Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Centrafrique    Publicité
aBangui.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Bambari, ville martyre par Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie
Publié le vendredi 28 avril 2017  |  La Croix
Francophonie
© AFP par BERTRAND GUAY
Francophonie : Michaëlle Jean, la première femme élue secrétaire générale de l’OIF
Comment




Fin 2012, la République centrafricaine a sombré dans une guerre civile d’une rare violence. Rapidement, le conflit se mue en opposition entre confessions. Les interventions à partir de décembre 2013 de la force de l’Union africaine (Misca), relayée à partir de septembre 2014 par la mission des Nations Unies (Minusca), et de la force française Sangaris ont permis de stabiliser la situation sécuritaire. Après trois années de crise et un processus électoral organisé dans de bonnes conditions, la Centrafrique peut aujourd’hui écrire une nouvelle page de son histoire. Mais les défis sont immenses. Et la solidarité internationale dramatiquement nécessaire pour sécuriser et stabiliser toute une région.

À Bangui, la capitale centrafricaine, la vie a retrouvé son rythme et les quartiers, leur souffle. Les camps, où s’étaient agglutinées des milliers de personnes déplacées, jusqu'aux abords de la piste de l'aéroport, ont disparu. Les échoppes des petits commerces sont revenues, multicolores, achalandées et animées.

Il fait chaud, c'est le début de la saison des pluies, brusques et torrentielles. Les manguiers sont chargés de fruits mûrs. La terre est rouge, et la ville, propre, dans son écrin de verdure.

Partout où je vais, j'ausculte d'abord les regards et ce que les corps racontent sans mot dire. Ici, le récit est grave. Se remettre de la peur, de la haine qui s'est si sournoisement infiltrée, embrasant les esprits et fracturant les liens dans une violence des plus assassines, à coups d'armes à feu et d'armes blanches. Le silence des femmes agressées sexuellement est le plus accablant de tous, tant elles sont seules et dévastées.

Vérité et réconciliation

Si l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a suspendu la Centrafrique de ses instances à la suite du coup de force survenu en mars 2013, cette suspension n'a pas sonné, pour autant, la fin de notre soutien multiforme à ce pays dans sa volonté de retour à l'ordre constitutionnel et à la paix. Nous avons contribué aux efforts d'apaisement de la classe politique pour qu'aboutisse le processus électoral, un défi de taille, que les autorités de la transition et le peuple centrafricain, notamment la jeunesse, ont relevé avec courage et un sens aigu des responsabilités. Nous avons aidé au renforcement des capacités ou à la mise en place de plusieurs institutions comme l’Autorité nationale des élections, la Cour constitutionnelle, le Haut conseil de la communication, la Commission de médiation pour la réconciliation ou encore la Cour pénale spéciale en vue de la lutte contre l'impunité. Reconnaître les blessures des victimes, faire toute la lumière sur ce qui s'est passé, identifier les responsabilités et rendre justice, l'enjeu est crucial. Il n'y a pas de réconciliation possible sans vérité.

Le retour de l’État n’est qu’un premier pas

L'exploit du retour à l'État de droit mérite d'être salué. Et l'OIF l'a salué, comme il se doit, en prononçant en avril 2016 la réintégration de la RCA. Il est indispensable, désormais, de tout mettre en œuvre pour que la paix si chèrement retrouvée soit consolidée.

La menace plane. Des milices prédatrices continuent de diviser et de terroriser 60% du territoire national, faisant des morts, des centaines de milliers de réfugiés et de déplacés. Les gisements d'or et de diamants de la Centrafrique, voilà ce que convoitent et veulent contrôler les groupes armés qui comptent aussi dans leurs rangs des hommes de main et des « mercenaires » venus d’autres pays. Pour permettre le redéploiement légitime et en toute souveraineté de l'Administration centrafricaine sur l'ensemble du territoire, il faut qu'avance le plan de désarmement, de démobilisation, de réinsertion et de rapatriement dont le mécanisme reste à trouver.

La protection de l’armée, un des défis du président

C'est là, l'un des nombreux défis auxquels doit faire face le président Faustin Archange Touadera. Il s'appuie sur la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique, mais la Minusca ne peut être partout, elle ne peut tout assumer, et encore faudrait-il qu'elle dispose d'un mandat plus robuste de protection, de défense et de dissuasion. Le président centrafricain mise aussi sur la restructuration des Forces armées centrafricaines, en faire une armée de métier et de reconstruction, un programme soutenu par l'Union européenne.

L’espoir à Bambari

J'ai voulu voir les camps de déplacés et effectuer un état des lieux, entendre ce que souhaitent les populations dans la ville martyre. C'est ainsi que l'on parle de Bambari, la ville martyre, prise dans un étau, car de chaque côté du pont jeté sur la rivière Ouaka qui la traverse, sévissaient les hommes armés, les uns de la faction des Seleka, les autres de celle des anti-Balaka. Les traces de leur fureur aveugle sont encore visibles. Les écoles n'ont plus ni fenêtres, ni portes. Les infrastructures et l'usine de coton ont été détruites. La guerre a fait ses ravages et ce qui était une ville paisible et florissante essaie de renaître des décombres.

J'ai vu combien les populations de Bambari sont habitées par l'espérance, elles veulent croire que tout est possible et faire en sorte que tout soit possible.

J'ai vu dans les camps, malgré le plus grand dénuement, combien la dignité demeure intacte. La vie est organisée, tout juste avec les moyens du bord, mais surtout grâce à cette solidarité perceptible entre les milliers de familles, sous la vigilance et la perspicacité des femmes qui peuvent aussi compter sur des hommes volontaires.

J'ai vu dans l'un des deux camps que plus de deux mille enfants sont scolarisés, certes avec une centaine d'élèves par classe, mais les cours sont assurés. Dans l'autre camp, c'est la première revendication: maintenir à tout prix l'instruction des enfants, même dans cette installation temporaire.

Consolider la paix pour un retour chez soi

L'urgence est surtout de tout faire pour que ces populations rentrent chez elles. C'est d'ailleurs ce qu'elles souhaitent. Les uns, pour reprendre leurs activités d'élevage. Les autres, pour retrouver leurs champs, à temps pour les semences dès après la saison des pluies.

La Francophonie est à pied d’œuvre pour mobiliser la coopération nécessaire avec la République centrafricaine, en appui au Plan national de relèvement et de consolidation de la paix que nous avons soutenu à la Conférence de Bruxelles pour la RCA devant les bailleurs et les investisseurs.

Je maintiendrai partout le plaidoyer avec, en mémoire, l'image vivace, la parole de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants qui, après avoir subi les affres de la destruction, de la cruauté et de l'inhumanité ont un tel besoin de savoir qu'on ne les oublie pas.

Je reviens de Bambari bouleversée par la sincérité des sourires et la chaleur des salutations, la force d'une humanité qui résiste.

Réussir à Bambari, et par-delà, en RCA, c'est montrer ce qu'il est possible d'accomplir en solidarité avec un peuple de volonté, qui a besoin de se sentir aimé.
Commentaires


Comment