Dans le nord-ouest de la République centrafricaine, un groupe armé récemment formé appelé « Retour, Réclamation et Réhabilitation » ou 3R, a tué et violé des civils, et provoqué des déplacements de population à grande échelle au cours de l’année écoulée. Les forces de maintien de la paix des Nations Unies dans la région n’ont pas été en mesure de protéger pleinement les civils.
« La situation en République centrafricaine est suivie par la communauté internationale, mais le nord-ouest du pays, négligé, est d’ores et déjà le théâtre d’une crise émergente », a déclaré Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le groupe armé 3R, qui se présentait au départ comme garant de la protection des Peuls, a utilisé sa puissance accrue pour multiplier le nombre d’attaques et d’exactions. »
Entre le 21 et le 27 novembre 2016, Human Rights Watch a enquêté sur le meurtre d’au moins 50 civils dans les sous-préfectures de Bocaranga et de Koui dans la province d’Ouham Pendé. Human Rights Watch a interrogé 42 personnes, dont 8 victimes des violences de 3R, 9 familles de victimes et 16 témoins. Ils ont décrit comment les membres de 3R tuaient les civils par balles, violaient des femmes et des jeunes filles, et pillaient et brûlaient des villages. Les actes de ce groupe armé ont provoqué le déplacement d’au moins 17 000 personnes : 14 000 autour de la ville de Bocaranga et 3 000 à la frontière avec le Cameroun.
Le nombre des victimes de 3R est probablement plus élevé, mais Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer tous les meurtres et viols qui avaient été signalés, en raison de problèmes d’accès et de préoccupations sécuritaires. Human Rights Watch a pu se rendre dans un village détruit par 3R, Bogon III, et a recueilli des comptes rendus crédibles d’autres personnes, y compris des photos des destructions commises.
Sous le commandement du général autoproclamé Sidiki Abass, le mouvement 3R est apparu à la fin de 2015 pour protéger la communauté Peul, minoritaire dans la région, contre les attaques des milices anti-balaka, l’un des deux principaux groupes combattants dans le pays ces dernières années. En avril et mai 2016, le 3R a multiplié ses attaques contre des villages de la sous-préfecture de Koui, prétendument en représailles aux activités des milices antibalaka. Le 27 septembre, le 3R a attaqué la ville de De Gaulle, capitale de la sous-préfecture, qui compte environ 20 000 habitants, ainsi que plusieurs autres villages de la région. 3R nie y avoir commis des mauvais traitements.
Les anti-balaka, sous le commandement du général auto-proclamé Abbas Rafal, ont également tué des civils et combattants peuls à Bocaranga et ses environs, où Human Rights Watch a constaté, fin novembre, que des dizaines de combattants anti-balaka armés se déplaçaient librement. Human Rights Watch a également constaté la présence d’au moins 100 combattants 3R armés à De Gaulle.
Le 22 novembre, le général Sidiki a indiqué à Human Rights Watch par téléphone que tous ses hommes respectaient les droits humains et a nié toutes les accusations de mauvais traitements. Le 25 novembre, Human Rights Watch a rencontré un porte-parole de 3R, qui a refusé de donner son nom de famille et se fait appeler Bashir, accompagné du Secrétaire général du groupe, Patrick Gombado. Les deux hommes ont reconnu que 3R avait attaqué De Gaulle en raison, disent-ils, de la présence d’anti-balaka dans la ville. Bashir a déclaré à Human Rights Watch que certains combattants 3R avaient commis des pillages – c’est-à-dire volé les biens d’autrui pour leur usage personnel – pendant cette attaque, parce « c’est le combat... mais en tant que groupe nous ne pillons pas ». Il a affirmé que le groupe « essayait de répondre à ce type d’indiscipline », sans préciser comment. Les deux hommes ont nié que les combattants 3R avaient exécuté ou violé.
Le 26 novembre, le général Rafal a déclaré à Human Rights Watch que son groupe exécutait des Peuls soupçonnés d’être des espions « même s’ils n’étaient pas armés ». Human Rights Watch a confirmé deux de ces meurtres en novembre. Des personnes chargées des services aux survivants et du suivi de la violence sexuelle dans la région ont déclaré que les combattants anti-balaka avaient également violé au moins six femmes et jeunes filles en 2016.
