BANGUI—Centrafrique, un pays pauvre, post-conflit, mais un pays où l’on meurt trop. Et si les causes de la mortalité résident parfois dans la pauvreté, la mort est aussi l’objet de business, une affaire qui ne dit pas son nom et qui alourdit les dépenses des familles endeuillées, fragiles. De l’hôpital au cimetière en passant par les accessoires des funérailles dignes de ce nom, il faut plus d’argent pour inhumer un corps. Suivons le reportage du RJDH.
Il est 7 h du matin, le soleil se lève, les uns et les autres vaquent à leurs occupations, des familles endeuillées elles doivent débourser de l’argent qui échappe au contrôle de l’Etat, soit pour mettre à la chambre froide les parents décédés, soit pour sortir les corps.
Ce jour, les membres de quatre familles différentes sont venus récupérer les corps de leurs parents décédés. Nous nous approchons d’un monsieur éprouvé, un peu à l’écart à quelques pas du portail de la morgue.
Emu, il nous parle des dépenses faites avant et pendant les obsèques de sa mère jusqu’à la sortie du corps de la morgue, « c’est vraiment difficile quand on perd un parent. Rien que formaliser le corps, il faut intéresser les morgués et cela varie de 17.500Fcfa à 20.000Fcfa voire plus. Pour nous, notre mère a fait 11 jours ici, faute de moyen pour sortir le corps à temps, faites-vous le calcul de ce qu’on peut dépenser », a-t-il expliqué.
A quelque mètres de là se trouve le bureau du morgué, Léon Poutouguébala, un quinquagénaire élancé de taille dans sa blouse nous fait visiter son service composé d’une salle d’accueil et ses composantes dont une chambre froide d’une capacité d’accueil de 100 corps. « D’abord quand le corps arrive, on l’enregistre ensuite, on le lave et on le formalise. Ici le formol est à 7.500fcfa et le droit d’injection est à 5000fcfa. Parfois, les gens démunis payent 10.000fcfa pour formaliser le corps. Les cas sociaux sont gratuits », a-t-il présenté avant d’ajouter qu’il n’y a pas un prix standard de conservation de corps.
Un constat similaire
Le constat est presque identique au centre hospitalier universitaire de Bangui connu de l’hôpital général où Sébastien Mboro, un ancien secouriste de la croix rouge de Bossangoa au nord a une expertise de 11 ans dans ce service. « Nous avons la chambre froide de 108 places et nous recevons pour la plus part des personnalités. Nous faisons tout le travail de lavage à la mise en bière en passant par la formalisation des corps. Nous sommes payés en fonction de la discrétion des parents et nous n’exigeons pas des taux unitaires aux usagers » raconte-t-il.
La situation par contre est d’autant exigeante à l’hôpital communautaire de Bangui où les conditions sont drastiques et rigoureuses. La conservation de corps peut revenir à 25.000Fcfa à une famille éprouvée. Mais les responsables de l’hôpital n’ont pas répondu à notre sollicitation après plusieurs relances.
Des frais supplémentaires
En dehors des frais qu’il faut dépenser pour la morgue, s’ajoute aussi le prix des cercueils et des gerbes de fleurs qui n’est pas souvent à la portée de toutes les bourses. Dans un service de vente des cercueils et accessoires funéraires au quartier Benz-vi dans le 5e arrondissement non loin de l’hôpital communautaire, se trouve Innocent Lougoulah, assis derrière les cercueils qualités variées, nous présente ses articles « je vends les cercueils depuis 21 ans. Selon les qualités et la forme voulue par la demande. Le prix varie de 35.000fcfa à 300.000 fcfa et les gerbes de fleurs sont vendus à 2.500fcfa, 5.000fcfa, 7.500fcfa, 15.000fcfa et 25.000fcfa », a-t-il présenté.
Selon le constat du RJDH, les morgues des grands hôpitaux de la capitale Bangui créent de spécialité. Devant l’hôpital de l’Amitié, les menuisiers se spécialisent dans la vente des cercueils et location des chapelles ardentes et chaises en plastiques qui rapportent beaucoup. C’est le même cas derrière l’hôpital Communautaire qui compte plusieurs officines de vente y compris l’hôpital Elisabeth Domitien de Bimbo qui en compte beaucoup.
Les dépenses ne sont loin de finir, nous sommes au cimetière de Nzilla dans l’Ombella M’poko où il est 11h. En ce moment se trouve un professionnel tombal qui apprête une tombe pour ses clients « je me nomme Teddy-Eric, cela fait deux ans que je creuse les tombes au cimetière de Nzilla puisque j’ai mon champ ici. Quand les gens viennent, ils nous donnent 10.000fcfa ou 8.000fcfa pour une fosse », a-t-il précisé.
A côté de ces dépenses au cimentière, les parents doivent acheter une place. Sur cet espace de 2 hectares, se trouvent des tombes, des champs et des hautes herbes. Cet espace est une propriété privée, nous rencontrons Olivier Ndarata, l’un des propriétaires, il nous donne plus d’information, « là, c’est notre ferme familiale. Nous avons vendu quelque portions et nous avons décidé depuis 2016 de vendre le reste pour en faire un cimentière parce que le terrain est très vaste. Une parcelle de 90cm de largeur et 2,10m de longueur est à 5000fcfa et ce que nous percevons nous permet de faire face aux besoins de la famille ».
Les parents qui veulent une tombe de luxe doivent avoir des caveaux selon leurs moyens. « Il faut cimenter l’intérieur, faire la dalle, acheter les carreaux y compris les mains d’œuvre, là il faut au minimum 200.000 FCFA », a souligné Gervais, un maçons spécialisé rencontré au cimentière de Ndress dans le 7e arrondissement de Bangui.
Outre ces dépenses, les parents des disparus doivent parfois en fonction de la taille de famille payer des pick-up 4×4 que les propriétaires fixent le prix en fonction de la distance pour l’inhumation du corps à défaut de corbillard de la Mairie. Ces fonds payés échappent à la municipalité et représentent des frais importants au point qu’inhumer dignement un parent disparus aujourd’hui est un luxe. Ces prix de 15.000 à 25.000 FCFA par véhicule.
Un secteur qui échappe au contrôle de l’Etat
Du travail des morgués à l’inhumation, tout semble échapper au contrôle de l’Etat surtout la mairie qui devrait s’occuper de ce volet. Les morgués ne sont pas payés mais vivent de leur business y compris ceux qui exercent aux cimentières.
La Mairie de Bangui, les Hôpitaux et le Tribunal, sont les secteurs qui devraient être pleinement impliqués dans la gestion des morts. Ces structures n’ont pas encore réagit après plusieurs relances du RJDH.
Pour sauver l’honneur de la famille, les ménages se saignent pour faire face à ces dépenses, mais la réalité est tout à fait différente. Le pouvoir d’achat est faible, le salaire des fonctionnaires et agents de l’Etat non revalorisé et plusieurs activités inhérentes aux personnes décédées échappent au contrôle des communes qui ne perçoivent que les frais des actes de décès devenus facultatif pour plusieurs familles.
Le business de la mort implique plusieurs facteurs qui nécessitent des réformes profondes car chaque famille éprouvée doit dépenser au-delà de ses revenus pour inhumer.
Un reportage de Noura-Oualot et Bienvenu Matongo.