Vous êtes député à l’Assemblée nationale et président du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain. Comment parvenez-vous à concilier ces deux fonctions ?
Ma nouvelle position de Député et de surcroit Président de la Commission Finances, Economie et Plan a accru ma charge de travail, surtout pendant les sessions ordinaires et extraordinaires de l'Assemblée nationale. Cependant j'ai pu organiser mon calendrier pour être à la fois disponible pour le Parti et pour la représentation nationale. Par ailleurs au niveau du MLPC nous avons des Vice-présidents qui font fonctionner le Parti même quand je suis momentanément indisponible.
Comment se porte le Mouvement pour la Libération du peuple centrafricain votre formation politique ?
Le MLPC se porte comme un charme. Après la période postélectorale difficile, les militants se sont remobilisés à l'occasion du Conclave de décembre 2016 tenu à Bangui. Nous organiserons les premières "Journées Portes Ouvertes sur le MLPC" en février 2018 à l'occasion de notre 39ème anniversaire. Ce sera l'occasion pour le Parti de communiquer directement et largement avec la population sur l'historique du MLPC et sa vision pour notre pays. Une vaste campagne d'adhésion y sera organisée également, suivie du lancement officiel de la restructuration de nos organes de base. Mais déjà dès ce mois de décembre 2017 nous organiserons une grande kermesse ouverte à tous le public à notre siège à la Place Marabéna qui deviendra le cœur de Bangui et le lieu de rencontre de la jeunesse banguissoise.
Quel regard portez-vous sur la situation politique, économique et sécuritaire de votre pays, vingt mois après l’entrée en fonction de l’actuel président Touadera dont vous êtes l’allié politique ?
Ce n'est un secret pour personne, la situation sécuritaire de notre pays est très difficile. Naturellement le fait que beaucoup de régions du pays échappent à l'autorité du pouvoir central est un facteur rédhibitoire pour l'économie et pour la stabilisation de la vie sociopolitique et institutionnelle. L'absence de paix est chèrement payé par notre pays en matière de régression économique, de sous-équipement dans tous les domaines, et de délabrement des infrastructures. Pourtant, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, on observe une véritable mobilisation de la communauté financière internationale autour de la RCA, et ce depuis le Sommet de Bruxelles. Malheureusement, ces efforts sont contrariés par la résurgence des violences armées qui renforcent l'attentisme des bailleurs et des investisseurs potentiels. J'en veux pour preuve les montants inscrits en prévision d'investissements dans les budgets de l'Etat, qui sont de proportions moindres que les annonces de Bruxelles.
Etes-vous pleinement satisfait de votre attelage politique avec le chef de l’Etat dont vous soutenez les actions ?
Je voudrais d'abord préciser deux choses. La première est qu'entre les deux tours des élections présidentielles le Bureau Politique du MLPC a décidé à la quasi-unanimité de soutenir le candidat Faustin Archange Touadéra arrivé en seconde position, ce qui signifie que notre décision n'était pas opportuniste mais consécutive à une analyse politique.
La seconde est que c'est la première fois dans l'histoire du MLPC et de notre pratique politique que nous avons décidé de soutenir un candidat puis un régime non issu de nos rangs. C'est une grande première pour nous, et ce soutien est matérialisé par un Accord Politique. Notre Conclave de décembre 2016 a confirmé le soutien au Président Touadéra, et en tant que militant et Président du Parti, je suis tenu par cette décision du Parti, de même que l'ensemble des militants du MPC tant qu'il est en vigueur.
Notre objectif à travers cet accord est de contribuer concrètement au relèvement de notre pays. Comme tout accord politique, sa mise en œuvre est rythmée par des rencontres d'échanges de vue ou de clarification entre les parties nécessaires chaque fois que cela est nécessaire.
Que pensez-vous d’un éventuel retour au pays des anciens présidents en exil s’il était envisagé par le Chef de l’Etat Touadera ?