Des témoins ont expliqué à Human Rights Watch que le général Sidiki était arrivé dans la région en 2015 et avait tenu des réunions dans plusieurs villages autour de Koui, en affirmant que l’objectif de 3R était de faire en sorte que les Peuls puissent vivre en paix avec les autres habitants de la région. Mais ces témoins ont raconté que les combattants associés à 3R avaient rapidement commencé à attaquer ces villages, suite apparemment aux attaques anti-balaka contre les Peuls et à des vols de bétail, perpétrés à la fois par des anti-balaka et des habitants de la région.
Les attaques ont augmenté en 2016 et le 27 septembre, le groupe 3R a lancé sa plus grande attaque sur De Gaulle. Human Rights Watch a recueilli des informations sur la mort de 17 civils tués pendant ou juste après cette attaque. Leur nombre est probablement plus élevé, car beaucoup de personnes sont toujours portées disparues.
Des personnes chargées du suivi de la violence sexuelle dans la région, qui ne souhaitent pas être identifiées pour des raisons de sécurité, disent avoir reçu des informations sur le viol de 23 femmes et jeunes filles par des combattants du 3R pendant et après l’attaque de De Gaulle. Human Rights Watch s’est entrenu avec deux femmes et une jeune fille, qui ont raconté les viols commis par les hommes du général Sidiki. Deux des survivantes ont déclaré que leurs enfants avaient été témoins des viols. « Blandine », une femme de De Gaulle âgée de 30 ans, a raconté à Human Rights Watch que des combattants 3R avaient fait irruption dans sa maison :
On m’a demandé : « Où est ton mari ? » J’ai répondu qu’il n’était pas là... L’un d’eux a armé son revolver et l’a pointé sur moi, puis il m’a dit : « On va avoir des rapports sexuels avec toi. » Il m’a jetée par terre et [l’un d’entre eux] m’a violée. Un autre attendait son tour, mais il y a eu des tirs à l’extérieur pendant que le premier était en train de finir, alors quand il a terminé, ils sont tous les deux partis... [Mes] deux plus jeunes enfants étaient à côté de moi et ils pleuraient. »
À la date du 13 décembre, l’accès à la région des organisations qui fournissent des services aux victimes de viol était limité en raison de problèmes de sécurité.
La force de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, la Mission Multidimensionnelle Intégrée de Stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), compte 12 870 soldats dont environ 100 soldats prêts au combat à Bocaranga et 100 à De Gaulle.
Le 26 novembre, des officiers des Nations Unies à Bocaranga ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils menaient autant de patrouilles que possible avec leurs hommes prêts au combat, tout en reconnaissant que les 3R et les anti-balaka s’étaient enhardis et qu’ils circulaient librement avec leurs armes. Ces officiers ont souligné que toutes les informations étaient envoyées à Bangui, la capitale, mais qu’ils ne s’attendaient pas à une augmentation du nombre de soldats dans la région.
Conformément à son mandat, la MINUSCA doit prendre des mesures pour protéger les civils, et parmi elles les personnes âgées, les femmes et les jeunes filles, y compris en faisant usage de la force. Elle doit aussi garantir l’accès aux services vitaux, notamment aux soins médicaux et aux services de santé mentale.
Les crimes commis dans la région relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), dont le procureur a ouvert plusieurs enquêtes sur les crimes commis dans le pays en septembre 2014, et de celle de la Cour pénale spéciale (CPS), une nouvelle instance judiciaire constituée de juges et des procureurs nationaux et internationaux qui ont pour mandat d’enquêter et de poursuivre les violations graves des droits humains commises dans le pays depuis 2003. La CPS offre une authentique possibilité de demander des comptes aux commandants de toutes les parties au conflit qui sont responsables de crimes de guerre, et doit faire l’objet d’un soutien sans faille de la communauté internationale, a déclaré Human Rights Watch.
