Que sait-on vraiment de la Centrafrique ? Dans d'"Oubangui-Chari, le pays qui n'existait pas", Jean-Pierre Tuquoi nous plonge dans les entrailles de son histoire. Il s'est confié au Point Afrique. Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, est en Centrafrique ce mardi, un pays qui symbolise l'instabilité d'une certaine Afrique. Il va trouver un pays meurtri, longtemps demeuré une tâche blanche au cœur de l'Afrique, un pays qui peine à sortir de la nuit dans laquelle il semble avoir été plongé dès l'origine. Dans son ouvrage Oubangui-Chari, le pays qui n'existait pas, paru cette année aux éditions La Découverte, Jean-Pierre Tuquoi, ancien journaliste au Monde, retrace l'histoire tourmentée de ce qui est devenu depuis la République centrafricaine. Un ouvrage passionnant, parfois romanesque, toujours tragique, qui éclaire d'un jour nouveau l'actualité. Il a répondu aux questions du Point Afrique.
Le Point Afrique : Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, se rend en Centrafrique du 24 au 27 octobre. Qu'est-ce que ce pays peut attendre d'une telle visite ?
Jean-Pierre Tuquoi : pas de miracle. Antonio Guterres arrive quelques jours après de nouveaux massacres de civils perpétrés en province. On parle de plusieurs centaines de morts dans un pays où déjà un habitant sur quatre ou sur cinq est un déplacé ou un réfugié. Le secrétaire général de l'ONU sait que les casques bleus sur place – ils sont plus de 10 000 – sont incapables pour maintes raisons de pacifier le pays. Même si leur nombre est accru, le problème demeure. Ce qu'Antonio Guterres peut faire, c'est pousser au dialogue, faire que les groupes armés déposent progressivement les armes et négocient, intervenir également pour que la communauté internationale appuie ses efforts de paix. Le processus sera long.
Oubangui Chari, le pays qui n'existait pas, c'est le titre de votre dernier ouvrage. Quid de la Centrafrique aujourd'hui ? Existe-t-elle enfin en tant que pays et en tant qu'État ?
Que la Centrafrique n'existe pas en tant qu'État, tout le monde le sait. Les autorités contrôlent moins de 10 % du territoire et une partie seulement de la capitale. Je suis allé plus loin en écrivant que le pays lui-même n'existe pas. Il y a une part de provocation chez moi, c'est vrai, mais sur le fond je pense avoir raison : le pays, comme entité, comme nation, n'existe pas. C'est une mosaïque de peuples, d'ethnies, chacun avec son histoire, sa culture. Les frontières ont été tracées par le colonisateur. La langue, la religion dominante sont également des legs de la colonisation. Ils n'ont pas eu à se battre pour leur obtenir leur indépendance. Elle leur a été donnée « à l'étourdi », a écrit un écrivain, par la France du général de Gaulle qui voulait se débarrasser de son empire colonial. Je ne vois pas ce qui unit les habitants aujourd'hui. Peut-être qu'avec le temps, à travers les épreuves, un sentiment national va naître. Un pays comme la France, après tout, a mis longtemps à se construire.
Pour reprendre la célèbre formule de René Dumont, diriez-vous que, dès l'origine, l'Oubangui-Chari, l'actuelle Centrafrique, est mal parti ?
Dumont parlait de l'Afrique en général même si, dans son ouvrage, il est beaucoup question de la Centrafrique, l'Oubangui-Chari à l'époque. Le constat reste valable. Le potentiel économique n'est pas en cause. Je ne crois pas qu'il existe des pays pauvres et des pays riches en soi. Chacun a des potentialités. La Centrafrique a des ressources. Elle n'est pas plus mal lotie qu'un autre. Son potentiel agricole est réel. Le pays a du diamant, de l'or. La forêt ne demande qu'à être valorisée. Le problème est d'ordre politique.
À vous lire, la colonisation française en Oubangui-Chari fut particulièrement rude ? Le fut-elle plus qu'ailleurs en Afrique équatoriale Française (AEF), voire en Afrique occidentale française (AOF) ?
Elle a été rude, très rude. L'a-t-elle été davantage qu'en AOF et dans les autres pays de l'AEF ? Il ne m'appartient pas de distribuer des bons – ou plutôt des mauvais – points. Ce qui est vrai, c'est que l'Oubangui-Chari était « la Cendrillon de l'empire colonial français ». La métropole s'en est très vite désintéressée dès lors que s'effondrait – avec l'affaire de Fachoda – le rêve d'une jonction entre les possessions coloniales françaises de l'ouest et de l'est africaines. L'Oubangui-Chari devait être au centre de ce ruban colonial. Il est devenu une impasse, un cul-de-sac, donc dépourvu d'intérêt. L'État français l'a vendu, concédé, pour un plat de lentilles, à des entreprises privées. Elles se sont payées sur la bête, en employant des méthodes barbares.
René Maran, André Gide ou encore Albert Londres ont trempé tour à tour leur plume dans les plaies de l'Oubangui-Chari. Qu'ont-ils entendu y dénoncer et ont-ils, à l'époque, été écoutés ?
Tous ont en commun d'avoir dénoncé, chacun à sa façon, la barbarie coloniale. Ils ont payé cher leur courage. René Maran a dû démissionner de l'administration. Gide a été attaqué avec violence par le lobby colonial. Mais tout a continué comme avant. Sur le fond, leur combat a été vain.
L'Oubangui-Chari a connu un grand homme : Barthélémy Boganda, le père de l'indépendance. Si sa mort (dans un accident d'avion) n'était pas intervenue prématurément (en 1959), pensez-vous que le destin du pays en aurait été changé ?
Je crois que oui. Il avait l'étoffe d'un chef d'État. Il avait une vision. Il avait compris que les anciennes colonies qui partageaient une langue – le français – et une religion – le christianisme – devaient se rapprocher et s'unir. Que seuls, elles ne pèseraient pas. Qu'elles devaient regrouper leurs maigres forces pour exister et se développer. D'où son rêve des États-Unis d'Afrique latine, en référence aux pays d'Amérique latine. C'était un beau projet, une magnifique utopie.
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