Si les pays de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, Guinée Equatoriale et République centrafricaine) veulent atteindre « leurs objectifs d'émergence, il leur faudra mener une réflexion rigoureuse pour effectuer un recours des plus prudents sur le marché international des capitaux », peut-on constater d'une analyse publiée par les équipes de recherche de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale.
Le besoin de financement de 29 milliards $ sur les trois prochaines années.
Ces ambitions ont selon le document généré un besoin structurel de financement, dont le montant global pour la période 2016 à 2020 est estimé à 17312, 4 milliards de FCFA (29 milliards $). Cette somme est jugée hors de portée des capacités d'intervention de la banque centrale de la CEMAC.
Durant les cinq dernières années, l'institution qui était dirigée par l'équato-guinéen Lucas Abaga Nchama, a mené une politique monétaire très accommodante. Entre 2008 et 2016, le principal taux auquel la BEAC refinançait les banques, est passé de 5,5% à seulement 2,4%. La conséquence en a été une explosion des crédits accordés à l'économie sous régionale.
Leur volume cumulé est passé de 2872 milliards de FCFA à près de 7540 milliards de FCFA sur la période. La Banque centrale a aussi augmenté le financement de la Banque de Développement de la Communauté (BDEAC), en y accroissant sa participation au capital, et en injectant près de 240 milliards de FCFA.
Des besoins financiers hors de portée de la seule politique monétaire de la BEAC
Mais cela ne semble visiblement pas suffire car les pays ont encore et toujours besoin de financement. Or dans le contexte actuel, la BEAC doit faire face à un double défi. Le premier est celui de l'érosion de la stabilité monétaire, en raison d'un recul drastique des réserves de change. Le deuxième, qui est relié au premier, est celui du risque de l’envolée de l'inflation au-delà de la norme communautaire qui est de (3%).
Aussi, il semble désormais difficile pour les pays de la CEMAC de recourir au marché local des capitaux, malgré les encouragements de leur banque centrale. Le système bancaire sous régional fait face à une concentration des risques auprès des entités publiques et parapubliques. Face à cette situation, la Banque Centrale a mis en place des mécanismes de refinancement des titres publics détenus par les banques.
Elle a par la suite, relevé le niveau des ratios de fonds propres, pour éviter une dégradation supplémentaire des fondamentaux de plusieurs banques, notamment au Tchad et au Congo Brazzaville. La hausse de la courbe des taux de rendement depuis le début 2017 pour les titres des divers pays, montre bien les défis qu'il y aura à solliciter les banques locales sur de gros financements.
Le marché international des capitaux comme solution à court terme
Pour les Etats de cette sous-région, une option sérieuse et immédiate semble donc la mobilisation des ressources sur le plan international. Une voie classique serait de recourir au Fonds Monétaire International, et l'amener à ouvrir l'accès aux Ressources Généralisées. Cette option a fait partie du plaidoyer du Ministre camerounais des finances Alamine Ousmane Mey, lors des récentes rencontres d'automne de l'institution au mois d'avril à Washington.
Mais ce mécanisme d'assistance du FMI s’accompagne de conditionnalités financières (taux moyen de 4%) et surtout structurelles, que les économies et les opinions africaines ont du mal à encaisser, et que les autorités gouvernementales ont du mal à gérer. Dans un tel contexte, le recours au marché international des capitaux semble être la solution d'urgence la plus adaptée.
Un regard sur l'évolution des taux de rendement sur le panier des obligations souveraines africaines suivies par la Banque Africaine de Développement, montre clairement un repli. C’est le signe de l'appétit des investisseurs, pour ces produits financiers. A titre d'exemple, les rendements sur l'emprunt souverain du Cameroun contracté à 9,5% et remboursable in fine en 2025, ont baissé au niveau record de 7% au 28 avril 2017.
L'alternative risquée des Partenariats Publics-Privés
Le FMI et la Banque Mondiale attirent l'attention des pays pauvres, sur la face cachée de ce type de financements, qui exposent à des risques de volatilité notamment des taux de change sur le marché monétaire, avec pour conséquence prévisible l'augmentation du poids de la dette. Le Congo et le Tchad qui sont dans les limites de leurs capacités d'emprunt, illustrent cette vision des choses.
L'autre option serait de suivre les conseils de ces institutions de Bretton Woods, qui consistent à geler les investissements sur des infrastructures non essentielles, et travailler davantage à renforcer la productivité du stock actuel des infrastructures. Pour les cas de besoins extrêmes, les partenariats public-privés sont aussi présentés, car non générateur d'endettement. Mais au regard de la faiblesse des systèmes de production de bien et des services des économies de la CEMAC, recourir aux PPP s'avérerait plus insidieux que l'endettement direct. En fonction des taux de rendement souhaités par les investisseurs partenaires, ils occasioneront une ponction sur le revenu net disponible, un facteur de croissance économique non-inclusive.
Pour le nouveau gouverneur Abbas Mahamat Tolli, les choses sont claires. L’heure de la politique monétaire accommodante est désormais passée. Son tout premier comité de politique monétaire a augmenté les taux d’appel d’offre de la BEAC à 2,95%, une première depuis deux ans. Monsieur Tolli recommande aussi aux Etats, de revoir leurs politiques structurelles et budgétaires et d’y introduire plus d’efficacité.
Idriss Linge