Les exécutions extrajudiciaires, les meurtres ciblés de civils, les viols et autres formes de violence sexuelle sont tous contraire au droit international humanitaire et peuvent être poursuivis comme crimes de guerre. Le droit international humanitaire interdit aussi strictement à toutes les parties aux conflits armés non internationaux de recourir à des actes de vengeance ou à toute riposte contre des civils ou des combattants qui ont cessé de participer directement aux hostilités.
Les attaques 3R interviennent à un moment d’agitation et de violence croissantes dans le centre du pays, en particulier à Kaga-Bandoro, Bria et Bambari.
« Le gouvernement et la MINUSCA sont confrontés à d’immenses problèmes, mais ils doivent aider à mettre un terme à la violence dans le nord-ouest du pays et à réaffirmer un certain degré de respect de l’état de droit », a déclaré Lewis Mudge. « Les généraux Sidiki et Rafal doivent être avertis qu’ils sont surveillés et qu’ils seront jugés pour les actes qu’ils ont commis. »
La République centrafricaine en crise
La République centrafricaine est en crise depuis la fin de 2012, quand les rebelles Seleka, essentiellement musulmans, ont lancé une campagne militaire contre le gouvernement de François Bozizé. La Seleka a pris le contrôle de Bangui en mars 2013. Son régime a été marqué par des violations généralisées des droits humains, y compris l’assassinat volontaire de civils. Au milieu de l’année 2013, la milice chrétienne et animiste anti-balaka s’est organisée pour combattre la Seleka. En associant tous les musulmans à la Seleka, les anti-balaka ont mené des attaques de représaille à grande échelle contre des civils musulmans, à Bangui et dans l’ouest du pays.
Depuis 2013, Human Rights Watch a enquêté sur de nombreux cas où des milices anti-balaka, des civils et des groupes Seleka ont attaqué des Peuls.
Groupe 3R (« Retour, Réclamation et Réhabilitation »)
Bashir, le porte-parole du 3R, et son Secrétaire général, Gombado, affirment que le 3R n’est pas un groupe rebelle mais un mouvement de résistance créé pour défendre les Peuls contre la violence qui s’étend dans les préfectures de Nana-Mambéré, Ouham Pendé et Mambéré-Kadéï. Ils affirment aussi que le 3R veut le retour des autorités nationales à De Gaulle, qu’ils ont quittée après l’attaque du 27 septembre, mais que le 3R gardera les armes jusqu’à ce que les anti-balaka soient désarmés et que les Peuls soient protégés.
Les dirigeants locaux ont déclaré que les relations avec le général Sidiki et le 3R ont d’abord été amicales, mais que les activités des anti-balaka se sont multipliées dans la région et que le 3R a commencé à attaquer des villages. Un responsable local qui ne souhaite pas être nommé a ainsi expliqué :
Sidiki a dit qu’il était là pour protéger les éleveurs qui avaient été attaqués et que pour ce faire il avait dû former un groupe. Il a dit qu’il n’était pas un rebelle mais qu’il était là pour protéger les Peuls et qu’il voulait que les autorités soient au courant de sa présence. Il a également déclaré qu’il était prêt à participer au programme DDR [Désarmement, démobilisation et réintégration, un programme conjoint de désarmement du gouvernement et de la MINUSCA], si les anti-balaka ne constituaient pas une menace. Mais sa position a changé et il a commencé à attaquer des villages. Il a attaqué Boumari en 2015 et les attaques ont augmenté. Maintenant, il a détruit la sous-préfecture.
Un autre responsable local a déclaré que la violence avait empiré en avril, quand les anti-balaka ont commencé à attaquer les hommes de Sidiki. « Sidiki a envoyé ses hommes brûler des villages et tuer des gens sous prétexte qu’ils cachaient des anti-balaka et volaient des vaches », a-t-il expliqué.
