BANGUI (RJDH)—Eric Sorongopé Zoumandji, ancien ministre des Finances et président fondateur du Parti MNS a salué le don par la Russie à la RCA des armes de guerre. Il a par ailleurs évoqué les questions liées au relèvement économique du pays un an après les annonces du Bruxelles. Position exprimée lors d’une interview qu’il a accordée au RJDH à Bangui.
Monsieur Eric Sorongope Zoumandji, bonjour !
E.S.Z : Bonjour !
RJDH : Je rappelle que vous êtes ancien ministre des Finances, vous êtes cofondateur du parti Mouvement National de Solidarité (MNS). L’actualité est donc marquée par l’anniversaire de la Table ronde de Bruxelles. En novembre 2016, le gouvernement centrafricain avait reçu des promesses de financements pour accompagner le relèvement du pays. Un an après, 240 milliards seulement sont mobilisés soit 10 % du décaissement annoncé. Serait-ce un échec ou des avancées?
ESZ : A la question précise, généralement on prend pour échec tout ce qui est retard. C’est vrai. Un retard peut cacher un échec. Dans le cas du RCPCA, je ne pense pas que cela couve un échec. Vous savez, il faudra que je vous fasse un peu la genèse de ce qu’on appelle levée de fonds.
Vous allez devant les bailleurs de fonds dans une capitale à Bruxelles en l’occurrence. Vous vous présentez avec des projets ou des idées des projets. Dans le cas d’espèce, à mon entendement, c’était des idées des projets qui ont été présentées. Et des idées pertinentes qui devaient favoriser la relance de l’économie centrafricaine et instituer ou du moins favoriser le retour à la paix. Voilà la toile de fond.
Et les bailleurs ont eu un engouement à la présentation de ces dossiers. Et des gens ont pris position pour financer ces projets. Chaque bailleur de fonds avait des préférences pour telle ou telle ligne. C’est ce qu’on appelle levée de fonds qui était de plus de 2 milliards d’euros à exécuter en 3 ans. Pour que l’exécution soit efficiente, il faut mettre en place une structure au niveau du pays. Une structure qui puisse manager tout cela, c’est-à-dire mettre en musique ces projets ou du moins ces idées de projets pour en faire des projets. D’où la nécessité d’un Secrétariat, et vous savez ce secrétariat ou le secrétaire a mis du temps pour être recruté. Il y a eu un appel à candidature.
Les experts de longue date se sont présentés. Mais qu’est-ce qui a fait qu’il y a eu un retard ? Vous savez, les bailleurs de fonds ont leurs procédures et parfois ceux qui nous gouvernent ne veulent pas le dire pour ne pas être en conflit avec les bailleurs. Mais moi, je vais vous le dire franchement. Parfois le retard est dû à leur procédure qui est lourde. Lorsque je fus député ACP-Union Européenne, nous avons eu à décrier cela et à reprocher à nos partenaires les retards mis pour le décaissement ou pour l’engagement.
RJDH : Donc selon vous aujourd’hui le faible taux de décaissement n’est pas dû au fait que le gouvernement n’a pas fait assez mais plutôt au fait que l’UE n’a pas fait le nécessaire à temps?
E.S.Z : C’est lié surtout à la procédure lourde de l’UE qui n’a pas permis la mise en place du Secrétariat permanent. Parce que c’est ce Secrétariat permanent qui est le maitre de musique actuellement. Lorsque les ministères apportent leurs idées de projet ou leurs projets préfabriqués, il faut mettre tout cela en musique.Il faut qu’il y ait une cohérence dans ces projets pour que ces projets soient crédibles. Il y a l’effet transversal de chaque projet dont il faut tenir compte. Il faut un secrétariat qui puisse organiser, analyser tout cela pour mettre en cohérence l’ensemble de ces projets pour qu’ils soient bancables.
Ceci étant, il y a eu des projets d’ordre urgent tels que la sécurité qui ont été financés. Il ya eu quelques projets finalisés et qui ont été financés. C’est ce qui a fait les 10 %.
Ce n’est pas tout de demander le financement, les gens sont prêts à nous financer. Ce n’est pas pour une raison politique que les gens ne nous aident pas. Non ! C’est faux. Je vois des gens avancer des sornettes pour dire qu’il faut changer le Premier ministre ou tel ministre pour qu’on soit crédible. C’est complètement faux.
