L’annonce des procès de trois chefs de guerre, sur une centaine, à savoir Patrice Édouard Ngaïssona, Rodrigue Ngaïbona alias le Général Andjilo et Abdoulaye Hussein, devant la Cour criminelle de Bangui dès le 8 janvier crée scandale. Accusés de commettre des infractions criminelles de grande envergure entre 2012 et 2016, ces trois chefs de guerre seront jugés par la session ordinaire de la Cour criminelle de janvier à février 2018. Deux des trois, Patrice Édouard Ngaïssona et Rodrigue Ngaïbona alias le Général Andjilo sont de la milice Anti-balaka. Le troisième, Abdoulaye Hussein, de l’ex-coalition Séléka.
Au regard de la nature et le dégrée des crimes présumés commis par ces trois accusés, les Centrafricains se demandent si une juridiction nationale comme la Cour criminelle serait-elle compétente pour connaître ces crimes ? Et la Cour Pénale Spéciale (CPS), la Cour Pénale Internationale (CPI) ? Pour comprendre cela, votre journal en ligne, CNC, mène l’enquête à lire impérativement jusqu’à la fin.
Pourquoi juger ici et là-bas ?
Si les juridictions nationales sont les premières garantes naturelles de la répression des crimes et délits commis sur leur territoire, force est de constater, dans sa mise en œuvre, qu’elles n’ont plus ce monopole. Des nouveaux éléments développés dans certains crimes, dont la volonté réelle des dirigeants à juger ces criminels et les moyens humains et logistiques des États, font de leur répression l’affaire de tous et donc de la communauté internationale de son ensemble. C’est la raison qui pousse cette dernière à instaurer des Tribunaux spéciaux et la Cour Pénale Internationale.
En Centrafrique, c’est une juridiction hybride, la Cour Pénale Spéciale, qui a été mise en place pour juger ces graves crimes commis et restés impunis depuis 2003 jusqu’à nos jours. Les crimes commis par les Anti-balaka de Patrice Édouard Ngaïssona et Rodrigue Ngaïbona et la séléka de Abdoulaye Hussein aujourd’hui en procès de la Cour criminelle de Bangui, font partie.
Patrice Édouard Ngaïssona déclaré coordonnateur de la milice Anti-balaka, Rodrigue Ngaïbona alias Andjilo auto-gradé général en charge des opérations de cette milice et Abdoulaye Hussein l’un des chefs d’une faction de la coalition Séléka, ont été considérés par l’ONU et plusieurs ONG internationales comme des redoutables chefs de guerre qui ont endeuillé autant des familles en Centrafrique. Et d’après plusieurs rapports de ces experts internationaux et nationaux, les crimes commis par les Anti-balaka et la séléka sont des crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité et relèvent de la compétence des juridictions internationales.
Qui sont ces criminels ?
Abdoulaye Hussein, l’un des chefs de l’ex-coalition Séléka, est accusé de graves crimes de droit international dont le crime de guerre et crime contre l’humanité et est mis sous sanction onusienne. Arrêté par les Forces de Sécurité intérieure en 2015, il a été libéré, manu militari, par ses hommes lourdement armés et est autorisé par le président Faustin Archange Touadera peu après, à quitter Bangui pour sa ville natale dans le Nord 13 août 2016 d’après un rapport classé confidentiel par la Communauté Internationale.
Rodrigue Ngaïbona alias Général Andjilo, arrêté en 2014 par la police de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations-Unies en Centrafrique (MINUSCA) pour voies de fait armées avec lésion, crime de génocide consistant à l’élimination d’un village entier, crime de pillage de guerre, il est arrêté et détenu à la maison carcérale de Ngaragba. Après plusieurs tentatives d’évasion, il a été transféré à la prison militaire de camp de Roux à Bangui. Il fut l’un des redoutables commandants Anti-Balaka qui ont envahi la capitale Bangui en décembre 2013 lors du coup d’État avorté contre le Président Michel Djotodia dans lequel plus d’un millier de personnes ont été assassinées. Alors que les Séléka qu’il combattait durement ont quitté Bangui, le Général Andjilo s’était transformé à un véritable bourreau de la population civile. Il s’est spécialisé dans les prises d’otages et mène la politique de la terre brulée. Par ses soins, deux villages entiers ont été brûlés et rayés dans l’Ouham. Le nombre de ses victimes se compte par centaines à Bangui comme aux provinces.
