Interview cette semaine dans l'hebdomadaire "Jeune Afrique" version papier d'Anicet Georges Dologuélé, le candidat malheureux de l'élection présidentielle centrafricaine.
- Vous aviez à l'issue du second tour de la présidentielle, dénoncé des fraudes, mais sans aller jusqu'à déposer de recours. Vous avez même reconnu assez rapidement la victoire de votre rival Faustin Archange Touadera, pourquoi ?
«Parce que la situation aurait dégénéré. En Centrafrique, les résultats sont annoncés tout au long de la semaine, bureau de vote par bureau de vote.Les jours précédant la proclamation des résultats officiels, la tension n’avait cesser de monter.
Il y avait déjà des violences, la colère enflait. Comprenant qu'un allait leur voler la victoire, les jeunes menaçaient de sortir dans la rue avec des armes.
Ni moi ni personne n'avions les moyens de maitriser ce qui allait se passer.
Comprenez bien qu'en Centrafrique, il n'y a pas vraiment d'Armée, de Police, de Gendarmerie.
....Chez nous, c'est la population qui est armée !
C'est pour cela qu'après avoir consulté mes alliés, dans un souci d'apaisement, et pour éviter que le pays ne sombre à nouveau dans la violence, j'ai décidé de laisser courir. (NDLR : Admettre la victoire par tricherie de Faustin Touadera pour éviter les violences)
«Même si je n'ai pas déposé de recours, il me semble très important de procéder à un audit de cette élection présidentielle, tout comme il faut dissoudre cette ANE qui ne fonctionne pas.
Dans deux ans, nous aurons des scrutins locaux, et il ne faudrait pas refaire les mêmes erreurs.»
- Regrettez-vous la décision que vous avez prise à l'époque ?
«Non, je l'assume parfaitement.
C'était un acte de coeur, un acte patriotique.
Mais je maintiens que cette élection a été massacrée, alors qu'elle aurait dû être exceptionnelle, et que c'était une chance unique offerte aux centrafricains.
J'affirme qu'il y a eu des fraudes, que des instructions ont été données aux préfets pour qu'ils changent les procès-verbaux; que les autorités de la transition ont mis tous les moyens qui étaient à leur disposition, au service de Faustin-Archange TOUADERA, dont elles ont financé la campagne.
Elles espéraient en échange, obtenir sa protection.
Le problème c'est qu’une fois élu, Touadera a ordonné un audit de la transition. Catherine Samba-Panza par exemple en est très mécontente et s'estime maltraitée. Du coup, les langues se délient... (NDLR : Les fuites dans la presse par CSP sur les magouilles électorales de Touadera)»
- Début Aout, Jean-Francis Bozizé, le fils de l'ancien président a pris le risque de rentrer en Centrafrique. Il a été brièvement arrêté, puis relâché...Qu pensez-vous de la manière dont cette affaire a été gérée ?
«Dans le fond, peut-on vraiment dire qu'il a pris un risque en revenant à Bangui ?
Je pense qu'il s'était préalablement entendu avec le président Touadera, qu'il avait eu des assurances, en dépit du fait qu'un mandat d'arrêt international avait été émis contre lui.
C'est d'ailleurs la MINUSCA qui l'a arrêté.
Tout a été fait dans l'improvisation et l'amateurisme.
La preuve : Il a été libéré sans même avoir été présenté à un juge d'instruction.»
- Quel bilan dresseriez-vous des premiers mois du président Touadera ?
«Il est au pouvoir depuis 5 mois : c'est peu, mais suffisant pour organiser les équipes, nommer les responsables, procéder à la mise en place du programme de société pour lequel il a été élu.
Or dans le cas présent, il ne s'est rien passé.»
- N'êtes-vous pas alarmiste ?
«NON, après l'élection, j'ai choisi de me taire pour donner une chance au nouveau président. Quand il m'a approché pour me proposer une union sacrée autour des questions de sécurité, j'ai accepté.
Mais, depuis, plus rien.
Alors peut être que me taire n'était pas la bonne stratégie.»