Malgré un lourd passif en Centrafrique à la tête des milices antibalaka, dont il est toujours l'un des principaux leaders politiques, le président de la fédération centrafricaine de football, Patrice-Edouard Ngaissona, a été élu vendredi au comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF).
"Le Maroc est une terre bénie pour moi aujourd'hui", dit à l'AFP, tout sourire, le quinquagénaire au visage rond, qui écarte d'un revers de la main les commentaires sur le rôle qu'il a joué durant la crise centrafricaine: "Si ces allégations étaient vraies, je ne serais pas là aujourd'hui".
Son nom est pourtant régulièrement cité dans les rapports de l'ONU et dans les notes d'enquête de la justice centrafricaine comme l'une des têtes de pont des milices antibalaka qui ont semé la terreur dans le pays.
Créées en 2013 après la prise de pouvoir par la force de la coalition musulmane de l'ex-Séléka, ces milices peu structurées ont pris les armes en prétendant défendre les intérêts des chrétiens, et en représailles aux exactions des groupes armés musulmans. A la chute du président de la Séléka, Michel Djotodia, en 2014, les antibalaka se sont employés à une chasse aux musulmans dans Bangui et ses environs, faisant des centaines de morts.
Depuis, les milices antibalaka continuent de combattre dans une large partie du territoire, tantôt contre des groupes armés issus de l'ex-Séléka, tantôt contre d'autres milices antibalaka, pour le contrôle des territoires et ressources du pays.
"Il faut une reconnaissance de ce qu'ont fait les antibalaka", disait sans détour à l'AFP M. Ngaissona en 2014, lui qui s'affirmait "porte-parole" de ces milices et reste aujourd'hui leur "coordonnateur politique".
A l'AFP, l'homme affirme aujourd'hui "ne pas vouloir mélanger politique et sport", et préfère citer à l'envi son rôle dans le football centrafricain, lui qui a été éphémère ministre des Sports en 2013 et est président de la fédération depuis 2008.
-'Un travail bien fait'-
"C'est le fruit d'un travail bien fait depuis de années au sein de la jeunesse centrafricaine", pense lui le porte-parole des antibalaka, Igor Lamaka, une phrase qui ferait grincer des dents ses détracteurs tant l'enrôlement de mineurs dans les groupes armés est une problématique épineuse en Centrafrique.
Ailleurs en Centrafrique, cette nomination laisse un goût amer à ses anciens ennemis. "Ngaissona a commis des crimes, comment son casier judiciaire peut aujourd'hui être vide pour aller se présenter aux élections et à des postes internationaux?", s'indigne à l'AFP un leader du Front populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (Fprc), groupe armé fer de lance de l'ex-Séléka, lui-même responsable de nombreuses exactions dans le pays.
Plusieurs fois déjà, Ngaissona a été dans le viseur de la justice: en 2014, une vaste opération militaire de l'armée française dans son fief de Boy-Rabe, quartier de nord de Bangui, vise à l'appréhender, sans succès. Quelques semaines plus tard, les médias congolais fanfaronnent en annonçant en Unes des journaux locaux son arrestation au Congo; "je n'ai pas été arrêté", répondra-t-il quelques jours plus tard.
Il a bien été incarcéré au début des années 2000 pour enrichissement illicite, mais semble passer entre les mailles de tous les filets depuis.
A Bangui, ses détracteurs lient son inexorable ascension - jusqu'à se présenter à l'élection présidentielle de 2015 - à ses liens avec l'ancien président Bozizé (2002-2013), et ses connexions présumées avec le nouveau président en place, Faustin-Archange Touadéra.
Sa candidature à la présidentielle sera néanmoins rejetée, une décision qui provoque barricades et échauffourées dans les quartiers. Par ailleurs, Ngaissona avait été élu député dans son fief du 5e arrondissement sur les listes du KNK, parti de Bozizé.
Durant les troubles de 2014, "Ngaissona, qui coordonnait les milices antibalaka, a été soutenu par Bozizé qui tentait un retour au pouvoir", rappelle Nathalia Dukhan, chercheuse pour Enough Project. "Pour éviter la justice, Ngaissona continue d'entretenir certaines milices", accuse-t-elle.
"Vus les crimes dont les antibalaka se sont rendus coupables, la place de leur ancien coordinateur est probablement moins dans une réunion de la CAF ou la tribune d'honneur d'un stade de football que dans un tribunal", lâche Antonin Rabecq, de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).
Son élection "nous fait mal, par rapport au climat d'impunité" qui règne en Centrafrique, ajoute à l'AFP Me Nzapani, du collectif des avocats contre l'impunité en RCA.
Du côté antibalaka, M. Lamaka renvoie la balle sans sourciller: "Quelles sont les preuves, quels sont les faits ? Sa nomination prouve que ce n'est pas un criminel, pas un assassin, c'est un homme du fair play, un sportif de haut