Bashir et Gombado ont indiqué qu’ils vendaient du bétail pour se procurer des armes au marché noir, mais ils ont nié les accusations de meurtre et de viol. « Aucun civil n’a été tué par nos hommes », a déclaré Bashir à Human Rights Watch. « Aucune femme n’a été violée. Aucune violence n’a été commise par nos hommes à De Gaulle ou à Koui. »
Attaques contre des villages de Koui
Selon les autorités locales, des habitants et d’autres personnes qui suivent l’évolution de la situation dans la région, le groupe 3R a attaqué au moins 13 villages dans la sous-préfecture de Koui depuis novembre 2015. Les anti-balaka étaient présents dans certains de ces villages mais selon plusieurs habitants, ils les ont rapidement quittés en faisant porter l’essentiel du poids de ces attaques aux civils. Human Rights Watch s’est entretenu avec les habitants de neuf villages qui lui ont décrit les attaques.
En novembre 2015, plusieurs jours après que le général Sidiki eût assuré aux villageois que ses hommes ne s’attaqueraient pas aux civils, des combattants 3R ont attaqué Boumari, à environ 40 kilomètres de De Gaulle, tuant le chef du village, Abel Ndombe, âgé de 75 ans. « Le chef ne s’est pas enfui quand il a vu les combattants parce qu’il pensait qu’il ne risquait rien si il leur parlait », a déclaré un témoin. « Il s’est approché d’eux et ils lui ont tiré dans la gorge. »
Le 23 janvier, des combattants du 3R ont attaqué Sangodoro, un village situé à 22 kilomètres au sud de De Gaulle. Un témoin a déclaré :
Il était environ 5h30 du matin et j’ai entendu des coups de feu dans le village. Comme tout le monde, j’ai couru vers les bois. Depuis la forêt, nous avons vu les attaquants brûler le village. C’étaient les hommes de Sidiki. Ils étaient reconnaissables à leurs uniformes. J’ai vu les cadavres de deux personnes du village [des civils], Desa Amado et Anicet.
Un autre habitant a déclaré :
J’ai couru dehors où j’ai retrouvé mon voisin Anicet et nous avons couru vers les bois. Il a été touché à la tête pendant que nous courions et il est tout de suite tombé. J’ai couru et je me suis caché là où se trouvaient déjà d’autres habitants du village. Après quelques heures, un homme, dénommé Mado, a décidé qu’il allait retourner au village pour chercher l’argent qu’il avait enterré près de sa maison. Très vite, nous avons entendu un coup de feu. Un peu plus tard, nous avons entendu sa fille crier. Il avait été abattu par le 3R, mais il était toujours en vie et nous l’avons trouvé dans les bois. Mais il n’allait pas bien. On lui avait tiré dans la poitrine et il savait qu’il allait mourir. Il disait : « Je vais mourir, qui va s’occuper de mes enfants ? » Il est mort peu de temps après.
À la mi-septembre, des combattants du 3R ont attaqué le village de Bouzou, à 50 kilomètres de De Gaulle, tuant deux personnes. L’attaque a obligé les résidents à fuir vers De Gaulle, qui a elle-même été attaquée quelques jours plus tard.
Une femme de Bouzou, âgée de 40 ans, a déclaré : « Quand l’attaque a commencé, j’ai couru me cacher dans la brousse. L’après-midi, je suis retourné au village et j’ai vu que tout avait été brûlé, même l’église. J’ai alors décidé de marcher jusqu’à De Gaulle. J’ai dû faire le voyage avec six enfants, ce qui m’a pris deux jours. »
Ousmanou Alain Doui, âgé de soixante-trois ans, est mort après que sa famille a décidé de fuir vers De Gaulle. Son fils a déclaré : « Le voyage a été trop dur pour lui. »
Attaque contre la ville de De Gaulle
Les habitants de De Gaulle ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils avaient remarqué une augmentation des attaques du 3R à la périphérie de la ville dans les jours précédant l’attaque principale le 27 septembre. Comme d’autres, « Emmanuel », 56 ans, a demandé à ne pas être identifié par son nom par peur des représailles. Il a déclaré :
Le 26 septembre, j’étais à l’extérieur de la ville, à l’endroit où je garde mes vaches et mes moutons. Un groupe d’hommes de Sidiki est arrivé, j’ai reconnu deux d’entre eux. Ils m’ont entouré, puis ils ont vu l’arc et les quelques flèches dont je me sers pour protéger les animaux. L’un des combattants a dit que cela prouvait que j’étais un anti-balaka. Il a dit : « Nous allons te tuer et prendre tes animaux. » J’ai répondu : « Prenez les animaux, mais laissez-moi vivre. » Mais il a insisté : « Non, nous allons te tuer de toute façon. » Alors j’ai dit : « Faites ce que vous voulez, Dieu décidera de mon sort. » Ils m’ont ligoté en attachant mes pieds à mes mains derrière mon dos et ils ont commencé à me rouer de coups. L’un d’eux a pris un couteau et a commencé à me couper la gorge. Je me suis mis à saigner et j’ai pensé que j’étais mort. Mais quand ils sont partis, j’étais encore en vie. Mon fils est arrivé et m’a trouvé. J’avais mal quand je parlais et je devais tourner la tête et poser ma main sur ma gorge pour empêcher le sang de couler, mais j’étais en vie. « Emmanuel » dit qu’il s’est caché pendant quatre jours avec son fils avant d’être transporté à Bocaranga, où il a reçu un traitement médical. Human Rights Watch a vu ce qui semblait être les cicatrices d’une blessure au couteau au niveau de son cou.