Le financement des projets repose sur la crédibilité des projets. Le projet doit réunir un certain nombre de conditions de viabilité, de faisabilité.
Alors que la Banque Mondiale exige des réformes structurelles profondes ?
Ne vous attardez pas sur ces réformes structurelles profondes. Ceci n’a rien à voir avec la levée de fonds à Bruxelles. Des réformes sont en train d’être enclenchées pour que l’Assemblée puisse les adopter. Les réformes profondes répondent à un besoin du développement de l’économie à moyen et long termes.
RJDH : Vous êtes ancien ministre des finances. Aujourd’hui le budget adopté par l’Assemblée Nationale est revu en baisse. On est passé de 270 milliards en 2016 à 161 milliards. Comment voyez-vous-vous cela ?
ESZ : Vous savez lorsque je fus député pendant 2 mandats, j’ai toujours été président de la commission des finances et de l’économie. Je sais un peu de quoi ça retourne. Je fus ministre d’Etat aux Finances. Je sais de quoi il s’agit.
Vous savez pour établir un budget qu’on puisse exécuter, il faudra que le budget soit réaliste. Tant que les fonds prévus ne sont pas visibles, on ne les met pas au niveau du projet. Or les anciens budgets mettaient des fonds attendus mais non visibles c’est-à-dire que la visibilité à court terme n’est pas probante. Autrement dit qu’ils ne sont pas sûrs. Néanmoins on les inscrit dans les projets du budget. On nous dit que ce sont des fonds attendus mais déjà bouclés.
Le budget actuel est réaliste parce que tenant de la réalité des entrées de fonds. Voilà la différence avec les autres budgets. Ce n’est pas une diminution. Le 2ème point, c’est que ce budget aurait pu être plus élevé que cela. Or une bonne partie de recettes destinées au budget est volé ou grugé par les groupes armés qui occupent une bonne zone de notre pays. Qui récupère les impôts à Bangassou ou à Bria et j’en passe…Où sont les recettes des diamants qui subissent un embargo ? C’est autant de choses que l’on pourrait citer comme exemple et qui constituent les deux facteurs du budget. Ce budget est réaliste parce que la majorité des députés l’ont adopté.
RJDH : Vous avez animé la semaine passée des conférences lors de ce symposium pour le financement des entreprises alors qu’aujourd’hui les entreprises quoiqu’elles reconnaissent leurs faiblesses en matière de financement, le taux des emprunts obligataires reste élevé pour elles. Pensez-vous qu’aujourd’hui les banques seront prêtes à financer le relèvement de l’économie centrafricaine à travers le secteur privé notamment les PME/PMI?
ESZ : Vous venez de toucher du doigt l’objectif de ce symposium et je félicite la direction de la BEAC et le ministre des Finances parce que celui du directeur national des crédits qui ont initié ce symposium. Ce symposium a permis de regrouper tous les acteurs participant au développement de l’économie à savoir les entreprises mais surtout les PME. Les fonctionnaires des impôts et des banques sont aussi des animateurs de l’économie ainsi que nous autres qui apportons notre modeste contribution à la formation des acteurs de l’économie.
Ces trois entités ont permis de cerner un certain nombre de problèmes notamment les difficultés des entreprises se résumant à la méconnaissance de la procédure de financement des activités des entreprises. Vous savez ce qui nous fait souvent défaut, c’est la connaissance des procédures. Et effectivement l’économie centrafricaine meurt par faute de cette connaissance. Nos banques ici ne sont pas des banques d’investissement. C’est vrai. Ce sont des banques qui ne prennent pas ou peu de risques. Dès lors où nous sommes devant une telle situation, il faudra que l’Etat ou des organisations puissent apporter des garanties à ces banques pour qu’elles puissent consentir plus facilement des crédits. C’est ce que nous avons essayé de sérier la dernière fois au niveau de ces projets.
