L’heure est à la remise en question de l’action de l’ONU dans un pays qui n’est que l’ombre d’un Etat, livré à la violence des milices, et à l’avenir toujours aussi incertain.
Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, était en Centrafrique du 24 au 27 octobre, alors que les massacres de populations musulmanes par des milices chrétiennes reprennent graduellement depuis mai, avec déjà plus de 250 morts. La dernière attaque a eu lieu le 18 octobre dans la région sud du pays, au village de Pombolo près de Bangassou, et a fait 26 morts et de nombreux blessés. Alors que l’opération française de maintien de la paix « Sangaris » s’est achevée il y a de cela un an, la violence continue. António Guterres s’est rendu sur place pour remettre ce « pays oublié »[1] dans l’agenda politique du Conseil de Sécurité des Nations unies. Celui-ci doit renouveler le mandat de la MINUSCA*, mission de protection des Nations unie, avant l’échéance du 15 novembre prochain.
Si António Guterres est venu à Bangui, la capitale, en ce 24 octobre, c’est bien par convergence des actualités. Premier symbole fort de son voyage, la célébration de la Journée des Nations unies et un hommage aux casques bleus du monde entier alors que de nombreuses critiques entachent la mission des casques bleus dans le pays. Entre autres, l’échec de la mission de protection des populations civiles, et des accusations de violences sexuelles. Si l’image de l’ONU est bafouée, c’est bien parce que les forces onusiennes sont devenues elles-mêmes la cause d’une partie des souffrances du peuple centrafricain. Ou en tout cas sont accusées de l’être.
Résoudre une “crise oubliée” dans un pays “qui n’existe pas”
Le Centrafrique, ou la République Centrafricaine (RCA), aux frontières déterminées par la colonisation française sous le nom des fleuves Oubangui et Chari, est aujourd’hui perforé de l’intérieur par le pouvoir des seigneurs de guerre et de leurs trafics des ressources du pays : diamants, uranium, pétrole. Souvent, leur pouvoir s’étend aux pays limitrophes de l’Afrique équatoriale, eux aussi particulièrement instables (Cameroun, Congo, Soudan et Soudan du Sud, Tchad). L’Etat y est inexistant[2] : pas de police, pas de justice, le territoire contrôlé à 80% par les milices. Avec un demi-million de déplacés, avec l’Indice de Développement Humain le plus bas de la planète – 188ème place sur 188 – le Centrafrique subit à nouveau une année catastrophique.
Faustin-Archange TOUADERA, l’actuel président élu en 2016, reste paradoxal sur le rôle des FACA*, forces gouvernementales centrafricaines, et refuse de les engager dans la guerre civile, par peur d’un énième coup d’Etat militaire. Ce sont les conséquences des massacres perpétrés par la coalition de forces musulmanes armées, la Séléka*, lors du coup d’Etat du 24 Mars 2013. Elle s’est emparée du pouvoir par la force et a chassé le président au pouvoir, François Bozizé. Les combats ont fait des centaines de morts à Bangui et ses environs, surtout dans la communauté chrétienne. Depuis, la coalition a éclaté en de multiples entités, et affronte des bandes armées chrétiennes* « à base ethnique et au réflexe d’autodéfense communautaire »[3]. Depuis plusieurs années, le pays est à feu et à sang.
C’est à la suite de ces évènements que l’ONU vote la résolution mettant en place la MINUSCA ainsi que le début de l’opération française Sangaris sous le contrôle du président François Hollande, qui se terminera le 31 octobre 2016. L’absence d’un service de police formel dans le pays ne laisse qu’une loi à l’œuvre, celle du plus fort. Les populations se protègent ainsi derrière des milices qui parfois les protègent parfois les abusent, constate[4] Libération. Pourtant, le Secrétaire général maintient : « Il n’y a pas de guerre religieuse qui ne soit le résultat de manipulations politiques de quelques-uns qui servent leurs intérêts propres ». « L’ONU est là pour vous aider à faire la paix ; privilégiez le dialogue », cite RFI dans son article du 27 octobre. Car António Guterres a fait le déplacement pour faire venir des financements grâce à la couverture médiatique : au moment où, au sein du Conseil de Sécurité permanent, les Etats-Unis de Donald Trump ferment les robinets de l’aide à l’international, il faut pouvoir financer la MINUSCA. Il y a pourtant bien eu un programme de redressement du pays sur cinq ans présenté l’année dernière à l’Union Européenne, permettant aux bailleurs de fond du pays d’obtenir une promesse de 2,2 milliards de dollars de la part de Bruxelles, et 500 millions de la communauté internationale. Pourtant, les sommes n’ont toujours pas été payées et seulement 40% des 500 millions ont été investis.
