Bien que la pratique de la prostitution soit condamnée par les mœurs dans la société centrafricaine et considérée comme un attentat à la pudeur selon l’article 85 du code pénal, elle est devenue ces derniers temps, pour certaines jeunes filles, un véritable fléau à travers le pays. Entre misère et espérance dans l’avenir, elles vendent leur corps, aux quatre coins de la Centrafrique pour être à l’abri du besoin.
Elles ont entre 15 et 30 ans, ces jeunes filles qui quittent leur communauté pour aller jouer au « Championnat », selon leur propre terme pour qualifier leur voyage de sexe à travers le pays depuis la crise. Beaucoup sont des déplacées internes ou des retournées. Certaines semblent bien organisées avec leurs référentes dans chacune des localités parcourues de manière cyclique. D’autres n’ont pas de domicile fixe mais, leur point commun, c’est l’Argent Contre le Sexe, peu importe l’endroit et le client même si, selon plusieurs de ces filles, les clients paient toujours en fonction de leurs humeurs.
Marceline, âgée de 34 ans travaille depuis 2015 dans une ONG humanitaire à Bouar, préfecture de la Nana-Mambéré, située à 450 km de Bangui. Elle affirme avoir accueilli en l’espace d’une année, plus de 13 filles venant de son quartier à Bangui. « Ce sont presque toutes ces jolies filles que je croisais à Bangui qui se prostituent à présent dans la région ici. Au début, elles te disent qu’elles sont venues acheter des marchandises pour aller revendre à Bangui. Tu leur offre l’hospitalité mais, tu ne verras jamais ces marchandises. Tu verras toujours ces filles roder autour des cabarets, des gare-routières et des endroits où sont basés les travailleurs humanitaires. J’ai fini par comprendre qu’elles sont là pour vendre leur corps contre de l’argent».
C’est le même constat fait par Apollinaire, un transporteur habitué de l’axe Bangui-Kaga-Bandoro. « Généralement parmi nos passagers, tu trouveras une catégories de jeunes filles et femmes qui ont le langage facile. Elles veulent toujours payer leur transport qu’à destination, le temps pour elles d’amasser un peu d’argent auprès des hommes qui tomberont sous leur charme et qui auront de l’admiration pour elles. Elles sont capables de coucher avec deux ou trois mecs durant le trajet juste pour combler leur besoin alimentaire et financier».
Une des prostituées, que nous avons rencontrées dans notre enquête participative n’a pas nié ces faits. « Ce n’est pas un tabou. Nous nous prostituons ! Je me prostitue pour survivre. Je suis issue d’une famille pauvre et la récente crise vient empirer ma situation et celle de mes parents qui n’ont pas de travail. Aujourd’hui personne ne peut te rendre un service sans pour autant demander à coucher avec toi. Et donc, c’est de cette manière-là que je peux résoudre mes problèmes. Mon retour dans ma communauté après un temps de «championnat », a été toujours apprécié car, j’apporterais des trucs à la maison, des articles des jeunes filles et c’est de cette façon que j’ai gagné le respect des gens et de ma famille», explique Nadia, âgée de 26 ans qui se prostitue dans la préfecture de la Lobaye.
«Les comportements à risques pour la jeunesse»
Et, même si cette plate-forme de prostitution créée avec la crise parait comme une possibilité de survie ou de réussite pour de nombreuses jeunes filles, elle n’est pas sans conséquences. À Béléko, localité située à 2 km de la frontière Centrafricano-Camérounaise, sur l’axe Bangui-Garoua-Boulai, Bertrand, était témoin d’une violence faite à une prostituée. « Ce sont des filles qui ne connaissent pas leur droit et qui ne sont pas également instruites. Elles sont, pendant le jour, exploitées dans le circuit de renseignement par les groupes armés, par les forces de l’ordre et mêmes les forces internationales présentes en Centrafrique. Elles sont aussi à la merci des maladies sexuellement transmissibles(SMT) », avant de conclure que Béléko est une localité spirale où la drogue, les viols et la prostitution sont devenues les normes et que les anciennes prostituées continuent de faire appel aux plus jeunes filles pour alimenter le marché.
Le Commissaire de la police nationale de Béléko, Narcisse Yakendet, reconnaît l’affluence des filles centrafricaines venues de tous les horizons. Il explique avoir été plus souvent alerté pour des actes de violences qui tournent parfois au drame suite à un marché de prostitution qui aurait mal tourné. Cependant, il pointe du doigt le suivisme et certains hommes qui favorisent la prolifération.
Interrogée sur le sujet, Lucie Agbo, Coordonnatrice de l’ONG Fille-Mère/Femmes de Centrafrique, ne cache pas son désarroi face à ce phénomène qui risquerait, selon elle, d’hypothéquer l’avenir de toute une nation. «C’est avec beaucoup d’amertume que je constate ces derniers temps la montée de la prostitution dans le pays. Ailleurs, c’est dès le bas âge que l’avenir se prépare. Or, chez nous, vous vous rendez compte qu’une fille de 10 ans est déjà préparée à épouser un homme ou s’asexuée avec un homme. Malheureusement, une fille ou femme qui ne connaît pas la valeur de son propre corps, ne peut pas connaître la valeur de l’enfant qu’elle a mis au monde. Et c’est la société qui dépérit de cette façon car, cette femme-là ne pourra pas gérer des problèmes au quotidien et contribuer à l’émergence de son pays», regrette-elle.
Francis Mongombé, Président du Conseil National de la Jeunesse Centrafricaine(CNJCA), se dit très préoccupé par ce phénomène. Il souligne plusieurs facteurs favorisant la prostitution dans le pays depuis la crise, entre autres, la dégradation du système éducatif, le manque de repère culturel pour la jeunesse, l’effondrement du tissu économique, le manque de moyens pour les parents de garder le contrôle de leurs enfants. «Bien qu’il y a un certain niveau de responsabilité individuelle face à ce phénomène qui gangrène présentement la valeur de la jeunesse centrafricaine, j’accuse le contexte aussi. Dans certaines localités l’école ne fonctionne pas et même s’il y a l’école le cadre ne favorise pas l’épanouissement intellectuel des jeunes car, l’école ce n’est pas seulement les cours et les diplômes. Il faut créer des cadres conviviaux pour les élèves, pour les jeunes afin de minimiser les comportements à risque pour la jeunesse », exprime ce dernier avant d’appeler le gouvernement et les collectivités des jeunes à prêter une attention particulière sur ce phénomène avec un mécanisme d’urgence telle que la sensibilisation.
Notons que la prostitution reste un phénomène mondial et qu’il est difficile pour le moment, de dresser une statistique des nombres des filles ou femmes actives dans cet acte. Mais, son ascension dans la société centrafricaine crée un malaise et installe la peur chez bon nombre de gens ces derniers temps. Cette situation pourra mettre aussi en péril la collaboration entre certains individus et des personnes venues en Centrafrique dans le cadre humanitaire. /Rosmon
Cet article a reçu le soutien de l’Association des Blogueurs Centrafricains(ABCA) et de ses partenaires USAID, Internews et RJDH. Ceux-ci ne sont pas responsables éditorial de cet article.