Alors que l’Union européenne organise une conférence à Bruxelles pour discuter des priorités pour la République centrafricaine (RCA), les 17 organisations de défense des droits humains centrafricaines et internationales soussignées appellent les États et les organismes internationaux à s’engager de toute urgence à fournir un soutien financier et technique à la Cour pénale spéciale (CPS). Nous appelons également la communauté internationale à soutenir les efforts des autorités centrafricains, à jouer un rôle moteur, et à guider les efforts pour rendre la CPS réellement opérationnelle.
Sur le même thème
Déclaration sur la République centrafricaine novembre 2016
En raison de la longue histoire d’impunité en RCA pour des crimes relevant du droit international et des nombreux défis que rencontre le pays, la justice doit rester une priorité. Juger les auteurs dans le cadre de procès équitables – et révéler ainsi la vérité sur les crimes commis – peut aider à mettre fin aux cycles de violence et avoir un impact durable sur la paix et la réconciliation.
La République centrafricaine est confrontée à une situation sécuritaire difficile, qui s’est dégradée au cours des derniers mois. Néanmoins, en septembre, le président Touadera a rassuré l’Assemblée générale des Nations Unies sur le fait que la République centrafricaine avait « tourné une page sombre de son histoire » et a réaffirmé l’engagement de son gouvernement à mettre fin à l’impunité. La communauté internationale devrait maintenir son engagement durable envers la République centrafricaine, et envers la justice en particulier, afin de veiller à ce que le pays ne s’enfonce pas dans une nouvelle crise.
Le système judiciaire centrafricain reste trop faible pour mener des enquêtes et des poursuites efficaces pour les crimes d’atrocités de masse. L’enquête de la Cour pénale internationale en République centrafricaine offre aux victimes une autre voie indispensable vers la justice, mais elle ne peut tout simplement pas résoudre plus d’une décennie de crimes relevant du droit international, car il est probable qu’elle ne ciblera qu’un petit nombre de suspects. La Cour Pénale Spéciale (CPS), avec son complément de personnel international et national et son expertise, a le potentiel de rendre une justice tant attendue par les nombreuses victimes de crimes relevant du droit international depuis 2003. De plus, une CPS forte et fonctionnelle peut avoir un impact positif sur le système judiciaire centrafricain, permettant un partage d’expertise, apportant un renforcement des capacités et montrant qu’une justice digne de foi est possible.
Mais pour réaliser son potentiel, la CPS a besoin du soutien des bailleurs de fonds.
Financement de la Cour pénale spéciale
Des enquêtes fiables sont un gage de succès des étapes suivantes. En effet, les affaires instruites sur la base d’éléments de preuves solides, suivies de procès équitables et perçus comme tels, inspireront confiance dans l’État de droit.
La sécurité pour le personnel judiciaire principal est aussi fondamentale : les juges, les procureurs et les avocats ne peuvent pas faire leur travail efficacement s’ils craignent pour leur sécurité. La protection des victimes et des témoins est tout aussi critique. En rendant l’aide juridique disponible aux victimes, celles-ci peuvent exercer leur droit à participer aux procès, tandis que l’aide juridique pour les prévenus indigents peut contribuer à garantir le caractère équitable des procès. À toutes les étapes, une action d’information efficace peut favoriser une sensibilisation au rôle et au fonctionnement de la Cour, permettre de gérer les attentes et participer à établir une appropriation nationale du processus de justice.
Pendant les cinq prochaines années, la CPS coûtera 40 millions de dollars américains, d’après les estimations. Sur cette somme, seuls 5 millions de dollars ont déjà été réunis, soit une insuffisance de financement de 35 millions de dollars. Nous demandons instamment aux bailleurs de fonds de garantir un engagement continu envers la CPS pendant toute la durée où elle s’efforcera de remplir son mandat.
Recrutement du personnel
Comme nous l’avons souligné dans une déclaration précédente, le recrutement d’un personnel national et international qualifié, indépendant et motivé sera un facteur déterminant pour le succès de la Cour pénale spéciale.
Le processus de recrutement du personnel international doit bientôt commencer, y compris pour les magistrats, les juges d’instruction, le procureur et le greffier adjoint. Nous demandons instamment à vos gouvernements de proposer les candidats les plus qualifiés pour les postes et de faire pression pour un processus de sélection transparent qui donne la priorité aux compétences avant toute autre considération.
Les juges, les consultants et les experts recrutés devraient parler français et connaître le système de droit civil sur lequel est basé le système judiciaire centrafricain. Les juges devraient avoir une solide expertise en matière d’enquêtes et de poursuites pour les crimes relevant du droit international. Le déploiement de juges, consultants et experts internationaux n’ayant pas l’expérience spécialisée requise pour mener des enquêtes et juger des crimes relevant du droit international peut s’avérer contre-productif et compromettre la légitimité du tribunal.
De même, nous attendons des autorités centrafricaines qu’elles fassent preuve de leadership et d’un soutien politique constant à la Cour pénale spéciale, ce qui devrait se traduire par des mesures concrètes, comme la désignation de personnel national qualifié.
La République centrafricaine est confrontée à de nombreux défis, y compris la démobilisation des combattants, la réforme du secteur de la sécurité et la protection des civils, alors qu’elle lutte pour se reconstruire après des années de conflit. Cependant, traduire en justice les auteurs des pires crimes dans le cadre de procès dignes de foi devrait être au premier rang des priorités de la communauté internationale. Nous espérons que votre gouvernement ou votre organisme intergouvernemental apportera un soutien financier, technique et politique à la CPS comme décrit plus haut.
Bangui, le 16 novembre 2016
Les organisations soutenant la déclaration sont les suivantes :
Action des chrétiens contre la torture (ACAT - RCA)
Amnesty International
Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC)
Association des victimes de la LRA en Centrafrique (AVLRAC)
Avocats Sans Frontières
Civis et démocratie (CIDEM)
Commission episcopale Justice et Paix
Enough Project
Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
Human Rights Watch
Lead-Centrafrique
Ligue centrafricaine des droits de l'Homme (LCDH)
Mouvement pour la défense des droits de l'Homme et de l'action humanitaire (MDDH)
Observatoire centrafricain des droits de l'Homme (OCDH)
Observatoire pour la promotion de l'Etat de Droit - OPED
Parliamentarians for Global Action