Deux ans après son installation, la Mission de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (Minusca) est l'objet de beaucoup de mécontentements, alors que les violences persistent dans le pays.
À Bangui, la capitale centrafricaine, le calme n’est toujours pas revenu, non plus que dans le reste du pays ; et ce malgré la présence de la Mission de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (Minusca). Par exemple, début octobre 2016, une série de représailles de milices armées a fait au moins douze morts. Pendant ce temps, en province, des membres de ces mêmes groupes armés gardent le contrôle sur les villes et continuent leur expansion. Sous le regard des casques bleus de la Minusca. Alors que les tueries sont régulières dans le pays, la passivité de certains contingents dont le mandat reste de protéger les civils agace : « Les contingents de l'arrière-pays n'anticipent jamais, même quand ils ont l'information à temps », explique un ministre centrafricain. « Résultat : les forces onusiennes viennent pour constater les dégâts quand c'est trop tard. »
Deux ans après son installation, la Minusca concentre les mécontentements.« Malgré notre présence, il y a encore beaucoup trop de groupes armés et de criminalité. La Minusca fait tout ce qu'elle peut dans un pays grand comme la France et la Belgique réunies, et qui manque de tout », explique son chef, Parfait Onanga-Anyanga. Le gouvernement centrafricain élu au printemps dernier, de son côté, n'a pas tardé à se montrer critique à l'égard de la mission. « Les missions de peacekeeping ont toujours servi de punchingball aux gouvernements qui les accueillent », explique Thierry Vircoulon, coordonnateur de l'Observatoire de l'Afrique australe et centrale à l'Ifri et enseignant à Sciences-Po. « Ils s'approprient leurs réussites et les critiquent au moindre échec, qu'importe le niveau de responsabilité. C'est un jeu de dupes : entre l'agenda des politiques et celui de la mission, c'est le grand écart car leurs objectifs sont le plus souvent divergents. Les gouvernements hôtes ont des comptes à régler et les pratiques de corruption sont souvent très enracinées alors que les missions des Nations unies doivent contribuer au statebuilding et à la réconciliation des ennemis. »
Le fait est que, presque trois ans après l’intervention militaire française, l'insécurité entrave toujours le retour des déplacés et réfugiés, qui constituent un quart de la population centrafricaine. Répartis sur le territoire, les déplacés comptent les jours, dans leurs abris de fortune, en attendant que les voies soient sécurisées. Comme ces femmes coincées dans leur camp à Bambari, dans le centre du pays. Il leur suffirait de traverser la rivière, dont le pont est gardé par les casques bleus, pour rejoindre la ville et ce qu'il reste de leur domicile. Mais le centre-ville est encore quadrillé par des hommes armés, circulant devant des casques bleus impassibles.
Maigre consolation : après plusieurs cas de viol sur des femmes et des jeunes filles, comme Human Rights Watch l'a documenté en février 2016, le contingent congolais a été relevé. Ban Ki-moon, qui prônait déjà la « tolérance zéro » envers les violences sexuelles, a alors précipité une série de mesures : les pays pourvoyeurs de troupes sont libres d'enquêter et de juger ces soldats, mais s'ils n'enquêtent pas, ils risquent de ne pas être retenus pour d'autres missions. Fait inédit dans l'histoire des missions de maintien de la paix, des sanctions peuvent désormais être prises contre un contingent si des exactions commises avant leur mission ont été documentées. C'est ainsi que les Burundais ont été renvoyés peu après leur arrivée.
La Minusca a néanmoins pu mettre à son crédit quelques succès en 2016 : l’élection présidentielle a pu être organisée, Faustin-Archange Touadéra a été élu et, pour un temps, les groupes armés ont joué le jeu. Mais aucun accord n'ayant été trouvé avec le gouvernement, les violences ont repris de plus belle. Alors que des portions entières du territoire ont été reprises ces derniers mois, Parfait Onanga-Anyanga adopte un discours de fermeté : « Des groupes armés sont déçus parce qu'ils n'ont pas reçu les postes ministériels promis pendant la campagne électorale. Nous refusons cette légitimité par les armes. Notre mandat nous autorise à désarmer les groupes réfractaires par la force. »
Cela n'a pourtant pas empêché les ex-Seleka, un groupement de milices, d'organiser une « assemblée générale » dans la ville de Bria le week-end du 9 octobre 2016, sans être inquiétés par les casques bleus. Certains d'entre eux sont pourtant sous le coup de mandats d'arrêt, et pourraient être jugés par la cour pénale spéciale que la Minusca et le gouvernement centrafricain travaillent à mettre sur pied. En interne, on s'agace déjà de cette situation où des criminels de guerre sont laissés libres de circuler. Les groupes armés, eux, attendent l'immunité : « Tous les Centrafricains ont participé au conflit, tous sont coupables », veut croire Souleymane Daouda, un des porte-parole d'Ali Darasse, chef de l'UPC (ex-Seleka), basé à Bambari. « On veut une commission Vérité et Réconciliation. Pas un tribunal : car si tu as la justice, tu ne peux pas espérer le pardon ! »
À intervalles réguliers, le gouvernement laisse entendre que si son armée n'était pas sous embargo, les groupes armés auraient été chassés depuis longtemps. « Il y a des responsabilités que l'État doit assumer, comme former ses forces de sécurité intérieures », rétorque Onanga. « Ce travail est délicat car il implique beaucoup d'aspects liés aux droits humains, dont la vérification que les éléments sélectionnés n'ont pas de casier judiciaire. » Le dossier est sensible pour le gouvernement, qui ne semble pas prêt à identifier et juger les nombreux militaires à avoir rejoint les groupes armés.
Quarante millions de dollars sont prévus pour le désarmement de ces derniers, mais rien ne bouge. Entre le gouvernement et la Minusca, on se renvoie la balle. Côté Minusca, on suggère que si le plan Désarmement n'a pas été effectué, c'est parce que le gouvernement de Touadéra freine des quatre fers et n'a pas eu le courage d'engager des réformes. Côté gouvernement, on continue d'accuser les casques bleus d'incapacité, de passivité, voire de connivence avec les groupes armés.
Mais qu'attendre de troupes qui, pour certaines, ne sont pas payées ? Les Nations unies versent 1 000 dollars par sous-officier au pays pourvoyeur de troupes, mais tous ne paient pas leurs soldats, les poussant à adopter des « comportements prédateurs », selon les termes d'Onanga, qui fait aveu d'impuissance : « Aucune mesure n'a été prise pour ces soldats, ce serait manquer de respect à la souveraineté des nations. On peut difficilement imaginer qu'une nation responsable, qui envoie ses hommes sur des terrains difficiles où ils risquent leur vie, ne comprenne pas l'intérêt de bien traiter son personnel. C'est une question de dignité humaine. »
L'enjeu est maintenant de savoir combien de temps la mission restera dans le pays. Onanga veut éviter l'enlisement comme en RDC, où les casques bleus sont établis depuis 1999. « Le danger pour ce pays serait un désengagement trop rapide de la communauté internationale, explique-t-il. Le mandat de Touadéra est de cinq ans, il faut au moins l'accompagner jusqu'à la fin de son mandat. C'est un équilibre délicat : l'échec de cette mission serait de s'éterniser. Mais il faut éviter de se précipiter. »
Minusca et gouvernement centrafricain iront ensemble à Bruxelles, le 17 novembre, à la conférence des bailleurs de fonds. Le discours du président centrafricain y est attendu. Ses engagements politiques conditionneront l'aide des bailleurs internationaux.
Roland Marchal
Chargé de recherche CNRS
Senior research fellow, CNRS