Une étude de l'IFRI (Institut français des relations internationales), parue en mai et signée Rémy Hémez (commandant dans l'armée de terre) et Aline Lebœuf (chercheuse), s'intéresse à l'opération française en Centrafrique, lancée en 2013 :Retours sur Sangaris, Entre stabilisation et protection des civils. La septième opération militaire française dans le pays depuis 1960 pour éviter une guerre civile ! Avec un enseignement principal, l'armée française sait s'adapter à son manque de volume pour obtenir un effet temporaire mais suffisant pour transmettre les clés à une mission de l'ONU...
Sangaris, en tant qu'opération de stabilisation, est-elle un succès ? Les auteurs le rappellent d'emblée : " La question des critères de succès est éminemment délicate. Doit-on prendre en compte les moyens engagés, le nombre de vies sauvées, l'amélioration de la situation politique, ou ce qui se serait passé si rien n'avait été fait ? " On évoque " une fatigue stratégique occidentale au sortir de presque 25 ans d'opérations de stabilisation ininterrompues ".
Le processus génocidaire, entre les rebelles de la Séléka et les milices anti-Balakas (anti-machettes), est en route quand la décision politique d'intervention arrive. L'efficacité de Sangaris doit être évaluée en fonction de ses objectifs et de ses moyens. Résumé : " Dans un contexte de ressources contraintes, protéger, c'est choisir. " Avec les " dilemmes de protection" qui se sont posés aux soldats français sur le mode du " triage " des blessés aux urgences d'un hôpital. La négociation avec les acteurs locaux et même les troupes rebelles est une autre dimension de la protection des civils comme les patrouilles et la maîtrise de la force. Une approche globale que maîtrise l'armée française.
Objectif initial, Sangaris a rempli sa fonction de bridging operation au profit de la MINUSCA onusienne. Le chef de bataillon Hémez estime " qu'il est possible d'obtenir un véritable effet de levier sur une situation de crise avec une force militaire limitée ". Au prix d'adaptations stratégiques et tactiques pour les 1 600 militaires déployés en décembre 2013. Au maximum, Sangaris comptera trois groupements tactiques interarmes (GTIA) sous les ordres d'un commandement de niveau brigade (2 000 hommes en février 2014) pour un terrain gigantesque. Pendant que la MISCA africaine puis la MINUSCA onusienne évoluent de 4 500 à 10 800 hommes.
On a beaucoup glosé en France sur le nombre de soldats français déployés. Les théoriciens militaires s'accordent pour établir un ratio idéal de 10 à 20 militaires pour 1 000 habitants, un pour 40 dans la doctrine française, " pour contrôler une zone dans la durée dans un contexte moyennement hostile ". En RCA, entre janvier 2014 et août 2015, le ratio se situe entre 1,1 et 2,2 soldats pour 1 000 habitants. Sacré décalage.
Inutile de revenir sur les questions politiques et surtout quantitatives, en décembre 2013, 7 400 soldats français sont déjà déployés en OPEX.
L'étude salue les adaptations de l'armée, au-delà de la légendaire rusticité du soldat français. Au niveau logistique, on parle de 20 à 25 % de la force, " un niveau plancher ". On a pu soutenir trois GTIA dans trois directions différentes avec les effectifs dimensionnés pour un groupement tactique. On salue " la forte cohérence tactico-logistique " pour des efforts " successifs et de courte durée à chaque fois, moyennant le recours à l'externalisation et à des renforts temporaires. " Cette juste suffisance logistique n'est pas sans conséquences (...) : la surconsommation des matériels, qui ne peuvent pas recevoir le niveau d'entretient normalement requis, se paye sur les réparations au moment de leur rapatriement. "
Les contraintes sont identiques pour les opérations, surtout pour le contrôle de Bangui après le départ du GTIA Panthère vers la province en février 2014. " Le GTIA Amarante doit alors se contenter de deux sous-groupements, soit environ 300 hommes pour contrôler cette ville d'un million d'habitants. " Tout cela favorise les détachements mobiles et la concentration sur le centre et le sud de la ville.
1 h 30 de vol représente entre 2 et 4 jours de piste
Sur le reste du territoire, il faut savoir agir à bon escient et compenser par la mobilité dans un pays immense aux infrastructures quasi inexistantes. " La mobilité en RCA est un véritable défi. " Mais la légèreté se fait au détriment de la protection (seuls 50 % des GTIA sous blindage au début). Il faut faire avec des moyens aéromobiles modestes (10 hélicoptères en juin 2014, absence structurelle d'hélicos lourds) mais précieux : 1 h 30 de vol représente entre 2 et 4 jours de piste. Même sans drones, le renseignement aérien a été essentiel. Avec de tels moyens, " le but est de ne contrôler que ce qui est strictement nécessaire ".
Elément intéressant, " le SGTIA est devenu un véritable pion de manœuvre ". Parfois, il est même divisé en deux pour devenir des DIA (détachement interarmes) avec une forte autonomie face à des adversaires très divers. Le GTIA Panthère à l'ouest a eu des unités réparties sur plus de 300 km, " laissant des éléments du volume de la section ou du binôme de section à plus de 100 km de leur commandant d'unité, soit plus de cinq heures de piste ". Le GTIA Scorpion a couvert un territoire de près de 60 000 km2 à l'est, tandis que le GTIA Savoie ne dispose que d'une compagnie pour sécuriser les 450 km de l'axe Bangui-Bouar-Beloko.
Les appuis de la troisième dimension et les transmissions sont donc cruciaux. La chaîne de commandement se retrouve également réduite à sa plus simple expression. Avec un PC de GTIA à 10 officiers pour un poste de commandement principal (PCP) et trois postes de commandement tactiques (PCT) constitués d'un élément opérations (un à deux cadres) et d'une équipe transmissions.
Sur le plan opérationnel, on considère désormais les organisations internationales " comme des boîtes à outils " : interopérabilité pour l'OTAN, appuis pour l'UE, continuité et pérennité pour l'UA et l'ONU. Pour une plus grande souplesse et liberté d'action. " L'enjeu devient bien de transférer la responsabilité principale à des forces partenaires qui pourront, elles, agir en masse et dans la durée. " L'armée française devient une force d'entrée en premier avec un savoir-faire.