une insuffisance de fonds dans les banques. Nous tenons pour preuve les difficultés des entreprises pour obtenir un financement malgré la situation de surliquidité dans les banques de la CEMAC. Par exemple, de 2002 à 2010 au moment où il y avait une surliquidité bancaire, en moyenne le crédit bancaire au secteur privé dans les pays de CEMAC était de 7,45% du PIB. Donc rien ne garantit que les banques utiliseront ces ressources qui seront débloquées grâce à cette mesure pour financer le secteur privé.
Enfin, le risque et la rentabilité sont les deux principaux éléments qui expliquent la réticence des banques à octroyer plus de crédits. D’un côté, l’absence ou le manque d’information sur la solvabilité des clients et la faible protection juridique des créanciers augmentent le risque. Le manque d’information sur le niveau de risque des emprunteurs est un réel souci pour les banquiersqui ont besoin d’être rassuré sur la solvabilité de leurs clients. Donc la collecte d’informations, l’évaluation, le suivi du prêt entrainent des coûts supplémentaires pour les banques. De plus, les bons de trésor plus surs, pourraient réduire l’attractivité de distribuer des crédits au privé. Le taux moyen des bons du trésor de la CEMAC est supérieur à 5%. La rentabilité intéressante des bons du trésor conjuguée à sa sécurité, fait que l’Etat concurrence le privé sur les ressources financières, ce qui crée un effet d’éviction de l’investissement privé. Donc, on pourrait croire, que le cadeau offert par la BEAC est un échange de bons procédés. La BEAC booste leur liquidité et les banques financent le déficit public avec un risque inflationniste.
De l’autre côté, la morosité de la croissance économique et les créances en souffrances sont des facteurs qui entravent l’octroi de crédit. En mars 2015, les créances en souffrances de l’ensemble des banques de la CEMAC étaient de 894 milliards, soit 11, 8% des crédits bruts octroyés. Ces créances en souffrance, augmentent la perception de risque chez les banques, qui deviennent plus frileuses, surtout avec une faible protection juridique en cas de risque de défaut. Quant au taux de croissance de la CEMAC, il est passé de 4,9% en 2014 à 2,4% en 2015, et il est estimé à 2% en 2016. Pour les banques, la faible croissance réduit la solvabilité des clients, et rend le crédit plus risqué encore.
Somme toute, la croissance économique de la CEMAC est tirée par la production de pétrole tournée vers l’extérieur et par les activités non réglementées peu sensibles à la politique monétaire. Donc cette baisse des coefficients des réserves obligatoires aura peu de chance de servir à financer le secteur privé et booster la croissance économique de cet espace régional. La solution optimale pour favoriser le financement des économies consisterait à réduire le risque pour les banques. Cela passe par la mise en place des bureaux d’information sur le crédit permettant de disposer des données sur le niveau de risque des demandeurs de crédit, le renforcement de la protection légale des créanciers et la diminution du recours de l’Etat au secteur bancaire pour financer son déficit.
Une manière de contourner l’insuffisance d’informations sur la fiabilité les demandeurs de crédit consiste à recourir au crédit-bail (« leasing ») dans la mesure où le financier demeure propriétaire de l’équipement. Face à l’asymétrie de l’information, des sociétés privées de garanties pourraient jouer un rôle important d’interface pour faciliter l’accès au financement des PME. Quant à la Banque centrale, elle doit aller au-delà des mesures générales et classiques en instaurant des conditionnalités aux facilités de liquidités offertes aux banques commerciales, notamment celles qui prêtent davantage aux PME. La BEAC doit établir des contrats-programmes ciblés pour instaurer un deal gagnant-gagnant avec les banques commerciales au lieu de leur accorder des cadeaux et du renflouage sans aucune garantie que ces banques en fassent profiter l’économie.