Le photojournaliste français William Daniels a rassemblé dans un livre intitulé "RCA" une cinquantaine de photos réalisées au cours de ses nombreux reportages en République centrafricaine entre 2013 et 2016. Entretien.
C'est "l'histoire d'un pays en sursis". Le photojournaliste français William Daniels s'est rendu à dix reprises en Centrafrique entre 2013 et 2016. Il publie aux éditions Clémentine de la Feronnière, avec le soutien d’Amnesty International et de Médecins sans frontières, une partie de ce travail au long-cours qui lui a valu plusieurs prix internationaux, dont le Visa d'or humanitaire du festival Visa pour l'image et le Prix Tim Hetherington du World Press Photo et Human Rights Watch.
Il a choisi cinquante-six images pour illustrer ces trois années marquées par le conflit entre les miliciens anti-balaka et les rebelles de l’ex-coalition séléka, un conflit qui a fait des milliers de victimes civils et plus d’un million de déplacés et de réfugiés. La Centrafrique n’a jamais connu de période de stabilité depuis son indépendance en 1960, secouée à plusieurs reprises par des coups d’État et gangrenée par des rebellions. C’est un pays "que personne n'a jamais été capable de placer sur une carte et qui a toujours vécu au bord du gouffre", résume William Daniels.
Pourquoi avoir choisi de consigner votre travail en Centrafrique dans un livre ?
"Au cours de mes dix séjours en Centrafrique, j’ai emmagasiné beaucoup de photos, plus de 50 000. Je voulais prendre du recul sur ce travail et construire un ensemble d’images assez restreint afin de transmettre une vision de la Centrafrique issue de mes expériences. L’idée n’était pas de faire un portfolio de presse en décrivant précisément tel fait à tel moment. C’est une autre approche. C’est un regard de photographe sur un pays en crise plus que la chronique photographique d’une crise."
Très peu de photos montrent des scènes de violences. Comment avez-vous procédé dans votre sélection ?
"La sélection a été un long processus. Cela prend des mois. On s’interroge sur ce que l’on veut transmettre, sur la cohérence des images. En Centrafrique, j’ai d’abord travaillé pour la presse, au début de la crise, essentiellement pour Times Magazine. Les images publiées à ce moment-là étaient très violentes, très dures. Quand j’ai réfléchi à ce livre, la question était : ‘est-ce qu’il y a un intérêt à publier à nouveau ces images ou peut-on raconter la détresse de ce pays avec des images plus subtiles ?’. J’ai choisi la deuxième option. L’idée était de raconter cette violence sans image violente. Je pense que ces photos touchent plus les gens, ils ne détournent pas le regard, mais s’accrochent aux regards, aux gestes, aux lumières. Dans ce livre, il n’y a que deux photos avec du sang."
Votre dernier reportage en Centrafrique remonte à l’année dernière. Comment avez-vous trouvé le pays par rapport à ce que vous en aviez découvert en 2013 ?
"J’ai constaté qu’il était plus dur d’y travailler, alors que paradoxalement la situation sécuritaire dans le pays s’est améliorée. Fin 2013, nous étions plutôt bien accueillis par la communauté chrétienne. Les gens étaient heureux de rencontrer les rares journalistes qui étaient sur place et qui documentaient les exactions commises par les ex-rebelles de la séléka. Depuis, la situation a beaucoup changé. Les deux bords ont commis des violences et il est devenu plus difficile de travailler avec les deux camps. Je pense aussi que beaucoup de Centrafricains ont l’image du photographe qui vient s’enrichir sur le dos du peuple qui a énormément souffert. Ils se sentent manipulés et voit en l’étranger qui vient réaliser quelque chose chez eux, un voleur. On est passé du statut de témoin à celui de voleur d’images. Cela tient aussi du fait qu’il ne voit presque jamais le résultat. Quand je leur parle de la presse américaine pour laquelle je travaille, ils me répondent que les Américains sont intéressés par leurs ressources. La souffrance est telle dans ce pays qu’il faut trouver un responsable, le photographe qui arrive peut facilement être celui-ci."
Vous avez travaillé dans de nombreux autres pays, pourquoi vous êtes-vous attaché à la Centrafrique ? Allez-vous un jour y retourner ?
"Beaucoup de choses rendent ce pays très attachant. Les Centrafricains eux-mêmes d'abord, qui ont une capacité de résilience inouïe, malgré les épreuves. Et naturellement, à force d’y retourner souvent, des liens se créent, avec les personnes, avec les lieux. Cela restera à vie, ça fait partie des reportages qui marquent. Un jour, j’en suis persuadé, j’y retournerai, mais pas tout de suite. Ce pays est épuisant, il demande beaucoup d’énergie. Il faut souligner que la situation sur place est toujours alarmante même si la RCA est sorti des radars de la Communauté internationale et des médias internationaux. La sécurité et la situation humanitaire sont désastreuses. Il y a eu un immense espoir lors de la Conférence des donateurs en novembre 2016, mais les résultats se font toujours attendre sur place. Les moyens n’arrivent pas. Pendant ce temps, tous les ingrédients à l’origine de cette crise sont encore là, ça ne peut augurer que d’un futur tragique."