Enfin Édouard Patrice Ngaïssona, Coordonnateur général de la milice Anti-Balaka. Tout comme ses deux collègues criminels, il a été arrêté puis libéré provisoirement en 2015 sur ordre direct de l’ancienne présidente de transition Madame Catherine Samba-Panza. Patrice Édouard Ngaïssona, pour beaucoup d’observateurs politiques de Centrafrique, est l’homme qui a planifié l’élimination physique de plusieurs civils musulmans à Bangui et à Bossangoa. Par ses nombreuses déclarations, il est aussi accusé d’incitation à la haine et au génocide.
Sur quels chefs d’accusation ce trio criminel sera-t-il jugé ?
D’après une source judiciaire hautement confidentielle, le but de juger, le plus tôt que possible, les leaders des Anti-balaka, résultent de la volonté du Chef de l’État Faustin Archange Touadéra et de son entourage composé en majorité des financiers de ces miliciens, de les mettre à l’abri des poursuites des juridictions internationales, dont la Cour Pénale Spéciale.
Pour les conseils du Chef de l’État, juger les leaders charismatiques de la milice Anti-balaka serait une occasion d’empêcher les juridictions internationales à se saisir de l’affaire conformément à la règle non bis in idem, qui régissent l’organisation de la justice transfrontalière et qui signifie nul ne peut être jugé par la Cour qu’il a été jugé par une autre juridiction pour les mêmes faits. Malheur pour eux, leur astuce politico-judiciaire, une véritable supercherie et échappatoire juridique, a été très vite comprise et déjouée par la Communauté internationale qui affirme à juste titre que la procédure engagée par le Ministère public devant la Cour criminelle de Bangui consiste à soustraire volontiers Rodrigue Ngaïbona alias Général Andjilo en prison depuis trois ans et Édouard Patrice Ngaïssona, libre de ses mouvements de leur responsabilité pénale internationale de crimes de guerre, crime de génocide et crime contre l’humanité. Une autre lecture de la règle non bis in idem.
Ainsi, de manière téléguidée et à la dernière minute, les chefs d’accusation de crimes de guerre, crime de génocide et crime contre l’humanité ont été rayées de la liste des charges pour faire place aux chefs d’accusation d’Association de malfaiteurs, viols et pillages en bande organisée.
Et de quelle Association de malfaiteurs s’agit-il?
Pour un avocat centrafricain contacté par CNC, le chef d’accusation d’association de malfaiteurs est trop fantaisiste et démontre clairement la volonté du pouvoir en place de blanchir ces criminels de guerre.
D’après cet avocat, à aucun moment de l’histoire du pays, les sieurs Édouard Patrice Ngaïssona, Rodrigue Ngaïbona alias Général Andjilo et Abdoulaye Hussein se sont assis autour d’une table pour s’entendre et décider de commettre ensemble des délits ou crimes.
S’il est vrai qu’Abdoulaye Hussein, à un moment donné, travaillait militairement avec François Bozizé pour combattre la séléka et signait à ce titre l’Accord Global de Libreville sur la Résolution de la Crise Politico-militaire le 11 janvier 2013 au nom des mouvements politico-militaires non-combattants, Rodrigue Ngaïbona n’était qu’un simple individu sans histoire et ne portait pas encore le galon de « Général Andjilo ». Et avec Patrice Édouard Ngaïssona, proche parent de François Bozizé leur leader, Abdoulaye Hussein n’entretenait que des relations intellectuelles limitées aux simples échanges d’opinion et sans vraiment rassemblés les moyens de commission d’un crime. Même si cela existait, leur volonté de commettre ensemble les crimes a cessé et donc prescrit.
Et vraisemblablement, seuls, Édouard Patrice Ngaïssona et Rodrigue Ngaïbona alias Général Andjilo peuvent être poursuivis pour le chef d’accusation d’association de malfaiteurs. Mais là encore, la nature et les nombres des crimes commis dépassent l’entendement. Le chef d’accusation ainsi retenu est top léger. Une organisation criminelle peut faire l’affaire.
