Que la France retire ses troupes de la Centrafrique alors qu'elle doit résoudre sur son propre territoire des problèmes de sécurité dont l'attentat perpétré à Nice le 14 juillet donne la juste mesure n'a rien de surprenant, ni de choquant. Depuis des mois, en effet, les responsables de son armée, de sa police, de sa gendarmerie tirent la sonnette d'alarme sur l'ampleur du défi auquel elles se trouvent confrontées et la faiblesse des moyens dont elles disposent pour le relever. Dans un tel contexte le retrait de la force Sangaris ne saurait être reproché aux dirigeants français.
Là où le bât blesse, en revanche, c'est en raison de l'incapacité, au moins apparente, de ces mêmes dirigeants de préparer correctement la relève de leurs troupes. Feignant de croire que l'Organisation des Nations unies pourra se substituer à Sangaris alors qu'en d'autres lieux du continent africain le "Machin" - dont l'incapacité était dénoncée déjà par le Général de Gaulle - a démontré sa faiblesse de façon accablante ils s'en remettent à lui sans le moindre complexe. Cela alors même que les experts prédisent, sur la base d'arguments fondés, que le conflit qui déchire la Centrafrique rebondira presque à coup sûr sitôt la page de Sangaris tournée.
Si la France était sage, ou plutôt prévoyante, elle ferait en sorte que le retrait de ses troupes soit progressif et que leur relève soit assurée sur le terrain par des unités africaines. Avec ses partenaires européens elle aiderait par conséquent les gouvernements de l'Afrique centrale à mettre sur pied une force d'intervention bien équipée, bien commandée et donc capable de maintenir la paix en neutralisant les milices qui n'attendent que le retrait français pour s'affronter à nouveau les armes à la main et provoquer l'implosion du pays. Elle veillerait aussi à ce que soient mises hors d’état de nuire les forces obscures qui entretiennent en sous-main le conflit pour piller les matières premières du pays et dont les commanditaires se trouvent en Europe.
Il se peut que dans les bureaux et les couloirs du Palais de l'Elysée, à Paris, ces réalités ne soient pas perçues dans le moment présent. Mais si le président François Hollande veut s'informer à bonne source sur ce qui se passera inévitablement au lendemain du retrait des troupes françaises qu'il écoute donc ce que son ministre de la Défense, son nouveau chef d'état-major particulier et les plus hauts responsables de ses forces armées peuvent lui dire à ce sujet. Alors, sans doute, il prendra la mesure des dangers que court le Bassin du Congo tout entier et des retombées néfastes que la reprise des combats en Centrafrique aura inévitablement pour la France elle-même.
Que ses plus hautes autorités en soient conscientes ou pas la position internationale de la France repose pour une large part sur les relations privilégiées qu'elle a su maintenir en Afrique au lendemain des indépendances. Si ces liens se distendent avec la dizaine de pays francophones qui composent l'Afrique centrale et la région des Grands lacs, elle verra son influence au plan mondial se réduire comme peau de chagrin. Or la crise qui ronge la Centrafrique peut, si elle s'aggrave, devenir le déclencheur de ce "tsunami" diplomatique.
Soit dit en passant, et ce sera le mot - provisoire - de la fin dans le même temps où elle devrait réfléchir à tout ce qui précède la France ferait bien de profiter de la réforme en cours de ses médias publics pour convaincre ceux-ci de s'attacher à présenter de l'Afrique l'image vraie d'un continent en pleine émergence et non d'un monde voué à la misère, à la désespérance, à l'ignorance. Alors elle parviendrait enfin à convaincre ses partenaires qu’en dépit de ses difficultés présentes elle reste un allié sûr, fidèle, bien informé et donc fiable.
Jean-Paul Pigasse