La secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo réagit après la condamnation de Jean-Pierre Bemba à la Haye
Jean-Pierre Bemba a été condamné mardi à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité... Vu qu’il est déjà détenu depuis 8 ans, cela veut dire que l’ancien chef rebelle et ancien vice-président du Congo Kinshasa va encore rester 10 ans dans la prison de la Cour pénale internationale près de La Haye, aux Pays-Bas. Comment réagissent ses partisans, qui sont encore nombreux au Congo? En duplex de Kinshasa, Eve Bazaiba Masudi, la secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo (MLC), répond aux questions de Christophe Boisbouvier de RFI. Interview diffusée le 22 juin 2016.
Comment réagissez-vous à la condamnation de Jean-Pierre Bemba à 18 ans de prison?
Je suis quand même déçue parce que nous attendions que les huit années passées par monsieur Bemba à la CPI soient suffisantes.
Vous espériez qu’il soit condamné à la peine qu’il a déjà effectuée?
Exactement, c’est ce que nous attendions. Et nous continuons à y croire, parce que nous allons interjeter appel. Et c’est déjà fait d’ailleurs.
Jean-Pierre Bemba a été reconnu coupable de deux crimes contre l’humanité, le crime de meurtre et le crime de viol. Entre octobre 2002 et mars 2003, plusieurs centaines de femmes centrafricaines ont été violées à Bangui par ses troupes, «avec une cruauté particulière», précise le tribunal.
C’est une justice sélective et discriminatoire. Les troupes du MLC n’étaient pas les seules troupes à opérer à Bangui. Patassé et Bozizé, chacun avait ses alliés. Il y avait sur place outre les troupes de la République centrafricaine, les Faca, il y avait des Tchadiens, des Français, des Libyens et autres.
Il n’empêche, il y a bien des troupes de Jean-Pierre Bemba qui ont participé aux viols de ces centaines de femmes à Bangui?
Il n’y a pas de preuves que c’est seulement les troupes MLC. Et quel a été le rôle des autres troupes ? Personne n’a été appelé, ne fut-ce que comme témoin ou comme observateur. Et même Bemba personnellement n’a pas été sur place. Il n’avait même pas le commandement d’opérations militaires sur le terrain.
Le tribunal a retenu le principe de la responsabilité du commandant?
On ne peut pas en Afrique du Sud, à des milliers de kilomètres, comprendre les opérations militaires et ce qu’il advient sur le terrain.
Mais tout de même, en tant que femme, comment réagissez-vous à cette politique du viol systématique, et en public, de centaines de femmes pour les terroriser?
Voilà pourquoi, en tant que femme, j’appelle de mes vœux que la Cour pénale internationale puisse identifier les véritables auteurs de ces crimes.
Mais pouvez-vous dire que Jean-Pierre Bemba n’a aucune responsabilité?
Jean-Pierre Bemba a pris des mesures nécessaires en tant que chef. Et il a procédé à des sanctions. La cour martiale, en son temps, a sanctionné les quelques éléments qui étaient cités.
Mais vous, que pensez-vous des combattants de votre parti MLC qui ont commis ces viols auprès de vos sœurs de Centrafrique?
Moi, je dis les combattants qui auraient commis les crimes, ils ont été condamnés par la cour martiale. Non bis in idem, on ne peut pas pour les mêmes faits condamner deux fois une personne.
Ils n’ont été condamnés qu’à des peines symboliques par une cour ad hoc, constituée par Jean-Pierre Bemba à l’époque où il était chef rebelle. Est-ce que c’est vraiment sérieux comme condamnation?
C’est tout à fait sérieux parce que Jean-Pierre Bemba était la seule composante belligérante à avoir tenu compte de la justice.
Alors Jean-Pierre Bemba va donc faire appel de sa condamnation. Et s’il reste encore dix ans en prison, jusqu’en 2026, est-ce que votre parti va survivre à une si longue absence?
Notre parti va continuer à survivre. On emprisonne une personne, on n’emprisonne pas ses idées.
Mais vous vous rappelez ce que disait votre camarade de parti, Fidèle Babala, en 2011: «Si Jean-Pierre Bemba est condamné, le MLC est mort»?
Non. Si Jean-Pierre Bemba est condamné, le MLC ne sera pas mort. C’est la secrétaire générale du MLC qui vous parle.
Mais après cette condamnation de Jean-Pierre Bemba, vous ne craignez pas que tous les militants du parti vous quittent et qu’ils partent dans d’autres partis?
Au contraire, parce que de plus en plus, les gens commencent à voir comment travaille la justice pénale internationale, décriée par les pairs africains, au niveau de l’Union africaine, ça commence à se concrétiser. C’est aujourd’hui, une justice politique parce qu’on parle d’une pédagogie pour contrer tous ceux qui commettraient les crimes internationaux. C’est bien beau. Mais nous dénonçons que monsieur Bemba soit considéré comme un cobaye par rapport aux essais et erreurs de la justice pénale internationale.
Est-ce que Jean-Pierre Bemba va rester président national de votre parti?
Je vous informe que le bureau politique va se réunir pour voir nos statuts conformément aux lois et règlements qui nous régissent.
Parce qu’à présent qu’il est condamné, il n’est plus éligible dans votre pays, non ?
Il n’est pas condamné. Le fait d’avoir déposé un recours, ce recours a un effet suspensif. Son sort n’est pas encore scellé.
A la présidentielle de 2011, votre parti a refusé de présenter un candidat à la place de Jean-Pierre Bemba. Mais à la prochaine présidentielle, est-ce que le bon sens ne vous oblige pas à lui trouver un remplaçant?
Je vous dis que le bureau politique se réunira, et aussi le congrès va devoir avaliser les mesures.
Et si le bureau politique du parti vous demande d’être la candidate du MLC.
Je suis là pour servir mon pays.
Donc vous n’excluez rien?
Je n’exclus pas non plus la libération de monsieur Jean-Pierre Bemba.
Vos deux prédécesseurs au poste de secrétaire général, François Muamba et Thomas Luhaka, ont fini par rejoindre le camp de Joseph Kabila. Est-ce qu’un jour, vous n’allez pas leur emboîter le pas?
Je ne rejoindrai pas le camp Kabila parce que le camp Kabila a comme méthode «intimidation et corruption». Ils ont tenté, ils tenteront toujours. Mais je suis incorruptible.
Et si l’élection présidentielle n’a pas lieu avant le mois de décembre 2016, que ferez-vous?
Si l’élection présidentielle n’est pas organisée dans les délais prévus par la Constitution, la présidence sera provisoirement dirigée par le président du Sénat pour organiser l’élection présidentielle. Le président de la République est tenu au respect de son serment.