Quand le 3R a pris la ville, ses combattants ont commencé à s’attaquer aux civils. « Quand j’ai entendu les coups de feu, je suis sorti et je me suis mis à courir », a déclaré un homme de 50 ans. « J’ai vu l’un des combattants de Sidiki et il m’a tiré dans le genou. Il a continué à me tirer dessus mais j’ai couru dans la brousse, où je suis resté caché quatre jours. Je n’étais pas armé, il m’a tiré dessus comme si j’étais un animal. » Human Rights Watch a vu ce qui ressemblait à la cicatrice d’une blessure par balle sur le genou de l’homme.
Un habitant décrit ainsi le meurtre de son père, Alain-Josue Yapele, qui avait entre 65 et 75 ans :
Il nous a dit qu’il resterait dans la maison parce qu’ils n’allaient pas tuer un vieil homme. Nous nous sommes cachés derrière la maison et de là nous avons vu les hommes de Sidiki entrer. Nous avons entendu des coups de feu. Les attaquants ont quitté la maison peu après et nous avons couru voir mon père. Il nous a dit : « Ils ont brisé la porte, puis ils se sont mis à me donner des coups de pied et à me frapper avec leurs armes avant de me tirer dessus. » Il a dit qu’il connaissait l’un des attaquants, un Mbororo (Peul) de De Gaulle. [C’] était un des hommes de Sidiki. Mon père était touché au bras et au visage.
Le fils a expliqué qu’ils n’avaient pas été en mesure d’obtenir de l’aide en raison des conditions dangereuses et que son père était mort après avoir perdu son sang. Ils l’ont enterré et ont pris la fuite et ne sont pas revenus à De Gaulle.
Après l’attaque, les combattants 3R ont fait la chasse aux habitants dans les bois des alentours, en s’en prenant aux civils. « Isabelle », une femme de 35 ans qui était enceinte de huit mois à l’époque, a déclaré :
Quand De Gaulle a été attaquée, j’ai couru avec mon mari et mes neuf enfants pour rejoindre la brousse. Nous nous sommes cachés avec environ 30 autres habitants de la ville. Le lendemain matin, nous prenions le petit déjeuner, mais les hommes de Sidiki ont trouvé notre cachette. Ils sont venus discrètement pour nous surprendre. Il y en avait au moins 10 et aussitôt ils se sont mis à nous tirer dessus. J’ai vu que quatre personnes avaient été tuées : Noui Njacko, André, Elizar et Korin Nzako. Korin était enceinte. On lui a tiré dans le ventre alors qu’elle essayait de fuir. Korin Nzako, 16 ans et mère d’un enfant, était enceinte de quatre mois quand elle est morte.