Une présence qui aggrave les tensions
Les 10 000 soldats présents sur place depuis le 10 avril 2014 proviennent de contingents des pays voisins, comme la République Démocratique du Congo, le Cameroun, le Gabon, le Rwanda et la Zambie, mais proviennent également de pays où la religion musulmane est prédominante : Maroc, Pakistan. Ainsi, alors que les casques bleus se veulent être une force de dissuasion et de protection, les tensions se retournent contre eux et ils deviennent des cibles. RFI note dans un article du mois de juillet que les « Marocains sont ceux qui essuient les plus lourdes pertes depuis le début de l’année ». Soit sept soldats sur les dix casques bleus tués depuis le début de l’année 2017. Les anti-balaka* cultivent la haine du musulman toutes nationalités confondues, dans un engrenage de représailles.
Leur présence renforce les tensions dans ce conflit teinté de guerre de religion entre les quartiers chrétiens et musulmans. Dans le reportage Centrafrique : huit-clos à Bangassou, diffusé le 28 octobre sur ARTE, les populations chrétiennes expriment leur sentiment que les casques bleus ne sont pas impartiaux : les « Marocains » seraient là uniquement pour les minorités musulmanes en fuite. Dans l’autre camp, les réfugiés musulmans ne montrent pas plus de confiance dans les casques bleus, qui les auraient, disent-ils, abandonnés à leur sort le 13 mai dernier, lors de l’attaque des anti-balaka dans le quartier de Tokoyo : « Pourquoi, alors que l’on savait qu’il y avait deux blindés au niveau de la mosquée, ils sont partis pendant le massacre ? ». Cette attaque avait fait plus d’une centaine de victimes en plus des exactions et viols. Le dernier rapport de Human Rights Watch sur la région, publié ce mois-ci, fait état de l’utilisation du viol comme arme de guerre. Des accusations similaires contre la MINUSCA viennent un peu plus détériorer les relations avec la population, mais aussi avec la communauté internationale. En juin 2017, la MINUSCA renvoie 600 casques bleus congolais accusés de violences sexuelles, notamment sur mineurs, selon France24. Ce n’est pas sans rappeler la polémique autour de l’opération Sangaris : des soldats français avaient été accusés de faits similaires. Aucune mise en examen prononcée.
En clôture de sa visite, à l’Assemblée nationale centrafricaine, António Guterres tente de rassurer les députés sur la neutralité et les objectifs de la MINUSCA et propose l’envoi supplémentaire de 900 soldats. Car il s’agit bien d’un manque d’effectifs et d’un manque de moyens, d’après le journal Le Monde (28/10/2017). Lors de la dernière attaque du 18 octobre, les anti-balaka n’ont pas hésité à faire face à l’hélicoptère de la MINUSCA, qui a dû renoncer à intervenir à Pombolo Pourtant, cela semble encore trop peu. Selon Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut Français des relations internationales (IFRI) interrogé par Géopolis : « Ils sont nécessaires pour reprendre le contrôle de certaines villes. Mais cela ne va pas résoudre la crise. »
MINUSCA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (10 avril 2014 – 15 Novembre 2017, si non renouvellement du mandat).
FACA : Forces Armées Centrafricaines, anciennes forces gouvernementales du président Bozizé.
Séléka : « Union », en langue sango. Il s’agit d’une coalition de groupes rebelles centrafricains née en décembre 2012, constituée des branches dissidentes de plusieurs mouvements armés du nord de la Centrafrique ainsi que de combattants tchadiens. Ses officiers et recrues sont en majorité musulmans. La Seleka est dissoute officiellement en septembre 2013 après avoir défait le président François Bozizé, mais tous ses combattants ne sont pas désarmés (définition de Médiapart).
Anti-balaka : Groupes d’autodéfense locaux centrafricains ayant pris les armes en 2013 pour combattre la Seleka, avec le soutien de partisans du président déchu François Bozizé et d’anciens de l’armée régulière centrafricaine (les FACA). Ses officiers et recrues sont en majorité animistes et chrétiens. L’origine de leur nom est contestée : il viendrait de « balaka », « machette » en langue gbaya, ou de « balles AK », en référence au fusil AK 47 (définition de Médiapart).
[1] Libération, Une du 24/10/2017
[2] Voir TUQUOI Jean-Pierre, Oubangui-Chari : le pays qui n’existait pas, La Découverte, Août 2017
[3] Thierry VIRCOULON, chercheur associé à l’Institut Français des relations internationales (IFRI) interrogé par Géopolis, 29/10/2017
[4] Libération, Une du 24/10/2017