Mais chaque camp défend son organisation criminelle et cherche à lui faire soumettre aux dispositions des Conventions de Genève et leurs Protocoles. Avantage, avoir une reconnaissance internationale.
Séléka et Anti-balaka : quelle organisation pour quels buts ?
Association de malfaiteurs, organisation criminelle, mouvements des rébellions, mouvements insurrectionnels, fauteurs des troubles, organisation terroriste ? C’est désormais la position défensive des conseils des uns et autres.
Il ne fait aucun doute que la Séléka, est un mouvement insurrectionnel de la population du Nord qui a un moment donné, fait l’objet d’une reconnaissance nationale par le pouvoir de François Bozizé et internationale par la Communauté des États de l’Afrique Centrale sous l’impulsion du Tchadien Idriss Deby et des autres Chefs d’État en l’impliquant dans plusieurs signatures des Accords de paix avec le pouvoir de François Bozizé à l’époque.
Pour les leaders des Anti-balaka, leur mouvement est un mouvement d’insurrection passive visant à chasser du pourvoir Michel Djotodja et sa bande de criminels. Une position que campent Patrice Édouard Ngaïssona et ses pléthoriques comezones militaires.
Pour les observateurs, c’est un groupe des criminels constitué. À l’image du Cardinal Dieudonné Nzapalainga qui les a qualifiés des « assassins » dans un entretien accordé à nos confrères d’Afrique-Asie.
Le procès s’annonce passionnant et risqué. Pensent certains diplomates en poste à Bangui qui demandent à ses ressortissants de rester vigilants et surtout de ne pas errer dans les zones proches des complexes judiciaires.
Est c’est un procès vraiment à risque …?
Non. Affirme un des conseils. « C’est un criminel qui comparait libre et son dossier, en l’état actuel de la procédure, est relativement vide » conclut-il. Une manière d’étouffer l’ardeur les miliciens de son client qui peuvent assiéger le bâtiment de la Cour.
D’après une source proche de la Cour, c’est pour la première fois dans l’histoire de la justice mondiale de voir un criminel comparait libre et le risque de perturbation de trouble à l’ordre public n’est pas à écarter : « Étant libre, en venant au tribunal, Patrice Édouard Ngaïssona peut être accompagné par ses miliciens et sympathisants. Et d’emblée, le risque de commission d’un trouble à l’ordre public est plus élevé ». Avance notre source.
De grâce, pour conclure, sur instruction de la Haute hiérarchie, aucun des trois ne sera condamné. « C’est un procès sans condamnation. C’est juste une farfelue de jugement ».
Rappelant que Patrice Édouard Ngaïssona en restant à la tête de la Fédération Nationale de Football comme président, est le symbole par excellence d’une impunité institutionnalisée du pays. Devenu, à nouveau, l’homme fort du régime, Patrice Édouard Ngaïssona est en outre l’homme d’affaires préféré du Chef de l’Etat Faustin Archange Touadéra. À ce titre, il acquiert une immunité diplomatique grâce à son passeport diplomatique et voyage quand il veut et où il désire. Il a ramené des centenaires des jouets et revendu au couple Touadéra qui, à leur tour, a distribué aux enfants le jour de Noël dernier.
Tout comme Abdoulaye Hussein, signataire d’un pacte avec le Chef de l’Etat, est libre de ses mouvements et sillonne comme il veut, toute la République sans être inquiété, pour asseoir, disent les commerçants de la Ouaka, son autorité militaire et installer ses douaniers et contrôleurs des impôts. Il se rend aussi régulièrement au Tchad et au Soudan pour évacuer ses produits et acheter des minutions de guère pour son groupe.
Quant à Rodrigue Ngaïbona alias Général Andjilo, le maillon rouillé du groupe, sa chance de recouvrer sa liberté s’écarte de plus en plus de son corps. S’il garde encore la morale, c’est par ce que sa petite famille est prise en charge par la Présidence de la République et qu’il reçoit régulièrement le soutien moral et matériel du Chef de l’Etat Faustin Archange Touadéra.
Il serait judicieux pour la Cour, d’orienter ses enquêtes en vue de capturer les quelque 52 400 petits et grands délinquants qui grandissent au sein de ces groupes et laisser les « gros poissons » à la CPS et les « gros gros poissons » à la CPI qui travaillent déjà sur eux.
Dossier à suivre…