Viols perpétrés par des combattants du 3R
Des personnes chargées du suivi de la violence sexuelle dans la région, qui ne souhaitent pas être identifiées pour des raisons de sécurité, ont déclaré à Human Rights Watch qu’elles avaient recensé 43 cas de femmes et de jeunes filles qui disent avoir été violées par des combattants 3R, dont 23 pendant ou juste après l’attaque de la ville de De Gaulle. Même si certains cas peuvent être enregistrés par plusieurs personnes ou agences, leur nombre total pourrait être beaucoup plus élevé en raison de la tendance des violences sexuelles a être moins signalées. Human Rights Watch s’est entretenu avec trois survivantes.
« Agnès », une femme de 33 ans, a déclaré qu’elle avait couru avec son mari et leur fils de 7 ans dans les bois quand le 3R a lancé son attaque. Alors qu’ils couraient, son mari a été touché à la jambe et son fils et elles ont dû poursuivre sans lui :
[Mon fils et moi] marchions quand nous sommes tombés sur un groupe de 10 combattants du groupe de Sidiki. Deux de ces combattants m’ont violée... L’un d’eux a pointé son fusil sur moi en disant : « Si tu n’a pas de relations sexuelles avec moi, je te tue. » Ils m’ont violée à tour de rôle. Mon fils était là tout le temps. Ils m’ont forcée à le garder juste à côté. Il pleurait.
« Delphine », une jeune fille de 14 ans, a déclaré que son père et elle s’étaient enfuis de leur village après une attaque du 3R. Ils approchaient de De Gaulle à l’aube quand un combattant 3R armé d’un fusil est apparu derrière eux :
Il m’a attrapée et quand mon père a voulu réagir [il] l’a pris à la gorge. J’ai crié parce que je pensais qu’il allait tuer mon père. Mais il l’a laissé partir et c’est moi qu’il a prise à la gorge. Il m’a jetée au sol et m’a frappée dans les côtes avec son fusil. Il a pointé son fusil vers moi et m’a dit : « Si tu ne couches pas avec moi, je te tue. » Puis il a pointé le fusil sur mon père en disant : « Si je ne couche pas avec ta fille, je te tue. » Mon père a dû rester près d’un arbre, à quelques mètres de distance. Puis il s’est jeté sur moi... Après avoir fini, il est parti sans un mot... Parfois, je rêve que je suis violée par cet homme et qu’il va me tuer juste après.
Si certaines survivantes de violences sexuelles ont pu avoir accès à des soins psychologiques et médicaux, les personnes chargées de ces services ont déclaré à Human Rights Watch que seul un petit nombre de femmes et de filles y avaient accès à cause des problèmes de sécurité. L’une de ces personnes a indiqué à Human Rights Watch que la plupart des survivantes de violences sexuelles n’avaient pas reçu de soins essentiels après leurs viols, y compris des soins de prophylaxie post-exposition (PPE) pour prévenir la transmission du VIH. Les organisations qui offrent une assistance aux survivantes de viols ont été forcées d’évacuer Bocaranga le 27 septembre en raison des problèmes de sécurité et n’ont pas repris leur travail avant le 11 octobre. Depuis le 27 septembre 2016, les forces anti-balaka n’autorisent plus l’accès de ces organisations à la sous-préfecture de Koui.
Actes de torture perpétrés par le 3R
Human Rights Watch a pu confirmer trois cas de torture d’hommes perpétrés par des combattants du 3R dans la sous-préfecture de Koui et entendu plusieurs témoignages fiables d’autres personnes.
Après avoir attaqué De Gaulle, le 3R a emmené « Claude », 21 ans, jusqu’à la base de Sidiki :
Ils n’arrêtaient pas de me demander où était le pistolet et je leur disais que je n’en avais pas. Un homme a dit : « Ok, puisque tu ne nous montres pas le pistolet, on va te torturer jusqu’à ce que tu nous le donnes. » Ils ont attaché mes mains à mes pieds derrière mon dos pendant deux jours. Pendant ces deux jours, ils m’ont violemment battu avec un cordon métallique. À un moment, ils m’ont ligoté par le cou avec, encore une fois, les pieds et les mains attachés dans mon dos, et ils m’ont suspendu en l’air pendant plusieurs heures. Après deux jours, les soldats de la MINUSCA sont venus me sauver. Les combattants 3R m’ont dit que je pouvais partir avec la MINUSCA parce qu’ils avaient fait leur enquête et n’avaient pas trouvé de pistolet... La douleur que j’ai ressentie est difficile à décrire. Même maintenant, presque deux mois plus tard, je vomis et j’ai encore du mal à manger.
