Malgré un retour au calme apparent, Bertrand le chrétien et Ibrahim le musulman vivent encore comme des déplacés à Bangui alors que le président Faustin-Archange Touadéra veut placer jeudi "l'an un" de son mandat sous le signe de la réconciliation communautaire en Centrafrique.
D'emblée, un signe frappe le visiteur qui revient à Bangui: il ne reste plus rien du camp des déplacés de Mpoko qui s'étalait depuis décembre 2013 le long des pistes de l'aéroport.
Fin 2016, le gouvernement a mené une opération "Noël à la maison" pour que les milliers de déplacés quittent les lieux.
"J'ai reçu 50.000 FCFA (75 euros) pour quitter Mpoko début janvier", témoigne Betrand Bekai, père de famille chrétien de 41 ans, qui s'était réfugié à l'aéroport en décembre 2013 quand sa maison du quartier Sara avait été brûlée, au plus fort des massacres entre groupes armés Séléka pro-musulmans et anti-Balaka majoritairement chrétiens.
Le menuisier n'est pas encore rentré chez lui. L'allocation de 50.000 FCFA est passée dans une location à quelques centaines de mètres de son ancienne adresse, à la lisière du quartier musulman du PK5. Il y a aussi installé son atelier, appelé "Joli meuble".
"On ne se sent pas tellement bien parce qu'il y a encore de l'insécurité. Il y a encore des armes dans les mains des assaillants. La nuit, nous entendons ces armes-là et ça fait peur", explique Bertrand qui déplore la somme trop modeste allouée par le gouvernement pour quitter Mpoko.
Dans le PK5, véritable moteur économique et commercial de la ville et du pays, des groupes d'autodéfense armés, prétendant défendre les musulmans, vivent au milieu des quincailliers, des mécaniciens et des vendeurs de téléphonie mobile, alors que les forces de sécurité sont toujours absentes.
Le 7 février, la mort du chef d'un groupe d'auto-défense, qui se faisait appeler "Big Man", a entraîné la mort en représailles d'un pasteur du PK5, Jean-Paul Sangaki.
"Il faut que le président fasse tout pour que le désarmement soit fait afin que nous vivions dans notre pays en toute quiétude", insiste Bertrand.
A l'intérieur du PK5, un contingent camerounais de la mission des Nations unies (Minusca) veille au coin d'une rue, lourdement armé. Devant la grande mosquée centrale, des déplacés musulmans tuent le temps sur un tapis de prière, sous les acacias, scène immuable depuis des années.
"Le président n'a pas pensé à nous, les déplacés", affirme Ibrahim Daoud, étudiant de 21 ans, originaire du quartier Miskine à quelques km: "On est là depuis fin 2013. Les gens ne nous aiment pas là bas au quartier. On ne peut pas y revenir", explique le jeune homme, chassé de son quartier en décembre 2013 par des anti-Balaka.
- 'Encore pessimistes'-
"Le président n'a pas pensé à nos parents qui sont à l'étranger, au Tchad ou au Cameroun. Nous espérons qu'il fera un effort pour que nos parents puissent revenir", ajoute l'étudiant en sociologie. Au total la Centrafrique compte 900.000 personnes déplacées ou réfugiées dans les pays voisins, pour une population de près de cinq millions d'habitants.
"Un an après l'élection du président Touadéra, la situation n'a pas tellement changée au PK5 et en Centrafrique en général. Nous, membres de la communauté musulmane, nous vivons dans cette enclave. On ne peut pas circuler librement. La paix n'est pas revenue. Nous sommes encore pessimistes sur la situation", affirme Ali Ousmane, coordonnateur des organisations musulmanes de Centrafrique (Comuc).
Ali Ousmane juge "regrettable" la mort du pasteur le 7 février, mais voit un signe d'espoir dans le respect d'un "pacte de non-agression" passé, dit-il, début 2016 entre le PK5 musulman et le quartier Boeing, ex-fief des anti-Balaka derrière l'aéroport. "Un taxi-moto musulman a été tué vers Boeing. Il n'y a pas eu de représailles. C'est un progrès".
Le président Touadéra a pris ses fonctions le 30 mars 2016.
Son élection début 2016 s'était déroulée dans le calme, après trois ans d'affrontements entre Séléka et anti-Balaka, après le renversement par la Séléka du président François Bozizé. Mais Touadéra peine encore a affirmer l'autorité de l'Etat au-delà de Bangui, dans l'intérieur du pays, où des groupes armés sont encore actifs.