Mettre fin à l’impunité pour la corruption et les violations des droits humains est crucial pour l’avenir du pays
près dix mois d’un conflit sanglant qui a fait des milliers de morts et entraîné le déplacement de plus d’un demi-million de personnes, les groupes rebelles en République centrafricaine ont signé un cessez-le-feu le 23 juillet à Brazzaville, en République du Congo, promettant de mettre fin à la violence contre les civils, de respecter les droits humains et de mettre un terme aux discours haineux basés sur l’appartenance à une religion ou à une tribu. L’accord entre les rebelles de la Séléka et les combattants anti-balaka qui se sont affrontés et ont brutalement attaqué la population civile depuis septembre 2013 a marqué une étape importante.
En mars 2013, les rebelles en grande partie musulmans de la Séléka ont renversé le gouvernement du président François Bozizé, dont ils ont affirmé qu’il avait commis des exactions contre les musulmans dans le nord-est. Après avoir établi un gouvernement intérimaire dans la capitale, Bangui, les combattants de la Séléka ont saccagé les quartiers de la ville sans se soucier de la vie des civils, en s’en prenant à d’anciens responsables du gouvernement et de l’armée à qui ils reprochaient d’avoir pris pour cible et marginalisé les musulmans du pays. Des corps ont été découverts tous les jours dans les rivières Oubangui et Mpoko.
En dehors de la capitale, des membres de la Séléka ont attaqué village après village, en brûlant des milliers de maisons et tuant des dizaines de civils, tirant sur les habitants tentant de s’enfuir. Au mois d’octobre l’an dernier, alors que je documentais les atrocités pour Human Rights Watch (HRW), je suis entré dans une maison tachée de sang à Bouar, dans la partie nord-ouest du pays, où les combattants de la Séléka avaient massacré 18 personnes, dont la plupart étaient des femmes et des enfants.
En réponse à la violence, des groupes d’auto-défense appelés anti-balaka ont déclenché des attaques de représailles à grande échelle contre des civils musulmans. (Anti-balaka signifie « anti-machette » en sango, l’une des principales langues en République centrafricaine.) Ils ont commencé à Bossangoa, dans le nord, en massacrant des centaines de musulmans avec une brutalité choquante. Dans un certain nombre d’incidents, ils ont tranché la gorge de jeunes garçons musulmans devant leurs mères.
En décembre, des combattants anti-balaka se sont déplacés vers le sud et ont attaqué Bangui, en détruisant systématiquement de nombreux quartiers musulmans. On estime que 300 000 musulmans ont fui le pays. Ceux qui se trouvent encore dans l’ouest du pays se sont réfugiés dans des enclaves isolées dans l’espoir d’une protection continue de la part des forces de maintien de la paix françaises et de l’Union africaine. Mais les combattants anti-balaka semblent avoir l’intention de tuer ceux qui restent. Lorsque j’ai rencontré un groupe de combattants anti-balaka à Berberati en mars, ils se sont vantés qu’ils allaient tuer les musulmans restants ou les chasser du pays.
La dernière trêve est la première tentative pour mettre fin au cycle de massacres qui a commencé avec le coup d’État perpétré par la Séléka. Mais il y a eu une omission flagrante dans l’accord : ses termes n’indiquaient nulle part si les responsables des violences seraient traduits en justice. L’impunité pour la corruption et les atrocités de masse est un mal sous-jacent qui frappe la République centrafricaine. Par exemple, alors qu’il présidait encore le pays, François Bozizé a adopté en 2008 une loi d’amnistie couvrant les crimes commis entre mars 2003 et octobre 2008, en particulier dans le nord-est musulman, malgré l’opposition unanime des groupes rebelles. Certains de ces groupes ont par la suite formé la Séléka.
Lors d’un voyage récent à Boali, une ville située à environ 80 km au nord de Bangui, une équipe de chercheurs de HRW, dont l’auteur de ces lignes, a dû négocier son passage à travers onze barrages anti-balaka. À chaque point de contrôle le même scénario s’est répété : un petit groupe d’hommes et de garçons armés ont arrêté notre véhicule et exigé de l’argent. À un moment donné j’ai demandé à un jeune combattant âgé de treize ans, qui se faisait appeler « capitaine », s’il ne craignait pas d’avoir des ennuis pour arrêter le trafic et demander de l’argent sous la menace d’une arme. Il a haussé les épaules et a répondu : « Qui peut m’en empêcher ? »
Le jeune « capitaine » comprend que l’État de droit n’existe pas en RCA et que personne ne va se faire arrêter pour avoir commis des crimes. Alors, quel intérêt y a-t-il à se retenir ?
Dans les semaines précédant la signature du cessez-le-feu, HRW a rendu compte de l’escalade de la violence dans la partie orientale du pays. Au moins 62 personnes ont été tuées en l’espace de deux semaines en juin près de Bambari, le quartier général militaire de la Séléka. Des témoins des deux camps ont décrit les attaques comme des mesures de représailles, dans un cycle croissant de vengeance meurtrière réciproque entre les communautés. La plupart des victimes étaient des hommes et des garçons, massacrés à coups de machette.
Les efforts déployés pour rétablir la loi et l’ordre se sont heurtés à de dures réalités : les forces de l’ordre n’ont pas les moyens de procéder à des arrestations, les autorités judiciaires sont incapables de reprendre le travail en dehors de Bangui, et il n’existe pas de système carcéral opérationnel. Une cellule spéciale d’enquête établie par décret présidentiel le 9 avril n’a pas encore reçu les ressources et le soutien logistique nécessaires pour commencer son travail.
Le 30 mai, la présidente par intérim Catherine Samba-Panza a officiellement demandé à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir une enquête, en reconnaissant que les tribunaux centrafricains ne sont pas en mesure de mener à bien les enquêtes nécessaires. Une enquête exhaustive de la CPI aiderait à adresser un signal que les responsables des crimes en République centrafricaine risquent d’être un jour traduits en justice.
Lors de la cérémonie de clôture de l’accord, le représentant de la Séléka, Mohammed Dhaffane, a affirmé qu’il signait au nom de tous les chefs rebelles de la Séléka, dont Michel Djotodia et Nourredine Adam, deux dirigeants notoires de ce groupe qui n’ont pas participé aux pourparlers de paix. « Ceux qui refusent de prendre le chemin de la paix finiront tôt ou tard devant les juges », a déclaré Dhaffane, comme si la signature de l’accord lui avait valu l’immunité ainsi qu’à d’autres dirigeants de la Séléka.
Or ceci n’est pas le cas. Le droit international est clair sur la nécessité de poursuivre les auteurs de crimes graves. Énoncer ceci explicitement dans l’accord aurait adressé un message fort que les personnes qui ont du sang sur les mains seraient tenues de rendre des comptes. Tant que les autorités n’auront pas mis fin à l’impunité pour la corruption et les violations de droits humains, le peuple de la République centrafricaine, qui a déjà tant souffert, continuera d’être confronté à davantage de violence. Pour les personnes chargées de la médiation des pourparlers à Brazzaville, il s’agit encore d’une autre occasion manquée de mettre la RCA sur la voie de la justice.
Lewis Mudge