À bord du Boeing 747 d’Air France qui venait de décoller de l’aéroport Roissy Charles De Gaulle de Paris, les trois amis étaient côte à côte assis dans l’avion. Tous, ils brûlaient visiblement, du désir ardent d’atterrir rapidement à Karambi la coquette, capitale de RDK, la République Démon-crassique de Karazo. Mais si ces « fils prodigues » sur le chemin du retour à la maison, semblait éprouver une si vive attirance pour la terre mère, ce sentiment, il faut le dire, n’ôtait pas en totalité, l’angoisse de l’inconnu. Au final, près de six heures sans fermer les yeux, à échanger autant qu’à débattre entre amis, quelquefois calmement mais souvent bruyamment. Au cœur des discussions, l’avenir de Karazo, un pays en guerre à cause de tout et pour rien, un pays où chaque dirigeant qui arrive, se révèle toujours pire que son prédécesseur, en même temps qu’il s’évertue à laisser à son éventuel successeur, une situation encore plus déplorable que celle dont il a héritée.
Qu’à cela ne tienne, Baba-Kitè le doyen, Agbâ-Mozâ l’entreprenant, et l’incorrigible Étêgui-Têngô, trois amis qui chacun, aura passé environ quinzaine d’années d’exil plus ou moins volontaire en Europe, avaient réussi finalement à prendre ensemble la décision de revenir définitivement à Karazo. Après plusieurs semaines de discussion, de réflexion mais aussi d’hésitation, ils arrivaient ainsi, pour apporter efficacement et dans la mesure du possible, leur contribution à l’oeuvre de relèvement national. Au fond, ils s’étaient montrés sensibles aux différents engagements et promesses de rupture et de changement, ainsi qu’à l’appel sans cesse renouvelé du nouveau pouvoir à l’adresse de la diaspora karazoyenne de France et d’ailleurs.
C’était il y’a presque deux ans.
Du haut de sa cinquantaine à peine dépassée, Baba-Kitè le doyen, ancien haut fonctionnaire de son état, en exil depuis une quinzaine d’années, avait réussi à se refaire une belle carrière professionnelle en France. Au-delà de l’appel du pays, son projet a toujours été de réussir à transmettre – avant qu’il ne soit tard -, par le biais de la formation mais aussi de manière pratique, son savoir, savoir-faire et savoir-être administratif, à une génération sacrifiée de « fainéants mal formés », appelée à assurer la succession au moment où certains, comme lui-même, ne pensent sérieusement qu’à prendre une retraite difficile mais non moins méritée.
Pour Agbâ-Mozâ, jeune pharmacien, entrepreneur dynamique et homme d’affaires prospère, revenir en RDK son pays d’origine et de naissance, dans le seul but de servir le peuple karazoyen et de mettre son expertise personnelle et les expériences accumulées dans plusieurs domaines, au profit du développement de la République Karazoyenne, avait toujours été le grand rêve qu’il caresse depuis de longues années. Après son doctorat obtenu à la Faculté de Médecine de Pharmacie et d’Odonto-Stomatologie du Mali (FMPOS), et une première expérience ratée au pays, Agbâ-Mozâ avait choisi de poursuivre en Europe une double spécialité en officine et industrie, ainsi que dans le domaine de la recherche biomédicale. Depuis près de 15 ans, il a travaillé pour le compte de divers organismes internationaux et a exercé aussi bien en métropole que dans les DOM-TOM avant de s’installer à son propre compte à Strasbourg en France.
Quant à Étêgui-Têngô l’incorrigible, à vrai dire, personne n’a jamais su exactement quelle formation il avait suivie, moins encore, le métier qu’il exerçait. Arrivé en France pour une licence en droit que personne ne sait s’il ne l’a jamais obtenue, il a prétendu un moment avoir passé un diplôme d’ingénieur en informatique. Depuis dix ans, tous ceux qui le croisent savent qu’il prépare une thèse en sciences politiques qui ne finit jamais. Bref, Étêgui-Têngô, est tout et rien mais vit bien. C’est le « parent », l’ami, le coursier et l’homme à tout faire de la plupart des dignitaires de tous les régimes qui se sont succédés à Karazo depuis de nombreuses années.
Du reste, si Baba-Kitè le doyen et Agbâ-Mozâ l’entreprenant étaient loin d’être des individus naïfs, ils ignoraient cependant tout ou presque, du destin qui les attendait ou du sort qui allait leur être réservé à leur arrivée à Karazo. Tel n’était pas le cas de l’incorrigible Étêgui-Têngô devenu aussitôt alias Agawa-Ikpè, que ses deux amis allaient découvrir sur le tard, qu’il était un parent éloigné mais tout de même un parent, de Kêtènguéré-Lonaélo-Langögba, le nouveau Président « démon-crassiquement venu » de la République de Karazo dont il fut par ailleurs, l’homme des « petites et basses courses » en France.
Étêgui-Têngô alias Agawa-Ikpè, lui, avait tout prévu et n’avait qu’une idée en tête : il n’avait pas pris le risque de débarquer à Karambi la coquette, capitale défigurée de la RDK– avouera-t-il un de ses jours de cuite -, pour venir jouer les seconds et être loin de la mangeoire du pouvoir. En plus, il est hors de question qu’il finisse tôt ou tard par disparaître les mains vides, quand le sens de rotation de la roue de l’histoire ou de la terre viendrait à changer, autrement dit, quand la mauvaise fortune frappera à la porte du régime dont il est l’un des plus zélés et serviles griots – défenseurs. Au fait, Étêgui-Têngô alias Agawa-Ikpè, n’a qu’une petite puce à la place du cerveau, ce qui lui fait débiter inlassablement cette sornette :
« Servir Karazo c’est se servir soi-même car c’est à ça que sert Karazo! ».
Et pour en savoir toujours un peu plus, nous suivrons donc pas à pas et chaque jour Étêgui-Têngô alias Agawa-Ikpè, ce griot et défenseur zélé du régime, dont les sanglots étourdis, méprisants et arrogants ne réussiront pas à étouffer ni la voix, ni les murmures des âmes nobles et bien nées. (A suivre…)