Deuxièmement, il faudra que les dossiers soient bancables. Lorsque vous présentez un dossier et vous alignez des comptes d’exploitation qui ne prennent pas en compte des réalités de votre entreprise en présentant des séries de comptes même si c’était l’expert qui les élabore parce que vous avez une idée de projet mais si l’environnement ne vous permet pas de développer ce projet, si votre marché n’existe pas ou est très concurrentiel et si vous n’avez pas la capacité ou en tant qu’opérateur économique vous ne présentez pas un minimum de crédibilité, comment voulez-vous que la banque qui ne veut pas prendre trop de risques puisse s’aventurer dans cet exercice à risque?
Voilà le fondement des difficultés de nos entreprises. C’est pourquoi, ce symposium s’est fixé comme objectifs la formation à la préparation des dossiers de financement, la connaissance du monde des finances, c’est-à-dire des procédures de la banque, la liaison entre la banque centrale et les banques commerciales qui prêtent car ce n’est pas la banque centrale qui prête mais bien les banques commerciales. Et tout cela mis en musique a permis de formater un peu l’esprit des uns et des autres. Et de ce fait, les entrepreneurs ont été vraiment aguerris. Il y a des symposiums de ce genre-là qui permettront à nos entrepreneurs d’être plus aguerris et d’être à la hauteur des autres de la sous-région. Pendant que nous guerroyons, les Camerounais et les autres se développent au plan de l’économie, sur le plan intellectuel et outre cela ils ont la maîtrise de leur économie.
RJDH : Monsieur Eric Sorongope, aujourd’hui la République Centrafricaine vient de bénéficier d’un don de la Russie en armes pour équiper les troupes formées par l’EUTM. L’ouverture vers la Russie, selon vous, peut-elle aider à stabiliser le pays ?
ESZ : J’avais toujours dit lorsque nous étions en pleine crise en 2014 et 2015 lorsque nous avions créé le Mouvement National de Solidarité (MNS), j’avais toujours proclamé qu’un pays qui n’a pas son armée hypothèque sa souveraineté. Quelle que soit l’aide que nos amis de la communauté internationale puissent nous apporter à travers la Minusca, nous Centrafricains, nous ne jouions pas de notre souveraineté si nous n’avons pas notre armée nationale sur laquelle nous pouvons nous reposer et qui puisse agir sous les ordres du pouvoir politique et agir dans le sens de la protection de la population et du territoire national. Je crois que Madame Samba-Panza s’est battue pour cela mais s’est heurtée à l’embargo. Touadera s’est battu et se bat pour ça. Y a l’hypothèque embargo. Dès lors, il faut négocier tous azimuts. Touadera a négocié avec nos partenaires Français, Israéliens et autres pour avoir des moyens pour que ces forces armées qui sont bien formées puissent disposer des armes. Et je crois que c’est la diplomatie qui a joué. Vous savez que Touadera a été en Russie. La Russie n’a pas décidé comme ça de donner des armes à la RCA. Y a eu une action diplomatique en profondeur, préalable qui a abouti au fait que la Russie a présenté un dossier que l’on ne peut écarter au Conseil de sécurité qui a autorisé la Russie à nous fournir des armes.
Approuvez-vous la position de la France? La jugez-vous ambigüe ou bien diplomatiquement correcte?
ESZ : Vous savez la France est notre première partenaire en matière économique, d’aide financière, d’armement quand bien même la livraison de cet armement ait été suspendue par l’embargo. Nous nous disons un pays libre, nous n’avons pas toujours à nous river sur la France. Faisons en sorte que nous puissions gérer notre pays en rapport avec l’ensemble des partenaires crédibles que nous estimons être crédibles pour nous dans notre intérêt comme les Chinois, les Russes qui ont posé un acte courageux parce qu’ils en ont marre de voir ce qui se fait ici. Voilà, on forme une armée qui est sans armes, c’est incongru. Voyez ce qui se passe en Syrie. Les occidentaux ont tergiversé. Les Russes ont fait leur intrusion et vous voyez la suite, ça a été catégorique. Ils ont aidé au règlement rapide de ce problème-là. Nous allons rester dans ce pétrin jusqu’à quand ? Le mandat de Touadera va passer. S’il bénéficie d’un second mandat ou si c’est un autre, cela va passer. Nous allons rester ad aeternam sans nous sortir de l’ornière.
Eric Sorongope, je vous remercie.