« Jean » a raconté qu’il était arrivé dans le village de Ngaokala après avoir fui l’attaque à De Gaulle et vu un garçon de 14 ou 15 ans, ses pieds liés aux mains dans son dos. Il avait été accusé d’avoir volé du bétail et battu dans cette position par des combattants 3R pendant plusieurs heures. La communauté locale a recueilli 170 000 francs (environ 275 dollars américains) pour le libérer, a déclaré « Jean ». « Pascal », un habitant de De Gaulle, a déclaré avoir vu des combattants 3R et Sidiki lui-même torturer et tuer un homme de cette ville, Nambona Dounia, 34 ans, retrouvé près de Makonzi Wali, un carrefour à 20 kilomètres de De Gaulle : « Il a été emmené devant le bâtiment administratif de la sous-préfecture et battu par une vingtaine d’hommes. Après un moment, ils l’ont égorgé. Sidiki était là-bas, il a participé. »
Meurtres commis par les anti-balaka à Bocaranga
Sous le commandement du général Rafal, les combattants anti-balaka ont assassiné au moins deux Peuls non armés en novembre. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer l’identité de l’une des victimes, mais Rafal a lui-même déclaré qu’il avait tué l’homme, un Peul non armé qu’il soupçonnait d’être un espion, dans les environs de la ville le 24 novembre.
Des témoins affirment que début novembre, Rafal et ses hommes ont tué Amadou Tourra, un Peul de 27 ans. En mars, Tourra avait fui les régions placées sous le contrôle de Sidiki car, comme l’’expliquent ceux qui lui ont parlé, le 3R voulait l’enrôler de force. Des connaissances de Tourra ont déclaré que les combattants 3R l’avaient blessé au bras avec un couteau après qu’il avait refusé de se joindre à eux.
Les témoins ont raconté que le 11 novembre, vers 4 heures du matin, Rafal et environ six combattants anti-balaka ont fait irruption dans le camp où Tourra était caché. Ils l’ont forcé à se mettre à genoux et malgré ses prières, ils lui ont tiré dans la tête et dans les bras. Human Rights Watch a vu des photos du corps de Tourra prises dans les heures qui ont suivi sa mort, montrant ce qui ressemblait à des blessures par balles aux bras et à la tête.
Déplacement de populations et besoins humanitaires
Les combats dans la préfecture d’Ouham Pendé ont déplacé au moins 17 000 personnes en 2016. La majorité d’entre eux vivent dans des cabanes à toit de paille improvisées à proximité des villages le long des routes principales. Certains séjournent chez des amis ou des membres de leurs familles. En raison des problèmes de sécurité, les associations d’aide n’ont pas été en mesure de délivrer toute l’assistance nécessaire.
Un homme de 40 ans originaire de Boumari, qui vit à présent avec sa famille de six personnes à la périphérie de Bodé, à 20 kilomètres au nord de Bohong, a déclaré :
Nous sommes beaucoup à ne pouvoir aller dans nos champs et ceux qui osent y retourner marchent toute la journée pour y travailler et ne rentrent que le lendemain. Nous avons perdu tous nos biens dans l’attaque. Les ONG qui offrent un soutien ne viennent pas souvent car les routes sont dangereuses. Notre village a été dispersé dans toute la brousse. Combien de temps pouvons-nous encore vivre ainsi ?
Une mère de 4 enfants âgée de 41 ans, originaire de De Gaulle et qui séjourne chez des proches à Douya, au sud de Bocaranga, a déclaré : « Les enfants ne vont plus à l’école et ils restent là sans rien faire. Nous ne pouvons pas rentrer à De Gaulle pour reprendre notre vie car les hommes de Sidiki s’y trouvent toujours. Jusqu’à ce que la sécurité soit rétablie, nous resterons ici et dépendrons de la bienveillance de notre famille. Notre vie a été suspendue. »