L'histoire de notre pays nous apprend que chaque fois qu'un Chef d'Etat centrafricain a perdu le pouvoir contre son gré ou de force, il n'a le choix qu'entre la prison chez lui ou l'exil. Je pense que la récurrence de ce scénario vécu avec Bokassa, Patassé, Bozizé puis Djotodja doit interpeller les centrafricains compte tenu de la sensibilité de la question. Les partisans de chaque Chef d'Etat déchu vivent comme un drame la prison ou l'exil de leur chef, et cette question empoissonne la vie politique pour leur successeur. Ce que je peux en penser à titre personnel importe peu puisque cette affaire est une question aussi bien politique que judiciaire dont l'issue ne dépend pas d'un seul individu mais de tous les centrafricains. Nous référant toujours à notre histoire, nous avons vu que Bokassa a décidé de mettre fin à son exil consécutif à sa perte du pouvoir, puis de rentrer au pays en avril 1986 alors qu'il se savait poursuivi par la justice centrafricaine, pour l'affronter ici au pays. Est ce que cela peut faire jurisprudence? La réflexion sereine doit se poursuivre, en prenant en compte les impératifs de réconciliation nationale mais aussi de stabilité politique dans un pays fragile d'une part, et la nécessité aussi de respecter notre propre Constitution qui dispose que nul ne peut être contraint à l'exil d'autre part. Voyez-vous ni le sujet ni l'exercice ne sont faciles et la réflexion sereine doit se poursuivre.
Certains centrafricains vous ont reproché à un moment donné votre proximité avec l’ancienne présidente Catherine Samba Panza et son prédécesseur Michel Djotodia. Que leur répondez-vous ?
Madame Catherine SAMBA PANZA et moi nous nous connaissons depuis plus d'une trentaine d'années puisque nous avons travaillé ensemble dans la compagnie nationale d'assurance SIRIRI. Elle a été élue en séance publique par le Conseil National de Transition à la fonction de Chef d'Etat de la Transition, avec le soutien de l'Alliance des Forces Démocratiques de la Transition (AFDT) dont le MLPC faisait partie. Par conséquent notre soutien politique à l'ancienne Présidente Catherine Samba Panza était assumé et officiel, pour permettre à cette transition de sortir notre pays de la crise. Je ne vois pas d'où peut venir un reproche fondé.
S'agissant de Michel Djotodja, il a officiellement et publiquement assumé le fait d'avoir pris le pouvoir par les armes et par la force le 24 mars 2013, avec des compagnons connus et reconnus. Toute l'opération de calomnie montée contre le MLPC et moi-même, m'accusant de complicité avec la Séléka, a été montée par des adversaires politiques appartenant à une coterie politique bien connue, effrayée par la perspective d'une victoire électorale du MLPC. L'entrée en fonction de la Cour Pénale Spéciale permettra de faire la lumière sur cette affaire et c'est pourquoi le MLPC, je le souligne encore une fois, est contre l'amnistie et pour la justice.
Les groupes armés rebelles continuent de semer la terreur dans certaines localités, comme en témoigne le massacre de 26 civils musulmans à Pombolo, perpétré par le groupe Anti-Balaka le 18 octobre 2017. Que pensez-vous de l’incapacité des casques bleus de l’ONU d’assurer la sécurité des civils ?
Une bonne partie du territoire centrafricain demeure toujours sous contrôle de groupes armés. Qu’attend le gouvernement pour lancer une vaste opération de reconquête avec le soutien des casques bleus ?
Lors de la visite de M. Antoni Guterres, Secrétaire général des Nations Unies dans notre pays du 24 eu 27 octobre 2017, j'ai fait partie de la délégation des partis politiques qu'il a reçue. Nous lui avons clairement expliqué notre vision du rôle et de l'action de la MINUSCA, et ensuite remis un mémorandum écrit. Enfin il a été reçu à l'hémicycle de l'Assemblée nationale où cette vision lui a été réitérée. En substance, nous lui avons demandé de plaider auprès du Conseil de sécurité pour la transformation du mandat de la MINUSCA qui est un mandat de maintien de la paix, alors que cette paix est quotidiennement rompue, en un mandat d'imposition de la paix; de travailler à la levée de l'embargo sur les armes et à la réopérationnalisation des Forces armées centrafricaines; de nous aider à avoir un dialogue constructif avec les pays voisins pour une paix partagée.
Le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU a révélé l’existence de trafic d’armes entre la RCA et les deux Congo. Comment avez-vous réagi à ce rapport ? Et quelles sont les mesures déjà prises par les autorités centrafricaines pour faire cesser ce trafic exercé en violation de l’embargo sur les armes ?
Ce rapport a mis en lumière le trafic d'armes vers la RCA à partir des Etats voisins de manière exhaustive, et nous ne pouvons que condamner ce commerce de la mort qui a pour première conséquence les violences massives contre des populations civiles sans défense, puisque cette guerre qui nous est imposée n'oppose pas notre armée à des groupes rebelles, mais bien les groupes armés aux populations civiles exclusivement, notre armée étant absente du terrain comme vous le savez à cause de l'embargo. C'est le caractère monstrueux de cette guerre civile: elle est livrée contre des civils sans défense, puisque notre armée est sous embargo, et l'Etat qui est absent de ces régions n'a pas les moyens d'empêcher à ce jour ce trafic d'armes.
