Lewis Mudge est chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch, notamment sur la République centrafricaine, le Rwanda et le Burundi. Avant de rejoindre Human Rights Watch, il était basé à Goma, en République démocratique du Congo, en tant que manager pour Radio interactive pour la justice, une organisation œuvrant à la création d’émissions de radio locales se consacrant aux procédures engagées devant le Cour pénale internationale. Il a vécu plus de 10 ans en Afrique, travaillant pour la majeure partie sur la région des Grands Lacs. Il a rédigé de nombreux rapports avec Human Rights Watch et ses tribunes sont parues dans de nombreux médias de presse, mais sa véritable passion est la recherche de terrain et de tenter de comprendre le coût associé aux violations des droits humains. Il est titulaire d’une maîtrise en politique africaine de SOAS (School of Oriental and African Studies, École des études orientales et africaines).
La nouvelle Cour pénale spéciale peut aider à mettre un terme à l’impunité
Le mois dernier, je me suis rendu à Bakala, une ville du centre de la République centrafricaine où de violents combats entre deux groupes rebelles ont causé récemment la mort d’au moins 38 personnes. Quelques habitants courageux m’ont montré un puits où sept corps avaient été jetés. Près de là, nous avons vu ce qui ressemblait à du sang dans une école où un homme ayant réussi à fuir a indiqué que 25 autres personnes avaient été exécutées.
Ali Darassa, commandant du groupe rebelle identifié par des témoins comme étant responsable de ces meurtres, l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), a rejeté ces allégations avec véhémence. « Ces accusations ont été lancées contre moi et mes hommes par le passé et pourtant regardez, je suis toujours là », a-t-il déclaré. « Je n’ai pas été arrêté. »
Depuis que le pays a sombré dans des violences politiques et communautaires en 2013, causant des milliers de morts parmi les civils, personne n’a fait l’objet de poursuites pour crimes graves. Toutes les parties au conflit ont commis des exécutions et des violences sexuelles.
Depuis la semaine dernière, toutefois, Darassa et ses pareils devraient se sentir moins tranquilles. Le 15 février en effet, le Président de la RCA a désigné Toussaint Muntazini Mukimapa, de la République démocratique du Congo, comme procureur spécial d’une nouvelle Cour pénale spéciale (CPS). Après des années d’impunité, cette cour offre une véritable chance que les commandants responsables de crimes soient traduits en justice dans le pays.
La CPS, dotée d’un personnel national et international, a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites pour les crimes les plus graves commis en RCA depuis 2003. Elle travaillera en partenariat avec la Cour pénale internationale, qui a pour mandat de poursuivre les crimes commis depuis août 2012, mais qui ne pourra se consacrer qu’à une poignée de suspects de haut niveau.
Les progrès dans la mise en place de la CPS ont été lents, mais les partenaires internationaux ont fourni des fonds initiaux, et la désignation du procureur général est un pas en avant crucial. Il s’agira ensuite de désigner rapidement les juges et d’autres membres du personnel de la Cour, et de lui assurer un soutien financier à long terme.
Cette cour aidera à briser le cycle d’impunité qui a laissé de nombreux groupes armés libres de tuer à volonté.
Une femme qui a fui de Bakala après que son mari a été exécuté a clairement expliqué le problème. « Si ceux qui ont tué mon mari sont autorisés à continuer de tuer, comment pouvons-nous rentrer chez nous ? » a-t-elle demandé. « Ils doivent arrêter de tuer. Ils doivent savoir qu’ils auront à subir des conséquences. »
La désignation du procureur général est une étape vers l’application de ces conséquences. Cela pourrait rapprocher le pays de la paix.