"On n’est pas jihadistes, on n’est pas des bandits, on défend notre communauté", proclame un chef milicien entouré d’hommes en armes dans le quartier musulman de Bangui, l’une des poudrières de la Centrafrique et sa plaque-tournante commerciale.
A quelques encablures des mosquées et des commerces, un jeune homme surveille l’accès au QG du "groupe d’auto-défense +50/50+", la crosse d’un fusil d’assaut M-16 en évidence. Un homme cache discrètement une autre arme sous une couverture rouge.
Dans la cour d’une maison, l’"état-major" d’une demi-douzaine d’hommes est assis sur un tapis. Il a dû se réorganiser après la mort de leur chef dans un règlement de compte qui a fait une dizaine de morts au total fin octobre.
Cette épisode représente un énième regain de violences dans un pays qui peine à sortir du chaos de la guerre civile entre rebelles de la Séléka majoritairement musulmans et milices anti-balaka pro-chrétiennes - même si les massacres de masse appartiennent à la période 2013-2014.
Les exactions à grande échelle perpétrées par les Séléka après leur prise du pouvoir début 2013 suite au renversement du président François Bozizé avaient entraîné la formation de milices d’"auto-défense" anti-balaka, plongeant le pays dans une spirale de tueries intercommunautaires.
Comme son nom l’indique, "50/50" revendique la parité des droits pour la minorité musulmane (15 à 20% des Centrafricains) avant d’accepter le programme de désarmement voulu par le gouvernement et les Nations unies.
"On n’est pas les jihadistes. On n’est pas Boko Haram. Nous ne sommes pas des bandits. Nous demandons la liberté de circulation pour tous les musulmans dans toute la Centrafrique", proclame Abdoulaye Mabo Koudoukou, qui se présente comme le "sous-chef d’état-major".
Au mur, à côté du drapeau de la Centrafrique, la devise du "groupe d’auto-défense": "Egalité, justice, liberté" et..."Non à la violence".
Ces factions armées héritières de la Séléka, qui affirment agir en "légitime défense" contre les anti-balaka, représentent un "mal nécessaire", estime le secrétaire général de l’Association des commerçants du PK5, Hassan Ben Seid.
"Nous (les musulmans), nous sommes abandonnés à nous-mêmes. L’Etat n’existe pas. Vous ne voyez pas la police, ni la gendarmerie", expose d’une voix posée le propriétaire d’une quincaillerie située à la sortie du quartier, sur l’axe qui mène vers les autres arrondissements de la capitale.
- ’On est bloqués’ -
De son nom usuel, le quartier s’appelle le "Kilomètre 5" ou encore "PK5" parce qu’il se trouve à cinq kilomètre du centre-ville. Une petite distance que les musulmans ne parcourent plus par peur d’être la cible d’attaques s’ils sortent de leur enclave - sans parler de ceux qui se sont réfugiés au PK5 après avoir fui d’autres quartiers.
"On est bloqués. La Minusca (Mission des Nations unie) nous encercle mais ne nous protège pas. Depuis un mois, nous n’avons plus accès au cimetière musulman de l’autre côté de l’aéroport. Les étudiants ne vont plus à l’université", détaille M. Ben Seid.
En revanche, ses clients chrétiens peuvent venir au PK5, assure-t-il. C’est aussi vrai pour le plus connu des chrétiens à Bangui, l’archevêque et futur cardinal Dieudonné Nzapanainga, qui organise régulièrement des marches pour la paix avec l’imam vers le PK5.
A part les patrouilles des Casques bleus, et des rues qui se vident à la tombée de la nuit, le PK5 ressemble à un quartier ordinaire avec ses boutiques qui débordent sur le trottoir (matelas, prêt-à-porter, pièces mécaniques...) ses vastes avenues où se mêlent voitures, camions de marchandises, motos-taxis et piétons, ses petits étals de légumes sur le trottoir à même la terre battue.
Une agitation qui cesse quand la violence revient par intermittence.
"Auparavant, il suffisait d’un coup de feu pour que le marché se vide en une seule seconde. Il fallait attendre des semaines pour que cela reprenne. Quand il y a eu des morts (fin octobre), 48 heures après le marché a rouvert", avance Lazare Ndjadder.
"Honorable! Honorable!" chrétien du PK5, Lazare Ndjadder est interpellé avec respect partout et par tous... Au besoin, cet officier des douanes stoppe sa voiture de fonction pour se faire agent de la circulation contre les taxis jaunes qui roulent à contre-sens, pestant lui aussi contre l’absence des forces de police d’un Etat fantôme.
"Le kilomètre 5 est une petite République centrafricaine, avec des musulmans, des chrétiens, des athées", analyse l’ancien candidat malheureux aux élections législatives.
"Ce n’est pas difficile d’être un chrétien au PK5", assure-t-il. "Quand on a rien à se reprocher, comme moi".
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