Quelles sont en cas d’espèce les voies de recours légales pour dénoncer le manquement des deux Etats congolais à l’application de l’embargo sur les armes imposé à la RCA en 2004 et prolongé récemment jusqu’en janvier 2018 par le Conseil de sécurité onusien ?
Les voies de recours légales passent par la saisine des organisations sous-régionales, régionales et les Nations Unies. Mais elles ont des limites puisqu'il faut apporter la preuve de l'implication des autorités de ces pays et cela n'est pas le plus facile à établir. En plus je crois plus au dialogue et au retour de la confiance entre les pays voisins pour mutualiser véritablement leurs efforts pour une paix durable.
En septembre, on dénombrait 600 000 déplacés à l’intérieur du pays et 500 000 réfugiés dans les pays limitrophes. Que fait le gouvernement pour créer les conditions de retour des déplacés ?
Le gouvernement fait certainement du retour des déplacés et des réfugiés une priorité, mais celle-ci est fortement tributaire de la paix. Les populations ont tellement souffert de la violence gratuite imposée depuis trois ans par les groupes armés qu'elles n'accepteront de revenir dans leurs foyers qu'avec une paix réelle et durable. L'exil n'est ni agréable ni souhaitable à personne et je parle en connaissance de cause puisque j'ai connu l'exil.
De même nous savons tous que ce retour des déplacés et des réfugiés est une condition nécessaire pour une paix durable. L'exemple de la crise des pays des Grands Lacs nous instruit que la non résolution ou la résolution tardive des questions des réfugiés et des déplacés sont des facteurs de risque de premier plan de conflits armés récurrents et déstabilisateurs.
La Cour pénale spéciale centrafricaine est chargée de juger les crimes les plus graves depuis 2003. Comment a-t-elle été créée ? Faites-vous vraiment confiance à son caractère impartial ?
La Cour pénale spéciale centrafricaine a été créée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies pour juger les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide et les crimes de guerre commis depuis 2013 en République centrafricaine, et non pas ceux depuis 2003 déjà couverts par une enquête de la Cour Pénale Internationale. Il faut attendre l'opérationnalisation pour porter une appréciation sur son efficacité future.
Qui sont les personnes susceptibles d’être inquiétées par cette cour spéciale ? Les soldats tchadiens et français éventuellement accusés d’exactions pourraient-elles comparaître devant elle ?
Une Cour de justice juge des personnes ou des groupes de personnes pour les actes qu'elles ont posés et non pas par rapport à leurs nationalités. En d'autres termes, si cette Cour décide de poursuivre des personnes, ce sera pour les actes qu'ils ont commis et non pas parce qu'ils sont centrafricains ou étrangers.
Les organisations internationales telles que l’ONU et l’UA se montrent impuissantes face à l’enlisement de la crise centrafricaine. Que leur suggérez-vous pour une plus grande efficacité ?
L'Union africaine vient de lancer une initiative de paix fondée sur une Feuille de route et selon les informations officielles, les négociations autour de cette Feuille de route commenceront en ce mois de novembre 2017. Devant la gravité de notre situation, notre principale suggestion est de réunir les voies et moyens de parvenir effectivement à un Accord global de paix, avec l'implication effective des pays voisins et j'insiste là-dessus, car pour que la RCA ait une paix durable il faut que nous arrivions à convaincre nos voisins qu'ils ont plus intérêt à une RCA en paix qu'en guerre. Un tel Accord de paix global, avec les pays voisins comme garants, pourra être mieux protégé militairement par la MINUSCA et politiquement par l'Union Africaine. Des acteurs comme la Communauté de Sant Egidio, à cause de leur expertise avérée dans ce domaine comme en Mozambique, doivent être également impliqués.
Estimez-vous indispensable la contribution des leaders religieux dans le processus de réconciliation nationale dans votre pays ?
Les leaders religieux ont été les premiers à se lever dans le tumulte alors ambiant pour se saisir de la problématique de la cessation des hostilités, puis du retour à la paix et à la cohésion sociale, à un moment où l'Etat était évanescent. Il faut reconnaître que la légitimité des leaders religieux dans le processus de réconciliation nationale est incontestable, et leur rôle incontournable. Sans eux, et sans leur mobilisation, le cours de notre histoire aurait été plus tragique. Je tiens à leur rendre hommage, car les actions communes de Monseigneur devenu Cardinal Dieudonné Nzapalainga, de l'Imam Kobine Layama, et du Pasteur Nicolas Grekoyamé ont tué dans l'œuf une velléité de présentation de notre crise comme une crise entre musulmans et chrétiens.